INTERVIEW
Kyan Khojandi en interview
Bien qu’elle ait eu une durée de vie plutôt courte (une seule année dans Le Grand Journal de Canal +), la série Bref. imaginée par Kyan Khojandi et son acolyte Bruno Muschio, aura indéniablement marqué les esprits, un peu comme Palace à la fin des années 80… Un format court et énergique articulé autour d’un personnage central qui partageait avec le téléspectateur quelques-unes de ses pensées les plus intimes. Rapidement devenu dans la bouche des gens « le mec de Bref. », Kyan Khojandi – qui l’interprétait – en aurait presque fait oublier qu’il avait, bien avant cette expérience, goûté aux plaisirs de la scène et de l’écriture. De retour donc dans son premier élément, on le découvre finalement pas si différent du type du petit écran, celui qui réussissait à nous captiver avec un quotidien d’anti-héros anonyme à la vie aussi peu trépidante que celle du commun des mortels. Poursuivant sur les planches, cette fois-ci, son exploration de l’être humain dans un spectacle intitulé Pulsions, l’humoriste s’intéresse avec sincérité à toutes ces questions et tous ces instincts qui, bien que des plus naturels, nous donnent constamment l’impression d’être quelqu’un d’étrange…
« PULSIONS »
Au festival Performance d’Acteur de Cannes le 16 avril
« Je suis moi, sans artifices… »
Morgane Las Dit Peisson : Ton spectacle Pulsions réussit à parler à tout le monde…
Kyan Khojandi : On le voit en tournée, c’est vrai que les gens se retrouvent beaucoup, sans aucune distinction, dans Pulsions et c’est très jouissif car avec Navo – mon co-auteur – on a vraiment travaillé dans ce sens là. Je voulais, en exagérant et une fois dépassée la barrière de la langue, que même un indien, un chinois ou en américain qui aurait des références et une éducation très différentes des nôtres puisse être sensible à notre propos alors du coup, le contenu sonne très universel. J’essaie réellement de pratiquer un humour qui rassemble.
Un humour universel et un spectacle intemporel…
En tous cas on l’espère ! (rires) Il n’y a pas d’actu dans ce spectacle, il n’est pas marqué dans le temps comme ne l’était d’ailleurs pas Bref. et on est dans le pur comique de situation. On verra dans dix ans si ça a bien vieilli mais logiquement, ça ne devrait pas sembler trop périmé ! (rires)
Pulsions traite de ces instincts qu’on réprime ?
C’est exactement ça et quand j’ai fait Bref., je parlais finalement déjà de ça car je n’abordais que des sujets liés à l’intime… J’aime tellement explorer l’intimité que je ne pouvais pas passer à côté des pulsions ! On en a tous une multitude en nous mais on n’en parle presque jamais. Alors vu qu’en général ces instincts nous dépassent, ils nous mettent assez souvent dans des situations plus ou moins drôles et ça, ça s’avère être un véritable terreau pour la comédie !
On retrouve quoi comme type de pulsions ?
Évidemment, on aborde la question de la plus connue d’entre elles, la pulsion sexuelle, mais elle en côtoie beaucoup qui vont de la pulsion d’amour à celle de la vengeance, de la nourriture ou de la violence… C’est pour ça que ça interpelle tous les publics car même si on n’en parle pas, on ressent tous plus ou moins les mêmes choses au cours de nos vies.
Aucun personnage entre le public et toi pour en parler…
Non, je suis vraiment parti sur une forme d’expression assez simple et franche. C’est du stand-up, je suis seul, je suis moi sans artifices et sans grand renfort d’effets ou d’éclairages et surtout, je m’adresse directement au public pour lui livrer mes pulsions et lui expliquer comment je tente de les gérer. Certes, je le fais de façon drôle, je n’ai pas la prétention de changer la vie des gens ou de m’imposer comme un guide, mais je trouvais ça étrange que dans des sociétés si avancées, on ne nous apprenne pas plus à analyser et maîtriser ces réactions presque primitives alors ça m’a donné l’idée de m’y intéresser…
Voir que le public se retrouve dans ton spectacle, c’est rassurant finalement ?
À fond ! (rires) Ça m’a vraiment rassuré car je me suis senti tout à coup beaucoup moins seul ! (rires) J’ai longtemps été en quête de normalité car à force de vivre dans une société où l’on banalise tout, j’avais l’impression que j’étais parfois seul à ressentir certaines craintes ou à me poser certaines questions… On lisse tout, on ne doit pas dire quand on ne va pas bien, ni quand on a peur, ni quand on a échoué, ni quand on angoisse… On est dans un mensonge général qui est peut-être nécessaire à la masse pour avancer mais qui moi me perturbe un peu. Je suis plutôt d’avis que l’on doit parler des choses, mettre des mots dessus pour essayer de s’en libérer.
Tu réussis à toucher à l’intimité sans gêner les gens…
C’est le piège dans lequel il ne fallait pas tomber en effet mais à chaque fois que c’est sur le point de devenir gênant, la blague arrive et fluidifie l’ensemble. Pour en arriver là, on a travaillé pendant deux ans sur le texte avant de le peaufiner pendant un an sur scène.
Pourquoi s’être lancé dans cette thérapie scénique, toi qui recherchais la « normalité » ?
Je crois que j’ai définitivement admis que la normalité n’existait pas alors pourquoi pas la scène finalement ? (rires) J’ai toujours été fasciné par ces gars qui étaient capables d’aller sur les planches mais avant d’avoir le cran de suivre leur exemple, je peux te dire qu’il y a eu bon nombre de peurs et de doutes… Car si l’air de rien, décider d’aller faire rire les gens relève, au départ, d’une certaine prétention, quand tu as réussi à le faire en dépassant certaines de tes appréhensions, c’est petit à petit une prodigieuse notion de plaisir qui prend toute la place… Être à la fois si seul en scène et si soutenu par le public, c’est je crois la plus puissante et singulière des thérapies…
© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson • Photo Sven Andersen
Interview parue dans Le Mensuel d’avril 2017 n°380 éditions #1 et #2
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