COUPS DE COEUR

Julie Zenatti en interview pour son nouvel album « Refaire danser les fleurs »

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Après 25 ans de carrière, c’est en dehors des sentiers battus que Julie Zenatti a choisi de continuer sa route… Devenue une artiste indépendante (avec tout le poids et les sacrifices que ça exige), elle a sorti un album – « Refaire danser les fleurs » – qui casse les codes et s’affranchit des modes ! Aussi pétillant et vivifiant que son titre « Tout est plus pop« , son apparente légèreté colorée n’étouffe en rien l’esprit et la sagacité des sujets abordés… 


« Regarder tout ça avec un peu plus de hauteur, d’humour et de lâcher-prise… »


 

« Je me suis vraiment laissée porter par les références musicales de mon enfance… »

Morgane Las Dit Peisson : Cet album – Refaire danser les fleurs – a eu un peu de retard à cause de l’actu…

Julie Zenatti : On s’est dit que même si ce n’était pas forcément le moment de sortir un disque, il fallait qu’on le fasse. On avait le sentiment qu’il pouvait mettre du baume au cœur et faire plaisir aux gens !

Il est ton 9ème album…

On se demande si les gens vont s’y retrouver, s’ils vont aimer… C’est comme une 1ère fois à chaque fois, il n’y a aucune lassitude car finalement, aucune sortie d’album n’est similaire !

C’est encore plus vrai en ce moment où la vie qu’on mène ne ressemble en rien à celle que nous avons pu connaître jusqu’à présent… Sortir un nouvel album dans ce contexte là est loin d’être « normal » et rassurant… C’est peut-être même imprudent financièrement, mais je reste convaincue que c’est utile de continuer, particulièrement en cette période, à proposer un peu d’évasion…

Des références assumées à Berger, Balavoine ou Gall… 

Je me suis vraiment laissée porter par les références musicales de mon enfance. Elles ont des textures très chaleureuses et enveloppantes… C’est une musique qui s’est imprégnée en moi sans que je l’analyse. Je voulais juste que les gens se laissent surprendre par un tempo qui rappelle les battements de leurs coeurs…

Un album produit en totale indépendance…

J’aime trop chanter pour accepter la frustration. Le fait d’être dans une industrie qui est colossale et en souffrance (donc combattive et agressive), m’aurait obligée à devoir lutter contre des codes qui ne sont pas les miens. J’ai préféré m’extraire de ça. Je pense qu’un artiste doit écouter son instinct avant de céder à la pression des chiffres… J’ai un public qui me suit et à bientôt 40 ans, je n’ai pas envie de me laisser imposer tout et n’importe quoi ! (rires)

 

« Le privilège de l’âge et de l’expérience, c’est de pouvoir se délester de plein d’angoisses »

C’est l’avantage de l’âge, un peu comme dans Paisiblement fou

Tout cet album parle de la façon dont on peut apporter un peu de légèreté dans un quotidien qui, parfois, semble lourd… Vieillir, avoir l’impression d’avoir moins de rêves, de projets et d’avoir peu de temps… Refaire danser les fleurs c’est essayer de regarder tout ça avec un peu plus de hauteur, d’humour et de lâcher-prise pour réaliser qu’en fait, c’est plutôt cool de ne pas avoir besoin de s’ouvrir les veines pour prouver à son amoureux qu’on est folle de lui ou d’être numéro 1 du top album pour être une artiste qui vaut le coup ! (rires) Le privilège de l’âge et de l’expérience, c’est de pouvoir se délester de plein d’angoisses qui sont finalement très adolescentes, mélodramatiques et égocentrées…

 

« Je me suis baladée dans la musique des années fin 70 à milieu des années 80… »

Des morceaux nuancés…

C’est vrai qu’il n’y a pas de codes. Je me suis baladée dans la musique des années fin 70 à milieu des années 80… Léo est très acoustique avec des grosses batteries et guitares alors que Tout est plus pop est beaucoup plus « catchy » avec des cocottes… Je ne sais pas si c’est l’indépendance qui fait ça mais pour moi, c’était la musique qui semblait correspondre le plus à la femme que je suis aujourd’hui. Ces morceaux sont comme nous les femmes : nuancés ! (rires)

Dans Refaire danser les fleurs il y a un amusement qui se ressent, qui s’entend clairement alors qu’en ayant fait le choix d’une totale indépendance, il t’a demandé un travail colossal et certainement beaucoup de sacrifices…

J’ai d’abord commencé par ce que je « maîtrise », c’est-à-dire l’artistique. Je me suis concentrée sur la musique, j’ai kiffé ce que j’étais en train de faire en toute liberté entourée de plein de musiciens et en prenant mon temps ! C’est la deuxième étape qui a été évidemment la plus difficile… Comment présenter ces chansons aux gens, comment faire pour qu’elles aient une vie en dehors du studio, comment devenir un producteur en fait ? (rires) Ça m’a pris du temps de répondre à ces questions et ça m’en a pris également de l’expliquer ensuite aux médias. On nous prend souvent – les artistes – pour des petites choses un peu fragiles, pas forcément malignes et c’est encore pire quand on est une femme… Ça reste un métier très masculin… La facilité pourrait parfois nous pousser à tomber dans la séduction mais c’est le piège dans lequel il ne faut pas se laisser prendre si l’on veut réussir à imposer ses choix… Pour moi ce n’est pas vraiment un problème car je suis une artiste assez assexuée mais c’est cette partie qui a représenté le plus long travail : m’imposer en tant qu’ « artisan de la musique ». Je n’aime pas tellement le mot « producteur » car il est connoté négativement. On l’imagine avec un gros cigare et plein de billets bien que ce ne soit plus le cas depuis longtemps ! (rires) Il a fallu du temps pour prouver à pas mal de gens que ça valait le coup de suivre ce projet…

