INTERVIEW
Zabou Breitman en interview
Il n’a pas été très étonnant de découvrir que le rôle de Maîtresse de cérémonie de la Nuit des Molières allait être tenu, cette année, par Zabou Breitman. Car, si une importante partie du public la connaît pour les dizaines de personnages qu’elle a interprétés sur grand écran, la comédienne excelle et se transcende dès qu’elle pose un pied sur les planches… Amoureuse du jeu, passionnée par le travail et galvanisée par les histoires qu’elle choisit soigneusement de raconter au public, c’est dans un spectacle hors norme qu’elle déploie, seule, une incroyable palette de jeu qui aurait pu n’apparaître que comme une « simple » volonté de performance. Incarnant tous les êtres qui se succèdent dans La compagnie des Spectres depuis huit ans déjà, Zabou Breitman – toujours aussi curieuse et rayonnante qu’à ses débuts il y a plus de 30 ans -, recherche en effet plus à faire réfléchir sur l’héritage psychologique, le poids des mensonges dans une famille mais aussi la bêtise qui plane et le manque de considération que certains ont pour l’humain, qu’à « prouver » qu’elle est capable d’interpréter – dans un rythme effréné et avec autant de cruauté que de drôlerie -, des personnages allant d’une vieille dame un peu cinglée à sa fille craintive et effacée en passant par un huissier, un « maréchal Putain », un curé ou encore un collabo…
Zabou Breitman Maîtresse de Cérémonie de la « 30ème Nuit des Molières »
en direct de la Salle Pleyel de Paris sur France 2 le 28 mai
« Si un jour je me surprenais à ne pas m’investir, je crois que je changerais de métier ! »
Morgane Las Dit Peisson : Vous semblez assez sereine avant de jouer…
Zabou Breitman : Avant de monter sur scène, j’ai une tendance à « m’absenter » pour me concentrer… Je ne fais rien et j’essaie de ne penser à rien en faisant des jeux qui me vident la tête… Ne rien faire d’utile permet en réalité de n’avoir que des émotions basiques. C’est un état de jachère qui laisse place aux personnages.
Vous tournez avec La compagnie des spectres depuis 2010, ce qui ne vous empêche pas de répéter…
En général, je répète en début d’après-midi et c’est à mes yeux une phase très utile même quand on connaît bien une pièce. C’est aussi essentiel en tant que comédienne que metteure en scène car, quand on change de salle, on a toujours des petits détails à régler au niveau de la lumière ou du son… Je tiens à ce que tout soit impeccable autant techniquement que dans mon jeu. C’est un texte assez lourd à apprendre alors il est essentiel que les contraintes deviennent réflexes pour s’en libérer et n’avoir « plus » qu’à réinventer des choses sur scène…
Le théâtre est un art exigeant…
C’est complexe à expliquer mais il faut que, pour être vrai, le personnage soit fragile mais jamais l’acteur ! (rires) Il faut absolument être en pleine possession de ses moyens pour se mettre dans un déséquilibre essentiel à l’incarnation… Ça ressemble énormément à l’entraînement d’un athlète qui doit acquérir des automatismes pour pouvoir être pleinement dans l’instant présent lors de sa compétition. Je suis quelqu’un de laborieux car je suis persuadée qu’on ne peut pas prétendre à une quelconque qualité sans un travail constant… Ne serait-ce que par respect pour le public qui achète sa place et se déplace pour la pièce, je ne pourrais pas concevoir de faire les choses à la légère en mode « automatique »… Et si un jour je me surprenais à ne pas m’investir, je crois que je changerais de métier !
Pour vivre aussi longtemps et intensément avec une pièce, il faut l’aimer énormément…
La langue de Lydie Salvayre est réellement propre au jeu car, bien que La compagnie des Spectres soit un roman, elle s’est permise, dans les dialogues, de ne parfois pas mettre de ponctuation et c’est ce qui donne ce ton très réaliste aux discussions entre les personnages… Ils s’interrompent, se reprennent, ne finissent pas leurs phrases… C’est un flot de paroles peu courant qui m’a beaucoup plu. C’est droit, concret et pourtant criblé de fantaisies qui arrivent à mélanger en permanence des grossièretés énormes à de l’imparfait du subjonctif ! (rires) Quant à la narration, elle est exceptionnelle car extrêmement contemporaine, décousue et quasiment cinématographique. On ne retrouve pas de scène d’exposition classique, on donne, comme dans la vraie vie, des éléments aux spectateurs qui, petit à petit, les emmagasinent dans leurs mémoires et les relient les uns aux autres pour tout comprendre de l’hstoire. J’aime cette pièce pour tout ça et pour le moment où je sens que le public, dans son silence, prend conscience d’avoir toutes les clefs… C’est très émouvant…
Plusieurs personnages mais vous êtes seule en scène…
En effet, c’est vraiment une pièce de théâtre dans laquelle je suis seule, où j’alterne discours direct et indirect mais qui, par moments, abat le quatrième mur en s’adressant au public ! C’est très « flippant » au début mais quand on comprend le mécanisme, ça devient très jouissif à jouer ! (rires) J’alterne tous les rôles, tous les registres et tous les jeux pour donner corps à cette histoire.
La grande Histoire côtoie celle, intime, des personnages…
C’est l’histoire de trois générations de femmes qui traversent en effet la grande Histoire… Cette pièce raconte comment la génération du présent a pu hériter des drames des précédentes… Ça fait réfléchir sur le parcours du malheur mais aussi sur la conscience et l’inconscience de la trahison… La collaboration illustre parfaitement cette problématique car elle pose, entre autres, les questions de l’obéissance à son pays et de la révolte au nom de sa propre morale…
© Propos recueillis au Broc par Morgane Las Dit Peisson • Photos droits réservés
Interview parue dans les éditions n°392 #1, #2 et #3 du mois de mai 2018
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