CINÉMA
Patrick Timsit en interview pour son spectacle Adieu… Peut-être. Merci… C’est sûr.
« J’ai peur du spectacle de trop… » Patrick Timsit
Bien qu’il soit en pleine tournée d’adieux, Patrick Timsit, qui ne sait pas passer deux jours de vacances sans travailler, n’arrête pas sa carrière pour autant ! Renonçant au one-man par principe de précaution – comme si la vieillesse allait lui tomber sur le coin du nez un beau matin -, le comédien continue heureusement de tourner (on le verra à l’affiche de Tombé du camion en février prochain), de jouer seul en scène dans le poignant Livre de ma mère d’Albert Cohen mais aussi d’écrire (il travaille désormais à l’adaptation de cet ouvrage pour le cinéma)…
Patrick Timsit en interview pour sa tournée Adieu… Peut-être. Merci… C’est sûr.
interview / spectacle / théâtre / humour / seul en scène / comédie / cinéma
- 21 novembre 2023 / 20:30 / Aix-en-Provence / Pasino Grand / 🎟️ Infos & billetterie ici !
- Tombé du camion au cinéma : 28 février 2024 / en salle / comédie dramatique de Philippe Pollet-Villard / avec Patrick Timsit, Valérie Bonneton, Saaden Sada Balius…
Morgane Las Dit Peisson : L’humour comme protection face aux nouvelles du monde…
Patrick Timsit : C’est vrai qu’on enchaîne depuis quelques années des périodes pas très réjouissantes, voire totalement sombres… J’étais sur scène pendant Charlie Hebdo et pour le 13 novembre… La vie peut être dure mais le spectacle doit continuer. Quand on dit « show must go on », ce n’est pas parce que les artistes prennent les évènements par-dessus la jambe, au contraire… C’est une façon de continuer à s’exprimer et de proposer au public des rendez-vous pour rire et s’évader. C’est loin d’être inutile et les confinements nous l’ont bien prouvé.
L’humour nous donne une force incroyable pour supporter les événements et les conditions les plus terribles. Dans les pires situations, même face à la mort ou à l’oppression, l’humour a toujours existé car c’est un exutoire, un moyen de lâcher prise…
Beaumarchais disait très justement « Je me presse de rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer » et mon spectacle autour des adieux, c’est ça ! L’écriture a commencé par une certaine gravité : dire adieu à la scène.
Honnêtement, avec ce postulat de départ, on a passé un mois à ne pas rire avec Jean-François Halin (ex-auteur de la grande époque des Guignols de l’info) quand on s’est mis à écrire autour des dix bonnes raisons d’envisager une « séparation » tout en étant encore amoureux. Ce partenaire – le public -, je l’aime toujours autant mais je sais que je dois le quitter alors c’est pour ça que je l’engueule à la fin du spectacle… C’est comme une relation de couple, quand on aime toujours mais que la fin est irrémédiable, on est injuste et on cherche n’importe quel prétexte pour se donner du courage, comme le dentifrice jamais rebouché dans la salle de bain ! (rires)
Annoncer un départ exige une certaine forme de courage…
Et en même temps, énormément de chanteurs ont fait leurs adieux à la scène pour mieux y revenir… Il suffit de voir Michel Sardou ! (rires) Donc on n’est jamais à l’abri même si, très franchement, je ne me sentirais pas de faire un best of de mes meilleurs sketches ! Les chanteurs c’est différent, on prend toujours plaisir à réécouter des tubes alors qu’en ce qui me concerne, j’ai besoin que les spectacles soient nouveaux, actuels et inédits.
Pourtant, certains sketches sont aussi des tubes…
C’est un bon argument ! (rires) Il m’est arrivé de faire des sketches en karaoké sans avoir besoin de finir ma phrase ! C’est d’ailleurs littéralement incroyable de ressentir une telle émotion, c’est extrêmement touchant…
Des adieux à la scène mais uniquement en solo et dans le registre humoristique… Faire rire devient une trop grosse pression ?
