CINÉMA
« L’enfant qui mesurait le Monde » : Bernard Campan à la croisée des destins
L’enfant qui mesurait le Monde de Takis Candilis
cinéma / drame
- sortie nationale le 26 juin 2024
L’enfant qui mesurait le Monde : Vue d’une île
L’enfant qui mesurait le monde, réalisé par Takis Candilis, est un film « tumulte ». Dans cette adaptation du livre éponyme de Metin Arditi (2016), on découvre un homme de poigne dont la vie semblait toute tracée et qui, après un coup de téléphone en pleine réunion, voit son destin bouleversé… Ou remis en ordre… La lecture de chacun le dira. À découvrir en salle à partir du 26 juin.
Alexandre Varda – Bernard Campan -, promoteur immobilier qui se rêvait architecte, se retrouve mis au ban de sa propre société par ses actionnaires. Lors d’une réunion ultra tendue, le téléphone sonne. Il apprend que sa fille, qu’il n’a pas vue depuis plus de 10 ans est morte, chez elle, en Grèce. En quelques minutes, le monde s’écroule : il n’a plus de boulot et les chances de renouer avec sa fille viennent définitivement de disparaître. Pour rapatrier le corps, il doit se rendre sur place. Lui, fils de parents grecs dont il a farouchement « enterré » l’héritage, se retrouve dans son pays d’origine. Sur l’île de Kalamaki, il rencontre les gens qui faisaient le quotidien de sa fille et lui apprennent qui elle était. Il découvre aussi Yanis, son petit-fils dont il ignorait l’existence. Une existence particulière, très ancrée dans la terre de son île, car Yanis est autiste. Dans le titre, c’est lui « qui mesure le monde », pour se rassurer et surtout pour répondre à sa quête de l’équilibre absolu : celle du nombre d’Or. Chamboulé par ces apparitions et disparitions qui, pour le coup, déséquilibrent sa vie, Alexandre délaisse peu à peu ses oripeaux grandiloquents pour retourner à l’essentiel – le lien d’amour qui va l’unir à Yanis – tandis qu’il se retrouve au cœur d’un conflit entre la population locale et un promoteur immobilier (tiens, tiens) en passe d’implanter un resort sur Kalamaki.
Si le film est avant tout une histoire de destins, il est aussi une fenêtre ouverte sur la Grèce contemporaine. Tourné à Spetsès – puisque l’île du livre n’existe pas -, le film dépeint une Grèce authentique, loin des clichés des brochures d’agences de voyage et qui se remet difficilement de la crise économique des années 2010. Car dans ce long-métrage, la fiction se mêle à la réalité à tout bout de champ. Si les personnages d’Alexandre et de Yanis, comme tous les autres, ont été inventés par Metin Arditi et repris par Takis Candilis, ces protagonistes entrent en résonance avec l’histoire personnelle du réalisateur. Lui-même né de parents grecs arrivés en 1945 sur le sol français, il a enfoui son héritage culturel familial très profondément jusqu’à se sentir « 100% français ». Quand le personnage d’Alexandre, lui aussi redécouvre ses racines, la corde sensible vibre chez Takis. Et puis, il se retrouve également dans le choix professionnel d’Alexandre. Quand ce dernier ne parvient pas à devenir l’architecte de ses rêves, il se replie sur la promotion immobilière pour « construire des choses moches », comme lui assène sévèrement Yanis. Takis Candilis lui, s’imaginait réalisateur. En 1982, il réalise son premier long-métrage – Transit avec Richard Borhinger – qu’il considère, malgré une sélection dans la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes, comme un échec cuisant, au point de ne plus toucher une caméra jusqu’à cette nouvelle création. Entre temps, il fut producteur et a occupé de très hauts postes chez TF1 puis chez France Télévisions.
Ce film incroyablement riche conjugue ainsi de nombreuses thématiques : l’exil et l’assimilation culturelle, les liens familiaux, le handicap, l’avidité du capitalisme et la crise économique en Grèce. Ces « concepts » sont directement incarnés par les personnages, tous très charismatiques. Bernard Campan – dont on ne mentionne même plus la carrière d’humoriste avec ses comparses des Inconnus – s’illustre depuis plusieurs années dans de nombreux rôles de comédies plus ou moins dramatiques telles que Le cœur des hommes, Presque, Se souvenir des belles choses ou, dernièrement Et plus si affinités… Avec L’enfant qui mesurait le monde, il endosse les traits d’un homme dur et fermé avec une grande justesse, qui ferait justement oublier la bonhommie du comédien. L’autre héros du film est bien entendu Yanis, porté par le jeune Raphaël Brottier, éblouissant de candeur et de naturel. Le petit garçon de 10 ans n’est pas autiste dans la « vraie » vie, mais il s’est largement nourri de sa propre expérience familiale et de son frère, quant à lui, handicapé. Le reste du casting est grec, pour la plus grande joie du réalisateur qui a souhaité tirer jusqu’au bout les fils de l’authenticité.
© Claire Thiebaut pour Le Mensuel / photo DR / juin 2024
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