INTERVIEW

Mathieu Amalric en interview

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Intrigué et passionné par les multiples aspects de l’être humain et par tout ce que ce dernier est en mesure d’accomplir sans même, bien souvent, s’en apercevoir, Mathieu Amalric, avide de curiosité et en perpétuelle recherche, a dernièrement jeté son dévolu sur la dame en noir… Plus complexe et bien plus multiple que l’image torturée et sombre qu’on a souvent tenté de lui attribuer, Barbara était la créature idéale pour illustrer la vision que ce réalisateur – même après plus de 30 ans de métier – conserve encore du cinéma. Plus laboratoire « à sensations » que basique biopic, son Barbara porté à l’écran par Jeanne Balibar est une vision des êtres et de leurs arts plutôt que le simple récit d’une seule vie…


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DVD « Barbara » disponible depuis le 31 janvier 2018

 


« Il n’y a, à mes yeux, rien de plus beau que les gens au travail… »


Morgane Las Dit Peisson : Participer au Ciné Festival en Pays de Fayence en novembre dernier était une évidence ?

Mathieu Amlaric : Peu importe où se déroule un festival de cinéma, quand il est de qualité, que j’ai le temps d’y aller et que j’ai l’occasion de voir des films, je suis heureux ! C’est une véritable chance que de pouvoir découvrir le pays tout en s’adonnant à sa passion ! En Pays de Fayence, j’ai pu faire du planeur, assister à des projections et surtout rencontrer des gens investis qui se donnent corps et âme pour que cet évènement perdure et progresse sans cesse, c’est plaisant car tous autant que nous sommes, nous oeuvrons juste pour le cinéma… 

Un évènement avec des professionnels comme vous mais aussi des amateurs…

Et au delà de ça, on retrouve également dans le jury des enfants qui ont le même pouvoir de vote que n’importe quel adulte et qui s’exercent ainsi un peu à la démocratie et à la discussion. C’est un festival très vivant et populaire où chaque participant trouve facilement sa place tant il se passe de choses… Il y a des rencontres, des ateliers, des courts-métrages et plein de genres de cinémas différents, ça va bien plus loin que de simples projections ! Les gens repartent souvent en disant qu’ils ne regarderont plus les films de la même façon alors je ne sais pas si c’est une bonne nouvelle, mais ça prouve qu’un festival comme celui-ci a un véritable impact.

Ce festival montre les dessous du cinéma un peu comme votre film Barbara…

C’est vrai que dès le début du film, quand on aperçoit les dizaines de post-it collés partout dans le bureau du réalisateur, on comprend tout de suite qu’il y a des tonnes de détails à penser en permanence quand on désire créer une histoire qui tienne la route ! Le cinéma est un art assez dense qui mêle des idées, des impossibilités, des rêves, de la débrouillardise, des incidents souvent heureux et, puisque j’ai voulu, dans Barbara, montrer une actrice au travail en train d’incarner la chanteuse, on capte énormément tout ça… Ce n’est pas si évident de faire un long-métrage, ça exige beaucoup de sacrifices, de don de soi et de travail alors je suis heureux que ça transpire dans ce film car il n’y a, à mes yeux, rien de plus beau que les gens au travail. J’attache d’ailleurs souvent plus d’importance à ça qu’au résultat… (rires)

On est dans un genre de film dans le film mais contrairement à ce qu’on voit habituellement, là, les limites se brouillent… 

La réalité, la fiction, le passé et le présent fusionnent souvent dans Barbara car ça ne m’intéressait pas tellement de raconter simplement l’histoire de cette artiste… J’avais surtout envie de troubler certaines perceptions chez le spectateur afin qu’il soit plus réceptif et plus ouvert à la musique  de Barbara qui apparaît tout au long du film au travers de dispositifs musicaux très variés… Cette ruse absolument pas originale du film dans le film m’a permis de prendre les gens dans une sorte de chaloupe où ce sont les mélodies qui les guident comme un effet un peu sous drogue, un moment où l’on se laisse aller…

Et malgré le travail que ce film a dû exiger, il y a quelque chose de très instinctif qui s’en dégage…

Ce sont trois ans de travail « d’historien » qu’il a fallu, dès que le tournage a débuté, mettre de côté pour n’en livrer que des sensations plutôt que des faits… Faire le vide de toute cette connaissance de Barbara m’a permis de remplir chaque plan de plein de choses qui remontaient naturellement à la surface… Le cinéma, bien qu’il exige de la précision, n’est pas une mécanique scientifique, il a avant tout besoin qu’on lui crée un lieu propice aux miracles…

Des miracles captés puis montés…

Le montage est une autre forme d’écriture très musicale qui a à voir avec la respiration… Il y a des apnées, des coupures, des compressions, des frénésies et c’est ce qui rend si étrange ce cinéma qui est obligé de mélanger la maîtrise et l’abandon tout en essayant de mettre un peu la tête de côté. On disait souvent de Barbara qu’elle était une intellectuelle mais ce n’était pas vrai dans le sens où on l’entend communément… Elle l’était par contre dans son amour pour la vie et son intérêt pour tout. C’était un être qui se passionnait pour des tonnes de choses et qui savait faire des courts-circuits entre elles… Entre des paysages et des mots, entre une blessure et une peinture… Elle aurait pu être cinéaste ! (rires) 

 

© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson au Ciné Festival en Pays de Fayence • Photos Yann Rabanier-Modds


Interview parue dans les éditions #1 et #2 du mois de février 2018

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