J’ai beaucoup de réponses à ça et c’est d’ailleurs ce qui m’a donné l’idée d’en faire tout un spectacle ! (rires) Adieu… Peut-être. Merci… C’est sûr. est basé là-dessus. J’avais des dizaines de raisons de m’arrêter alors j’ai choisi parmi elles les 10 plus inspirantes. Le début du spectacle est véridique puis, puisque tout est prétexte à faire rire, je me suis un peu emballé… (rires) Le fond est grave ou tout au moins sérieux ; la forme est évidemment légère… J’ai peur du spectacle de trop, du trou de mémoire, j’ai peur d’être trop vieux…
J’avais envie de finir « en haut » et pas de faire pitié à force de tirer sur la corde ! (rires) C‘est quand ça marche, qu’il faut savoir s’arrêter. Je sais que beaucoup de gens ne me croient pas et se disent que je n’arrêterais jamais et pourtant, bien que je tourne avec depuis 3 ans, il prendra fin à un moment…
Il se prolonge régulièrement parce qu’il est un véritable rendez-vous et que j’ai l’incroyable chance qu’autant de spectateurs me fassent l’honneur de vouloir le voir. Je profite à fond de toutes ces dernières dates car on sait – eux et moi – que c’est une page qui se tourne alors ça crée une émotion très particulière…
En faisant ça, vous vous êtes déjà conditionné à ressentir le manque du one-man…
Oui… Chaque soir, je suis ému et je me demande comment je vais pouvoir réussir à m’en priver… La réponse tient dans le fait que ce sont effectivement des adieux à l’exercice du one-man-show mais pas à la scène ni au métier d’acteur. Je vais en effet continuer, seul en scène d’ailleurs, en reprenant dans un tout autre registre Le livre de ma mère d’Albert Cohen. Je travaille également sur son adaptation au cinéma en ce moment. C’est un livre de deuil, de remords et de demande de réponse face à l’obligation d’essayer d’accepter l’incompréhensible : la perte de sa mère…
J’ai encore la mienne et je n’arrive pas à imaginer, même en le jouant, le drame que je traverserai quand ce sera ma mère qui partira… Comme je le dis sur scène : « aucun fils ne sait vraiment que sa mère mourra et tous les fils s’impatientent et se fâchent contre leur mère… Les fous sitôt punis ».
Et en effet, comme tous les fils, je le sais, je crois m’y préparer mais en réalité, tant que ça ne m’arrivera pas, je ne saurais pas vraiment ce que c’est… Je ne conçois pas et n’accepte pas ça… Ce grand écart entre les deux spectacles prouve que le public a accepté que je le fasse passer du rire aux larmes et grâce à lui, je n’ai pas – et je n’aurai pas – de manque puisque je me régale.
Le livre de ma mère demande un autre type de jeu…
Et effet, je m’adonne à de « fausses » lectures dans ce « seul en scène » là. Même si je suis censé lire, il est essentiel de bien connaître le texte pour pouvoir le lâcher des yeux et y revenir sans être paumé et bafouiller. Je le joue dans différentes versions (j’ai par exemple été accompagné sur scène par Imany), et elles apportent toutes des émotions particulières. Je dois reconnaître qu’avec Dominique Pitoiset (avec qui j’ai adapté le texte) on est particulièrement heureux de l’accueil du public mais aussi des retours des ayants droit d’Albert Cohen qui sont satisfaits du résultat… C’était important pour nous de ne pas les décevoir…
Quand on aime autant la scène, comment arrive le déclic de vouloir l’arrêter en partie ?
Honnêtement, ça ne vient pas en une fois et quand ça vient, on ne l’accepte pas. Puis ça s’insinue de jour en jour, petit à petit… On savoure la « réussite », on se dit que ça se passe tellement bien qu’on n’a pas envie de vivre le moment où ça se passera mal et c’est cette peur là qui a fait son chemin jusqu’à me pousser à prendre une décision certes radicale mais qui, je pense, est la bonne. « Il ne faut pas attendre que l’amour soit desservi pour quitter la table » dixit Charles Aznavour que j’adore. En gros, je préfère rester sur le souvenir d’un bon repas que de traîner à table jusqu’à ce qu’on attaque les conversations désagréables ! (rires)
Une décision qui n’a donc rien à voir avec les périodes de confinement ?
