INTERVIEW
Lorànt Deutsch en interview
La destinée romanesque du maître du vaudeville ne peut laisser indifférents les amoureux des planches… Après Georges et Georges d’Éric-Emmanuel Schmitt, c’est donc au tour d’Antoine Rault de tenter de percer les derniers mystères de Georges Feydeau à travers sa nouvelle pièce Terminus qui vient tout juste de se créer à Orléans. Glissant petit à petit vers la folie à cause de la syphilis, le brillant auteur d’entre autres Monsieur chasse ! oscillera entre moments de démence, de conscience et de jeu face à un public condamné à s’interroger sur le sens même de la folie et de sa véracité…
Lorànt Deutsch dans « Terminus » à Grasse les 18 & 19 octobre • à Monaco le 20 décembre
« La mission d’un acteur est d’être crédible avec du faux… »
Morgane Las Dit Peisson : En pleine répétition de Terminus, une nouvelle pièce…
Lorànt Deutsch : En effet et à une semaine de la première, ça se passe plutôt bien, on n’est pas encore tout à fait prêts mais je crois qu’au théâtre, on ne l’est jamais réellement tant que les représentations n’ont pas débuté ! (rires) J’aime particulièrement cette période de travail car elle nous donne l’occasion d’explorer un territoire qui nous est de moins en moins inconnu au fil des jours. On analyse, on observe, on s’écoute, on fignole… C’est une phase très agréable même si ce qu’on attend de pied ferme maintenant, c’est la « sanction » du public !
Il y a l’apprentissage du texte mais surtout celui de la gestuelle et de l’espace…
Les gens sont souvent épatés par la quantité de texte à retenir alors que dans notre métier, c’est finalement la partie la plus facile ! (rires) Le plus ardu c’est de se mouvoir dans l’espace avec naturel et c’est d’ailleurs très flagrant dans les films, lorsque l’on fait un travelling sur deux comédiens en train de marcher ! Ils ont une démarche souvent tendue et torturée – je m’inclus dans le lot bien sûr ! (rires) – donc même si le texte est dit à la perfection, les propos perdent en réalisme à cause du corps alors que la « mission » d’un acteur est d’être crédible avec du faux.
Un « faux » imaginé cette fois-ci par Antoine Rault…
Ce que j’aime chez cet auteur c’est qu’il maîtrise véritablement la punchline « utile » ! Terminus est pleine de ces fulgurances implacables et imparables sans que celles-ci ne s’imposent comme un but en soi. Antoine Rault nous donne rendez-vous avec des phrases terribles, tels des slogans qui ne peuvent laisser personne indifférent. Pour un comédien, c’est formidable d’avoir ça en bouche !
Un auteur contemporain qui voyage dans le temps…
On s’aperçoit – que ce soit avec sa précédente pièce ou celle-ci – qu’il s’intéresse au passé pour aborder des problématiques qui nous parlent toujours autant aujourd’hui… En fait, rien n’a beaucoup changé en 2000 ans, on est toujours animés par les mêmes désirs de puissance et d’éternité ainsi que les mêmes instincts de conservation et de reproduction… Et si, avec Le sytème, l’auteur nous plongeait dans la finance, le pouvoir et leurs abus, avec Terminus, il traite d’une folie que l’on ne connaît peut-être pas tellement mieux qu’en 1920. C’est un sujet qui me touche étant parrain de la Fondation Falret qui accompagne les personnes frappées par des maladies mentales. À l’heure actuelle, on est encore trop impuissants par rapport à ces bouffées délirantes… On est finalement tous concernés, entre burn-out, dépression, Alzheimer ou autres troubles psychiques, par ces pertes de faculté et d’identité.
Une pièce « sur » mais pas « de » Feydeau…
L’univers de Terminus n’est pas celui de ses pièces mais bel et bien celui du sanatorium où il a séjourné à la fin de sa vie. C’est à la fois sombre, nébuleux, crépusculaire et fantasmagorique à la Houdini et à la Méliès… On ressent cette atmosphère de bouleversements dûs à la Première Guerre mondiale, cette fin de Belle Époque et d’insouciance. C’est aussi la période où le cinéma que Feydeau craignait arrive, lui qui avait peur que celui-ci ne tue le théâtre… C’est un contexte très noir pour cet homme dont la folie et la fin de vie semblent faire écho à la fin d’un monde.
Mais ça reste une comédie…
C’est la vraie magie du théâtre en général et de ce texte en particulier… On va convoquer les plus grands personnages de Feydeau et les êtres qui ont traversé sa vie pour mettre en scène son imaginaire, ses craintes et son impression de persécution mais on va aussi traiter de la mort et témoigner de l’Histoire qui, quant à elle, continue son chemin en dehors des murs de ce sanatorium…
© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson • Photos droits réservés
Interview parue dans les éditions n°396 #1, #2 et #3 du mois d’octobre 2018
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