INTERVIEW
Laurent Natrella en interview
Preuve vivante que la médiatisation ne va pas toujours de pair avec l’ampleur du talent, Laurent Natrella – sociétaire à la Comédie-Française – ne fait pas réellement partie des visages que nous connaissons le mieux… Papillonnant avec une aisance incroyable du répertoire classique au répertoire contemporain et du jeu à la mise en scène, ce comédien est de ceux qui forcent le respect ne serait-ce que par l’intensité du rythme qu’ils s’infligent pour être constamment sur tous les fronts. Bien qu’en permanence sur les planches, l’acteur continue à surveiller de près les pièces Après une si longue nuit et Handball le hasard merveilleux dont il signe les mises en scène.
Handball le Hasard Merveilleux / Après une si longue nuit
A Avignon au festival Off du 07 au 30 juillet 2017
« C’est du narcissisme, il ne faut pas se mentir ! »
Vous êtes sociétaire de la Comédie-Française…
Laurent Natrella : La Comédie-Française a tendance à impressionner mais au quotidien, c’est avant tout une troupe et un travail de tous les jours. Nous avons tous beaucoup de représentations théâtrales à assurer la plupart du temps en alternance… C’est très courant de jouer plusieurs pièces à la fois ! En ce moment, je jongle d’ailleurs avec quatre spectacles différents et à ça, s’ajoutent les tournées puisque cette institution rayonne dans toute la France. Et encore, je ne vous parle pas des tournages de films, du Grenier des Acteurs, du Grenier des Poètes, du Grenier des Maîtres ou encore des enregistrements à France Inter ! (rires)
Le travail de mémoire doit être colossal ?
La mémoire des textes est quelque chose de très particulier. Nous y passons beaucoup de temps alors, forcément, au bout d’un moment, ça finit par rentrer !(rires) Et puis, viennent se greffer les mémoires ges- tuelle et sensorielle qui nous permettent de donner une identité physique à nos personnages nous empêchant ainsi de les mélanger. Ça peut sembler un peu galvaudé à force, pourtant il est vrai qu’il existe une magie sur scène qui fait que non seulement le public croit à ce qu’il voit mais l’acteur aussi.
L’envie de devenir quelqu’un d’autre…
En ce qui me concerne, je crois que mon besoin constant d’être quelqu’un d’autre à travers les personnages que j’incarne provient d’une curiosité que j’entretiens pour tous ces « autres » possibles… C’est un travail introspectif de recherche qui nous amène à une certaine compréhension de l’autre, à une écoute de l’humain.
On imagine l’acteur égocentrique alors qu’il doit savoir s’abandonner pour comprendre l’autre…
C’est un paradoxe en effet assez notable… L’acteur a son corps, son physique, sa voix, sa pensée, il se montre et attend des retours… C’est du narcissisme, il ne faut pas se mentir ! (rires) Toutefois, les grands acteurs – afin d’éviter de devenir insupportables – savent trouver le point d’équilibre entre la belle et grande humanité et cette dose d’ego essentielle dans ce métier.
Vous êtes aussi metteur en scène…
Pour moi, toutes les activités annexes ont un lien étroit avec l’amour que je porte au jeu de l’acteur. J’enseigne d’ailleurs beaucoup à Sciences Po et au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique car ça me plaît de passer du temps avec mes élèves, acteurs en devenir. C’est passionnant pour moi car, en les aidant à aller vers eux-mêmes, je me plonge dans une véritable recherche de personnalités… Donc au coeur de tout, pour moi, il y a l’humain… La mise en scène de la pièce Après une si longue nuit s’est d’ailleurs imposée à moi après avoir eu un coup de coeur pour deux des acteurs.
Cette pièce demande aux acteurs d’interpréter leurs rôles depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte…
Ça été une recherche très intéressante… Quatre frères et sœurs se retrouvent à l’hôpital où leur mère adoptive vit ses derniers instants. Cette femme avait recueilli ces enfants traumatisés par les guerres et, après dix ans sans s’être revus, cette triste nuit va faire ressurgir le passé. Il a vraiment fallu trouver l’enfance dans chacun des personnages afin que ce soit crédible et que la pièce dégage une véritable énergie de joie malgré le postulat de départ…
Handball… est un seul en scène…
On ne voit qu’une personne sur les planches mais y a une multitude de personnages. Brigitte Guedj avait une histoire à raconter de hasard, d’émotions et de coups de théâtre avec en toile de fond, l’Algérie. Sa pièce met en scène Sylvie, entraineur d’une équipe féminine de handball qui va se retrouver à Constantine où elle née. Elle va renouer avec son passé notamment par rapport à sa tante, – son héroïne – qui brava la dominance masculine, la famille et la religion. Cette pièce a été faite avec beaucoup d’humour, de courage et de poésie…
Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson • Photo Droits réservés
Interview parue dans Le Mensuel de l’été 2017 n°383 éditions #1 et #2
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