INTERVIEW
Pierre-François Martin-Laval en interview
Pierre-François Martin-Laval avait jusqu’à présent eu tendance à habituer le public à le retrouver dans un registre comique. En télé, au cinéma ou sur les planches ; au jeu, à la mise en scène ou à la réalisation, Pef, depuis ses débuts dans les Robins des Bois, a en effet laissé sa patte, ces vingt-cinq dernières années, chez Gaston Lagaffe, Airnadette, Les Profs, Les Vacances de Ducobu ou encore Spamalot… Désireux, pour son sixième long-métrage derière la caméra, de s’éloigner des chemins déjà parcourus, c’est sur l’histoire vraie de Fahim que s’est jeté son dévolu. Retraçant avec bienveillance, élégance, respect et humanité l’arrivée et l’intégration en France d’un enfant bengalais qui connaîtra un destin extraordinaire, le film Fahim a réussi à mettre au point un savant équilibre qui lui épargne à la fois de tomber dans le mélodrame ou la caricature…
« Je ne voyais personne d’autre qu’Assad pour jouer Fahim… »
MORGANE LAS DIT PEISSON : Accompagner son film en régions pendant les avant-premières…
PEF : J’ai envie de dire que c’est presque vital de rencontrer le public après tant d’années de travail, c’est pour ça que j’essaie toujours d’organiser des tournées avant la sortie d’un film. Je viens du café-théâtre, alors je crois que le contact avec le public fait vraiment partie de mon ADN… J’ai besoin de le voir et surtout d’entendre ses réactions…
Les premiers retours sur Fahim sont rassurants ?
Plus qu’en tant que réalisateur, j’ai été rassuré en tant qu’humain de voir que beaucoup de gens réagissaient comme moi… Tous les moments où j’ai pleuré en cachette en mettant en scène les comédiens sont ceux aussi qui ont le plus ému les spectateurs, et tous les passages qui m’ont fait le plus rire ont eu le même impact sur eux… Je suis donc constitué à peu près normalement et ça a beaucoup rassuré la personne que je suis ! (rires)
Et puis évidemment, le réalisateur est heureux ! Je voulais faire un film qui ressemble réellement à la vie du vrai Fahim et j’ai la sensation, au vu du retour qu’il m’en a fait, que j’ai réussi à ne pas le trahir…
Raconter une histoire vraie…
Quand je m’apprête à inventer une histoire, je suis toujours confronté, au début, au syndrome de la page blanche mais ça ne me déplait pas car c’est très excitant de n’avoir à faire appel qu’à son imaginaire. Pour Fahim, je n’ai pas rencontré ce phénomène puisque je me suis appuyé sur une très belle histoire recueillie dans le livre Un roi clandestin mais adapter un ouvrage présente évidemment d’autres difficultés, comme le fait de devoir raconter plus de trois ans d’une vie de SDF sans-papiers en 1h45 sans ne jamais trahir ou décevoir les personnes qui l’ont vécu… C’était primordial pour moi que Fahim, dès la lecture de la première version, se reconnaisse dans le récit et les dialogues. D’ailleurs, c’est un jeune homme très franc qui n’a pas hésité à me dire immédiatement tout ce qui ne lui allait pas ! (rires) Certaines choses étaient à ses yeux trop éloignées de la vérité et d’autres au contraire beaucoup trop proches alors – après négociations bien sûr (rires) – j’ai retouché ce qui le mettait mal à l’aise…
Un film qui a exigé une certaine investigation…
Je suis allé très loin dans les émotions mais le sujet était tellement grave et sérieux que je ne pouvais vraiment pas me permettre de raconter n’importe quoi. Je me suis beaucoup renseigné auprès de l’OFPRA, de la préfecture, de France Terre d’Asile ou même des flics car il y a des sujets où l’on n’a pas le droit de se tromper.