Non, j’avais fait mon choix avant ça. Mon spectacle s’est évidemment retrouvé reporté mais contrairement à beaucoup, je n’ai pas eu à me plaindre puisque j’ai beaucoup tourné à ce moment-là. J’ai presque honte de réaliser que cette période n’a pas été traumatisante pour moi car j’ai eu une chance immense. Au moment même où le spectacle se repoussait, on me proposait 5 films et j’ai entre autres travaillé avec Jean-Claude Vandamme, Arnaud Desplechin (avec qui j’ai monté les marches du Festival de Cannes) ou encore mon amie Michèle Laroque avec qui je me suis régalé… Je suis conscient du privilège et du miracle que ça a été de pouvoir continuer à faire ce que j’aime dans des périodes oscillant entre guerre, crise et confinement…
En parlant cinéma, Tombé du camion devrait sortir le 28 février 2024…
C’est un film où il y a de la comédie mais qui a surtout beaucoup de fond. Je ne sais pas comment il ressortira au montage mais personnellement, je l’ai vécu comme un tournage de film d’auteur… Ça a été dingue le plaisir que j’ai eu à participer à ce film. Le réalisateur – Philippe Pollet-Villard – a tout de même reçu un César et un Oscar avec son 1er court-métrage, ça laisse donc espérer le meilleur pour son 1er long-métrage ! Il y a dans son travail une profonde humanité, beaucoup d’humour et un talent pour raconter la vie des gens qui ont un quotidien que l’on serait tenté de dire « ordinaire ».
J’ai hâte de découvrir Tombé du camion ! Enfin hâte… (rires) Comme je n’aime pas me voir au cinéma, je vais envoyer un ou deux éclaireurs et en fonction de leur avis, j’irais à mon tour, ne serait-ce que pour profiter des prouesses de Valérie Bonneton et des autres comédiens qui ont été formidables pendant le tournage ! J’ai malheureusement du mal avec mon image, c’est toujours une douleur de me regarder dans un film… Les seuls pendant lesquels je prends plaisir, ce sont où je fais des voix de dessins animés ! (rires)
J’essaye d’en rire mais ce n’est vraiment pas de la coquetterie, j’ai un réel problème avec ça ! C’est un peu moins éprouvant quand je suis transformé et que j’incarne un personnage exubérant mais ça reste une épreuve ! (rires)
Tombé du camion, une comédie dramatique sur l’impossibilité, pour un marin pêcheur, de continuer à travailler…
On est dans le Nord et Stanislas, mon personnage, a un pépin avec son bateau. C’est le début de l’engrenage car il n’est plus tout jeune, il n’a pas les moyens de le réparer et il ne peut donc plus travailler pour gagner sa vie… Il se retrouve à faire les fonds de camion sur les aires d’autoroute et dans l’un d’eux, il va avoir une surprise de taille : un enfant migrant ! Il ne peut l’abandonner à son triste sort donc il va se retrouver avec un « problème » de plus sur les bras ! Évidemment c’est traité avec un peu d’humour mais la trame est riche de sens et de questionnements car comment faire pour aider quelqu’un quand on est déjà soi-même dans la merde ?
Toujours côté cinéma, vous travaillez à l’adaptation cinématographique du Livre de ma mère…
C’est en prévision… Avant j’y pensais et en effet maintenant, j’y travaille… Même si je vais laisser de côté le one-man, je ne peux pas m’arrêter d’écrire et de créer car je n’ai pas d’autre hobby que ça… Si je ne travaille pas je m’ennuie, même pendant les vacances, au bout de trois jours, je m’emmerde ! (rires)
© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson au Casino Barrière de St Raphaël pour Le Mensuel / Photos Bazil Hamard / novembre 2023
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