COUPS DE COEUR
Valérie Donzelli en interview au festival Cannes Cinéma pour le film « Azuro »
« J’adore jouer dans les films des autres ! »
Alors qu’elle aime se glisser derrière la caméra pour « diriger les opération » (dernièrement pour son film Notre Dame et sa série Nona et ses filles diffusée sur Arte), la comédienne n’est jamais très loin… Passionnée par toutes ces identités que le jeu peut offrir, Valérie Donzelli n’a pas résisté à l’appel d’Azuro – adapté des Petits Chevaux de Tarquinia de Marguerite Duras – où, comme seuls au monde, des personnages s’aiment mal mais profondément…
🎟️ Valérie Donzelli pour le film « Azuro » au cinéma le 30 mars 2022
Morgane Las Dit Peisson : Dans le film Azuro, vous n’êtes « que » comédienne, c’est « reposant » ?
Valérie Donzelli : (rires) Ah oui, ça je vous le confirme ! C’est en effet beaucoup plus reposant de n’assumer que le rôle de comédienne et surtout, c’est extrêmement plaisant. J’adore jouer dans les films des autres car on est porté par le regard de quelqu’un en qui on a confiance. On se laisse embarquer et on a juste à interpréter et à puiser en soi pour définir le mieux possible ce personnage qui a été imaginé par quelqu’un… Le travail de l’acteur est un exercice très intéressant.
Matthieu Rozé, plus que des personnages, semble filmer des âmes…
Il n’y a en effet pas d’action ou d’histoire dominante, juste un groupe de gens qui s’aiment, avec passion, parfois avec violence… Ils sont entre deux âges, encore un peu jeunes et pas encore trop vieux… C’est un endroit où l’on a du mal à faire le deuil de sa jeunesse, où l’on fait le constat de sa vie, où l’on réalise que l’on a construit des choses qui ne nous conviennent plus complètement, où l’on se demande comment on va faire pour continuer à vivre comme ça… Azuro est un beau film car il observe à quel point c’est dur d’aimer. Aimer est un travail, ça s’entretient, ce n’est pas juste un sentiment. On est plein de doutes tout le temps alors certains prennent la décision de rester seuls pour se protéger comme le fait le personnage, bouleversant, de Margaux alors que d’autres osent essayer l’aventure avec toutes les difficultés que ça comporte. Le couple Gina-Vadim passe son temps à se disputer et se hurler dessus tout en s’aimant énormément et celui de Pierre et Sara (que j’interprète), plus calme en apparence, est plein de non-dits.
Sara est un personnage assez mystérieux…
On ne sait jamais vraiment ce qu’elle pense, elle semble toujours un peu en retrait, dans l’observation… J’ai aimé l’incarner pour ce côté taiseux qui exige un jeu différent. Elle s’autorise à rêver d’une aventure avec un homme qui fait fantasmer tout le monde et on se demande évidemment jusqu’où elle va oser se mettre en danger entre le désir qu’elle ressent pour lui et l’amour qu’elle porte à son mari.
Azuro est l’adaptation des Petits Chevaux de Tarquinia de Duras…
Matthieu Rozé a parfaitement su transposer l’esprit de Marguerite Duras en particulier à travers la relation que mon personnage entretient avec son fils. Duras avait une relation passionnelle avec le sien, elle l’aimait trop et elle avait tout le temps peur pour lui… En ça, Sara est un peu son double… Elle aime son enfant à la folie tout en donnant l’impression de ne pas avoir réellement envie de s’en occuper… Elle sort, elle suit le mouvement mais elle fait des cauchemars tout le temps… Elle est un peu névrosée ! (rires) Mais tout ça est raconté et filmé par Matthieu avec une forme de grâce, d’humour et de premier degré ! C’est très plaisant car ce n’est pas un film où l’on fait semblant. C’est un film où l’amour et l’amitié comptent, un film où l’on se dit des choses dures les yeux dans les yeux…
Un film qui ose mettre en scène le silence…
Le silence dit tellement de choses… Narrativement c’est difficile à mettre en oeuvre mais quand c’est bien amené, ça en dit beaucoup plus que de longs dialogues alambiqués ! (rires) Et à jouer, c’est passionnant pour un acteur car tout est dans la retenue, dans l’introspection, dans les mouvements du corps et dans les expressions du visage. On est peut-être encore plus présent et investi quand on joue le silence… Azuro est à la fois un film bavard et en creux. Parfois, les personnages n’arrivent plus à « dire », alors ils se taisent et à ce moment-là, ils deviennent bouleversants et nous donnent l’impression de vivre, presque en temps réel, cet été là avec eux dans un endroit imaginaire où les gens parlent une langue qui n’existe pas. Il y a énormément de poésie dans ce film…
Viktor Vincent et Valérie Donzelli dans « Top Sorties » sur BFM Nice Côte d’Azur
On est hors du temps et hors d’atteinte…
C’est vrai qu’on est isolé dans Azuro… Il n’y a pas de réseau, on est en vase clos, il fait une chaleur écrasante, les incendies nous encerclent, la mer qui effraie Sara semble immense, la nature se fait menaçante et rappelle ainsi sa toute-puissance. Elle est une belle métaphore des sentiments qui submergent nos personnages.
Il y a une tension tout au long de film…
Azuro est un film très nerveux et c’est là que l’on voit tout le talent du réalisateur. Il arrive à mêler des scènes d’ennui qu’éprouvent des gens qui ne foutent rien de leurs vacances à une nervosité folle ! On a l’impression qu’il filme ça comme un rodéo alors qu’on a juste des personnages étalés sur la plage, alourdis par la chaleur, qui boivent des Campari et qui fument des cigarettes ! (rires) Matthieu a réussi à transcrire en images l’ébullition intérieure de chacun, c’est du grand art !
Une terre qui ressemble à l’Italie…
Le tournage a été paradisiaque ! On a pu le faire après le 1er confinement, en 2020. Il ne se passe qu’en extérieur et il a la beauté inouïe de la Méditerranée, de son ciel bleu et de sa chaleur. Ça a été un moment de grâce qui a duré 4 semaines, une cure de bonheur et de plein air après avoir été enfermés pendant des mois… J’ai adoré faire ce film !
© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson au festival Cannes Cinéma pour Le Mensuel / Photos droits réservés
Interview parue dans Le Mensuel n°429 de mars 2022
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