Laisser le spectateur découvrir au fur et à mesure les véritables raisons de cet exil lui permet de se faire sa propre idée malgré ses préjugés…
Il n’y a encore pas si longtemps je participais au montage et ce genre de compliments me rappelle des questions qu’on s’est posées… C’est une partie du travail qui est très ludique car elle permet toutes les audaces et à chaque fois qu’on déplace ou qu’on coupe une scène, ça donne une nouvelle perspective. Quand on se lance dans une aventure cinématographique, on écrit trois fois son film : au scenario, à la réalisation et au montage, et il arrive parfois que les intentions finales soient à l’opposé de ce qui avait été prévu ! Il n’est pas rare qu’une scène que j’imagine être le point culminant du film se retrouve finalement à la poubelle ! (rires)
La découverte de l’histoire de Fahim ?
Je suis tombé dessus deux ans après les faits, en février 2014, grâce à l’émission On n’est pas couché et au directeur de la photo de tous mes films qui, en voyant Fahim raconter son parcours, m’a immédiatement appelé pour que j’allume la télé. Il savait que j’avais envie de m’essayer à un autre registre et il m’a très bien cerné car dès le lundi j’achetais le livre…
Cette découverte a donné lieu à un film difficilement « classable », qui oscille entre drame et comédie…
Je crois que moi aussi je serais incapable de choisir dans quel registre Fahim s’inscrirait le mieux mais ce dont je suis certain, c’est qu’en tant que citoyen, sa vie est un drame… Un enfant qu’on sépare tout petit de sa maman et qui la retrouve plusieurs années plus tard, ça restera un drame même si son destin a été, par la suite, incroyable ! Mais dans la mise en scène, j’ai tout fait pour qu’il y ait de l’espoir et que l’on s’attarde un peu sur le bon côté des choses…
Le personnage incarné par Gérard Depardieu…
Dès la lecture du livre, j’ai trouvé le « personnage » du professeur d’échecs génial ! J’ai immédiatement senti qu’il fallait qu’il devienne un des personnages principaux du film… En tant que comédien, j’aurais rêvé qu’on me le propose et malgré tout, j’ai résisté à l’envie de me l’offrir ! (rires) Je suis devenu un peu humble je crois et j’ai vite compris qu’il y avait mieux que moi pour faire vivre ce rôle à l’écran ! (rires) Ça s’est confirmé en rencontrant le véritable entraîneur de Fahim… Une sorte d’ogre barbu aux yeux clairs, à l’air aussi gentil qu’autoritaire, qui faisait des blagues à ses élèves tout en se faisant respecter… Face à lui, j’ai eu le déclic, seul Depardieu pouvait faire le poids tant au sens propre qu’au figuré ! Il avait l’envergure du personnage, les traits de caractère et cette capacité à provoquer autant d’orages que de bonheurs… C’est un génie, un cas à part…
Une fois encore, une Isabelle Nanty fidèle au poste…
Quand je suis arrivé à Paris, Isabelle Nanty a été ma prof de théâtre et je peux vous assurer qu’elle s’est donné du mal pour me remettre dans le droit chemin ! J’étais un véritable cancre et elle a réussi à faire de moi un « presque » premier de la classe ! (rires) Depuis, on est toujours resté proche, au point que lorsque je démarre un nouveau projet, je me pose deux questions : quel sera le sujet et que jouera Nanty ? (rires) Ce n’est pas toujours évident car, par exemple, dans Un roi clandestin, il n’y avait pas de rôle féminin particulièrement intéressant alors j’en ai façonné un pour elle… Fahim l’a approuvé car il a reconnu en ce personnage un condensé de trois personnes : la secrétaire du club d’échecs, la présidente d’une association qui l’a énormément aidé et une femme, Marion Lambert, qui découvre en 2012 sur Facebook que notre Champion de France d’échecs est SDF… Cette dernière a eu l’idée – aussi intelligente que courageuse – d’interpeller le Premier ministre de l’époque pendant un direct sur France Inter pour lui demander si ça ne le dérangeait pas que ce jeune garçon soit expulsable à tout moment… Ces trois femmes étaient essentielles à l’histoire et les concentrer en un seul personnage m’a permis de les représenter à leur juste valeur…
Et puis, il y a Assad Ahmed et son intense regard…
