INTERVIEW
Kery James en interview
Habituellement connu et reconnu pour ses talents de rappeur, Kery James a surpris en débarquant sur scène avec un projet théâtral intitulé À vif… Pourtant, à bien y regarder de plus près, il n’était pas si étonnant d’apprendre que l’auteur de Banlieusards et de Lettre à mon public ait tout simplement encore envie d’écrire… Car si la forme est différente, le fond quant à lui n’a pas bougé. Loin de s’être adonné à la création d’une pièce de boulevard, le maître du rap politique et « conscient » a imaginé une joute verbale entre deux jeunes avocats qui confrontent leurs idées sur la situation des banlieues françaises et sur le rôle que jouent l’État et ses concitoyens, c’est à dire nous… Extrait issu d’un long-métrage en préparation, ce texte résume à merveille ce pour quoi et contre quoi l’artiste se bat depuis une vingtaine d’années. Sensible, concerné et engagé et alors qu’il travaille également en studio en parallèle de cette tournée, Kery James, bien conscient que l’éducation et le savoir sont les premiers remparts contre l’échec et la violence, donnera de son temps mais aussi de son argent pour aider, le 07 mai prochain, un jeune grassois à mener à bien ses études…
Kery James pour sa pièce « À vif » à Nice les 22 et 23 mars et pour son concert « A.C.E.S. Tour » à Grasse le 07 mai
« Le mal a malheureusement toujours quelque chose d’attirant… »
Morgane Las Dit Peisson : Les salles sont constamment pleines pour votre première pièce de théâtre À vif…
Kery James : On est depuis le début de la tournée très bien accueillis avec À vif alors ça fait évidemment plaisir car ça signifie, au delà de nos « égos » de comédiens, qu’il y a un réel intérêt voire même un engouement pour le sujet qu’on aborde et c’est, je crois, le premier but recherché par tout artiste…
On vous découvre comédien mais les propos de la pièce sont dans la continuité de votre musique…
Dans À vif, il y a en effet tout ce que je défends à travers ma musique depuis 20 ans… C’est un genre de résumé de trois des morceaux les plus importants de ma carrière : Banlieusards qui est un hymne à la réussite, Lettre à la République qui est un brûlot adressé à ceux qui nous dirigent et enfin, Constat amer dans lequel je pointe du doigt nos propres contradictions à nous, les « banlieusards » qui formons une deuxième France…
À vif pose la question de la responsabilité de l’État dans le problème des banlieues…
Cette pièce pose en effet la question « L’État est-il seul responsable de la situation actuelle des banlieues ? » mais n’attend pas vraiment de réponse… Une spectatrice assez âgée m’a dit un jour que ce texte n’apportait pas de réponse à la question mais permettait aux gens de se poser des questions sur des réponses toutes faites que les médias ou les politiciens leur avaient donné… Ça m’a énormément touché car c’est le premier objectif que j’avais en l’écrivant !
« L’État est-il seul responsable… », laisse deviner qu’il n’y aura pas de réponse manichéenne…
En effet, la question est tronquée par l’ajout du mot « seul » pour essayer, justement, de ne pas mettre le bien d’un côté et le mal de l’autre… On tente d’apporter, avec Yannik Landrein, des nuances à travers les différents arguments – souvent contradictoires – de nos deux personnages. Naturellement, les spectateurs s’aperçoivent qu’ils sont tantôt d’accord avec l’un, tantôt avec l’autre et ça leur prouve que – que ce soit dans ce débat fictif entre deux avocats ou dans la vraie vie -, il n’y a jamais rien de clairement établi, rien n’est tout noir ou tout blanc.
Vous dénoncez tous les clichés car, peu importe de quel côté on se trouve, on en subit toujours…
On parle des clichés, on les montre pour mieux les démonter… Soulaymane, le personnage que j’interprète a des a priori sur Yann en pensant qu’il est un petit bourgeois né avec une cuillère d’argent dans la bouche et de la même manière, ce dernier en a autant au service de Soulaymane puisque, la première fois qu’il le rencontre, il est immédiatement certain qu’il deale dans sa cité. Il n’y a pas de bons et de gentils, juste des gens qui ne prennent pas toujours le temps d’apprendre à se connaître avant de se faire une opinion. Parler de ces préjugés permet de les exhorter afin qu’ils ne restent plus des tabous et de tenter de les faire tomber. On a souvent peur d’évoquer ces thématiques car si on le fait mal, on court le risque de les véhiculer encore plus…
À vif est extrait d’un long-métrage à venir, Ne manque pas ce train…
C’est l’histoire de trois jeunes français d’origine africaine vivant en banlieue. L’aîné, Demba, est aux portes du grand banditisme, le second, Soulaymane, est un élève avocat qui arrive en finale du Concours de la petite conférence et le troisième, Noumouké qui est en balance entre les deux. Tout l’enjeu de mon personnage sera de faire en sorte que son petit frère ne suive pas le même chemin que le plus grand… Le mal a malheureusement toujours quelque chose d’attirant et le piège, c’est qu’il est beaucoup plus facile et rapide à atteindre. On le voit dans toute notre société, ce qui tire les gens vers le bas fonctionne toujours mieux que l’inverse !
On vous retrouvera sur scène à Grasse le 07 mai prochain pour un projet musical et pédagogique…
En 2008, j’ai fondé l’association A.C.E.S. – Apprendre, Comprendre, Entreprendre et Servir – qui propose du soutien scolaire mais aussi et surtout du financement d’études supérieures… J’ai organisé une tournée du même nom au cours de laquelle je reverse une partie de mon cachet à un jeune habitant la ville où je me produis donc le 07 mai prochain, c’est un grassois qui pourra en bénéficier. C’est une bourse d’un montant de 6000 euros financée par le footballeur Franck Ribéry, le basketteur Evan Fournier et moi-même… Pour la remporter, il faut que l’étudiant s’inscrive sur bourseaces@gmail.com…
© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson • Photos Nathadread-Pictures
Interview parue dans les éditions #1 et #2 du mois de mars 2018
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