 

« C’est un mouvement que le public et les artistes vont faire ensemble ! »

D’une certaine manière, tout le monde n’est pas obligé d’en passer par là pour réinventer ce domaine ? Il a été énormément transformé ces 30 dernières années, aujourd’hui, les ordinateurs et les voitures n’ont plus de lecteurs de disques… La sortie d’un album « physique » est plus devenue une excuse pour se donner rendez-vous…

Je pense que nous, les artistes, on a compris ce changement mais que l’environnement dans lequel on évolue ne l’a pas suffisamment pris en compte… Les gens consomment la musique différemment et ça devient compliqué de réussir à « vendre » quelque chose que l’on a « donné » avant qu’ils n’aient eu le temps de l’acheter… Quand on dévoile un titre, ce n’est pas une bande-annonce de film, c’est le titre complet et ensuite, on demande au public d’aller l’acheter… C’est un « commerce » assez étrange finalement… Si on veut pouvoir continuer à vivre de notre travail, il faut que l’on propose des choses différentes aux gens mais ce qui nous entoure n’est pas encore vraiment en adéquation avec ça alors ça va demander encore un peu de temps…

Être indépendant est le début de cette démarche… Des gens me laissent des petits messages sur mes réseaux pour me dire qu’ils ont acheté mon CD alors qu’ils n’ont plus de lecteur CD… Ils le font pour me soutenir et parce qu’ils ont conscience que c’est une industrie qui souffre et qui, pour continuer à faire vivre les artistes, n’a encore rien trouvé d’autre que la vente de disques… Il faut bien savoir que les ventes de streams ne sont pas rémunérées de façon équitable… Je pense que c’est un mouvement que le public et les artistes vont faire ensemble ! Probablement même avant l’industrie et c’est d’ailleurs ce qui commence petit à petit à se passer…

Sortir un album maintenant, c’est beaucoup de questionnements et de prises de tête… Cette accessibilité à tous les chiffres et la valeur donnée au travail uniquement par le nombre de vues, de likes ou de ventes est une très mauvaise éducation… On ne doit pas aimer quelque chose parce qu’il a 5 millions de vues mais parce que ça nous touche… Cette éducation aux chiffres, le nombre de followers, d’amis, de vues, de likes, de streams met tout le monde dans des cases et je crois que ça a fait beaucoup de tort à notre métier. Ce n’est pas parce que tu ne fais « que » 200 000 vues sur ton clip, qu’il est pourri ! Dis-toi plutôt que tu as 200 000 personnes qui t’ont ouvert la porte de chez eux, c’est quand même fou ! (rires) Et puis, il y a les vraies et les fausses vues… La seule vraie « chose » sur laquelle on ne peut pas tricher pour le moment, c’est le nombre de ventes de disques en magasin… Et, en temps normal bien sûr, les billets de concert !

 

« Je fonctionne aux coups de coeur ! »

Des duos avec Rose et un jeune artiste, peu connu du public, Alban Lico…

Alban est un auteur-compositeur-interprète qui écrit beaucoup pour les autres mais puisque j’adore sa voix, je lui ai demandé de chanter avec moi le titre que l’on avait fait ensemble. Ça rejoint ce que l’on disait sur le nombre de vues, je fonctionne aux coups de coeur alors je ne pourrais pas choisir de partager un morceau avec un artiste qui me laisserait artistiquement insensible uniquement pour « gagner » un peu de notoriété… Sur Méditerranéennes, je suis allée chercher des artistes que le public ne connaissait pas nécessairement, juste parce qu’ils étaient touchants et incroyables ! Je ne pratique pas le « name-dropping », puisque ça a même un nom… (rires) Je ne voudrais pas qu’on le fasse avec moi alors j’essaye de ne pas le faire aux autres.

Ce titre partagé avec Alban Lico – Et pourquoi pas ? – traite du sexisme…

Oui, ce sexisme « ordinaire » que la femme, depuis des millénaires, se prend en pleine face de manière très quotidienne et surtout très banale. Ça va de « femme au volant, mort au tournant » aux clichés sur les blondes écervelées… Ce sont des petits adages qui ont pour but de faire rigoler tout le monde mais qui, de façon insidueuse, blessent et surtout abîment l’estime que l’on peut avoir de soi et il y en a beaucoup dans la langue française… Une nana peut ne pas être contente de quelque chose et le faire savoir sans qu’on renvoie ses remarques en disant qu’elle a ses règles ! Je pense qu’il est important pour la nouvelle génération d’hommes de participer au rétablissement de l’ordre de ce petit machisme inconscient qui n’est malheureusement pas sans conséquences ni dérives parfois très violentes… La femme n’existe pas pour que l’homme puisse continuellement poser un regard et un jugement sur elle…

© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson • Photos Pascal Ito


Interview parue dans Le Mensuel n°419 d’avril 2021

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