J’ai envie de dire qu’il y a surtout Assad Ahmed ! (rires) Ça fait plaisir que vous parliez de son regard en premier car c’est ce qui m’a immédiatement convaincu chez lui. Je me suis retrouvé plongé dans ses yeux noirs et j’ai senti que c’était lui qui devait incarner Fahim… Mais en commençant à travailler avec lui, j’ai été de moins en moins sûr de moi car il ne voulait rien faire et ne parlait pas français… On ne partait pas gagnant sur ce coup-là ! (rires) Je tire vraiment mon chapeau à Mohamed Belhamar – le directeur de casting qui avait travaillé sur Dheepan – car c’est un homme de terrain qui ne compte pas ses heures… Il m’a, pendant sept mois, présenté des enfants qui ne convenaient pas à la vision que j’avais de Fahim et, dans un instinct de survie, il m’a montré une photo d’un gamin qui semblait parfait mais qui, arrivé au casting, mesurait 1m80 ! Il l’a vu repartir avec un copain qui ne parlait presque pas notre langue et qui refusait de jouer… C’était Assad…
Malgré un travail acharné, un film ne tient parfois à rien…
Sincèrement, Assad a sauvé le film car sans lui, je ne l’aurais pas fait ! La DASS oblige à sélectionner deux enfants par personnage et c’est elle qui prend la décision finale en fonction des résultats scolaires, du bien-être moral ou encore de la motivation de chacun. Heureusement que l’on a en France un organisme comme celui-ci qui protège les droits des enfants que l’on fait travailler, mais ça ne m’arrangeait pas du tout puisque je ne voyais personne d’autre qu’Assad pour jouer Fahim… Si la DASS ne l’avait pas validé, Fahim ne se serait pas tourné…
Un film repose sur une quantité astronomiques de détails… Je pense par exemple au plan où l’on voit Depardieu surgir du bas de l’écran pendant sa conversation avec Didier Flamand… C’est un choix, un parti pris…
C’est marrant parce qu’on ne l’a pas travaillé pendant des heures, il ne devait pas se tourner dans ces toilettes, Gérard allait arriver, c’était exigu, on ne savait pas comment se placer et tout à coup, j’ai eu envie qu’il surgisse dans l’écran, comme s’il sortait de l’eau pour reprendre une respiration… C’est gratifiant de se dire que toutes ces heures passées à peaufiner chaque détail n’ont pas été vaines et que quelqu’un en France aura remarqué un petit élément auquel mon équipe et moi avons attaché beaucoup d’importance !
Plus de quatre ans de travail ont été nécessaires à la naissance de Fahim…
Ils ont été entrecoupés de plein d’autres projets mais je n’ai pas lâché Fahim tant j’ai pris plaisir à le faire ! Tout a été passionnant dans ce film… Il n’y a par exemple rien de plus beau que de réussir à donner le déclic à quelqu’un dont ce n’est pas le métier et de le voir se transformer sous vos yeux en acteur… J’ai eu la sensation, par moments, d’être un magicien ! (rires) Moi qui voulais être « juste » comédien, je ne regrette pas de m’être aventuré un peu plus loin ! C’est tellement passionnant de créer que je n’ai même pas été frustré de jouer aussi peu cette fois-ci ! Fahim m’a littéralement comblé…
C’est un film qui est peut-être arrivé au « bon » moment de votre carrière…
C’est marrant car j’ai eu la preuve que c’était bel et bien le cas… Je l’ai signé en 2014 en pensant qu’adapter allait être plus simple et plus rapide que d’inventer un scénario mais je me suis vite aperçu que ce n’était pas le cas… Puis il y a eu Les Profs 2, j’ai été « l’élu » pour réaliser Gaston Lagaffe et tout ça a retardé le projet de Fahim mais je crois, avec le recul, que c’était ce qu’il fallait… Quand j’ai rencontré Assad Ahmed, ça ne faisait que trois mois qu’il était en France et si le film s’était fait en temps et en heure, je serais passé à côté de cette seule personne en qui j’ai cru pour incarner Fahim… Tout est finalement arrivé au bon moment, après que j’ai pris des coups dans ma carrière et dans ma vie privée… Je suis certain que j’ai transformé ces émotions en une énergie que j’ai transmise à mes acteurs ! Je ne leur avais jamais donné autant d’amour et d’attention et je n’en aurais certainement jamais été capable avant…
© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson au CGR de Draguignan • Photos droits réservés
You must be logged in to post a comment Login