INTERVIEW
Maxime d’Aboville en interview
Faisant partie de ces nombreux artistes qui prouvent quotidiennement que la médiatisation et la notoriété ne reflètent pas toujours l’étendue du talent, Maxime d’Aboville, au lieu d’errer sur des plateaux télé donc, se consacre corps et âme, sur les planches, à son savoir-faire d’acteur. « Moliérisé » il y a deux ans pour sa prestation dans la pièce The servant avec laquelle il tourne encore actuellement, le trentenaire est également sur les routes avec une toute autre partition… Incarnant celui qui s’est caché presque toute sa vie sous les traits d’un Charlot connu dans le monde entier, le comédien nous dévoile sur scène qui était cet homme au destin si incroyablement romanesque.
« UN CERTAIN CHARLES SPENCER CHAPLIN »
« Jouer est finalement quelque chose de très naturel… »
Morgane Las Dit Peisson : N’y a-t-il pas une certaine folie chez les acteurs pour oser se lancer chaque soir sur scène ?
Maxime d’Aboville : (rires) Il y a un petit quelque chose qui ne doit pas être tout à fait normal c’est vrai, mais je crois aussi que quand les gens nous connaissent mieux, ils sont souvent un peu déçus de voir à quel point, finalement, on est « normaux » ! Et d’ailleurs, je pense qu’il y a beaucoup de gens qui ne sont pas comédiens mais qui auraient mérité de l’être ! (rires) Plus sérieusement, je crois que le jeu, c’est quelque chose que l’on a tous en nous… Certains le font fructifier plus que d’autres mais jouer est finalement quelque chose de très naturel, il suffit de regarder les enfants qui le font spontanément…
Jouer mais surtout incarner…
C’est ça qui est le plus passionnément, à mon goût, dans ce métier car pour ne pas simplement « faire » un personnage, il faut répéter et affiner sans cesse. Les gens ne nous croient pas toujours mais c’est vrai que chaque soir est différent même si le texte est le même. À chaque représentation, on trouve de nouvelles portes d’entrée qui nous mènent vers plus de vérité et de puissance car il y a des éléments du texte que seule la scène et le jeu peuvent nous révéler. Cette interprétation est réellement l’aspect que je préfère, c’est du véritable artisanat qui n’est possible que lorsque le texte est bien écrit. Si l’auteur a été sincère dans sa démarche, on peut jusqu’à la dernière représentation, continuer à creuser et peaufiner un personnage…
Travailler un rôle passe par la gestuelle…
Un certain Charles Spencer Chaplin traite essentiellement de la vie de l’homme qu’il était réellement et bien sûr, pendant quelques moments, la pièce nous le montre en Charlot… Ça a été un rôle particulièrement minutieux à façonner car je l’interprète pendant 70 ans de sa vie sans renfort de maquillage et puis, il y a évidemment ces scènes où je redonne vie au personnage des films. J’ai beaucoup travaillé cette gestuelle là pour me rapprocher de celle que tout le monde connaît mais je ne dirais pas que c’est un rôle plus difficile qu’un autre. Quand on s’investit, ils ont tous leur lot d’évidences et de complexités et d’ailleurs, que l’on incarne un personnage extraordinaire ou tout à fait ordinaire, ça exige le même travail puisque ce qui compte, c’est avant tout d’être crédible.
Vous redonnez vie à un homme que l’on ne connaît, pour la plupart, qu’en surface…
C’est tout à fait juste, on connaît tous Charlot, ce personnage burlesque, en mimes et en muet mais il est aux antipodes de son créateur au point que dans la rue, peu de gens pouvaient le reconnaître ! Avant de me lancer dans cette pièce, je ne savais pas réellement qui était l’homme sous ce « clown » connu dans le monde entier alors ça m’a permis de créer un Charles Spencer Chaplin tel que je me l’étais imaginé au fil de mes lectures… J’ai beaucoup lu sur lui pour découvrir sa vie et surtout comprendre qui il était mais je n’ai pas voulu rechercher d’images d’interviews pour tenter de retrouver sa voix ou sa manière de marcher. Celui qui vit sur scène, c’est « mon » Chaplin, celui que j’ai ressenti à l’intérieur de moi quand j’ai essayé de men approcher.
Mais ce n’est pas que l’histoire de cet homme…
C’est un homme qui a eu une vie littéralement extraordinaire et finalement très méconnue… Il a connu une enfance totalement misérable en Angleterre et pourtant il a su devenir ce personnage mythique aux États-Unis ! Au-delà de son histoire personnelle, c’est aussi celle de ce grand pays que Un certain Charles Spencer Chaplin raconte… La pièce dévoile comment cette terre de liberté, d’indépendance et de créativité lui a permis de devenir la toute première grande star mondiale mais aussi comment elle va se retourner contre lui. Il sera traqué et expulsé par J. Edgar Hoover, le chef du FBI, et pourtant, même en cette période tourmentée, son génie n’a fait que croître ! C’est passionnant de découvrir le paradoxe d’un génie mais aussi de ce pays si puissant et si duplice qui oscille toujours entre luminosité et paranoïa, entre ouverture et isolationnisme… Cette pièce résonne encore plus particulièrement aujourd’hui, avec l’arrivée de Trump…
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© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson • Photo Giovanni Cittadini Cesi
Interview parue dans Le Mensuel d’avril 2017 n°380 éditions #1 et #2
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