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CINÉMA

Jean Dujardin en interview pour le film « Sur les chemins noirs »

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« Je ne fonctionne qu’aux coups de coeur… » Jean Dujardin

 

Bien que son talent de comédien ne fasse pas débat depuis plus de 20 ans, Jean Dujardin continue à nous surprendre de projet en projet. S’aventurant dans tous les registres auxquels ses métiers lui permettent de se frotter, il est tour à tour hilarant, beau gosse, muet, léger, grave ou intense et, à chaque fois, il nous apparaît étonnamment encore plus criant de vérité que la fois d’avant ! Alors qu’on peut l’entendre en ce moment dans nos salles obscures dans le rôle de narrateur des Gardiennes de la planète qui nous plonge dans un monde bien moins silencieux qu’on ne pourrait le penser, Jean Dujardin sera à l’affiche du nouveau long-métrage de Denis ImbertSur les chemins noirs – dès le 22 mars prochain.

Campant Pierre dans cette adaptation de l’ouvrage de Sylvain Tesson, l’acteur a, comme lui, emprunté les chemins les plus escarpés pour se rendre, à pied, du Mercantour au Cotentin. Retraçant l’accident et la reconstruction tant physique que mentale de l’écrivain, ce film ne pouvait exister que si le comédien choisi acceptait de lâcher-prise au point de réussir à ne pas « jouer » pour la caméra mais simplement « exister » devant elle. Pari réussi… 

 

 


 

 

Jean Dujardin pour « Sur les chemins noirs »

interview / cinéma

  • 22 mars 2023 / sortie nationale en salle

 

 

 

Morgane Las Dit Peisson : Présenter un nouveau projet au public…

Jean Dujardin : On a toujours un peu envie de s’excuser ! (rires) Je rigole, mais on n’est pas très loin de ça… S’excuser, j’exagère un peu mais c’est très bizarre de prétendre d’un coup que ce trajet, que ce moment qu’on a vécu avec soi, avec une équipe, avec Sylvain Tesson et avec une narration puisse intéresser des gens. C’est un pari à chaque fois. Quand on présente un film au public on ne peut pas s’empêcher de se demander s’il va avoir envie de nous accompagner et c’est encore plus vrai avec Sur les chemins noirs. Va-t-il avoir le désir d’emprunter ces chemins avec nous et de se laisser happer par quelque chose d’un peu plus lent et méditatif que ce qui se fait à notre époque ? C’est un nouveau pari mais je trouve ça étrangement très apaisant en tant qu’acteur car comme à chaque fois, c’est un film que j’ai eu envie de faire, c’est un film que j’aurais aimé voir en tant que spectateur. Je ne fonctionne que comme ça, au coup de coeur.

 

 

« Plus qu’un tournage, ça a été un voyage… »

 

Sur les chemins noirs a été tourné en partie dans la vallée de la Roya, au coeur du Mercantour, un peu après la tempête Alex…

C’était assez chaotique… Rien que l’arrivée en voiture était dingue… On roulait où on pouvait en passant, en 4×4, par des pistes. On a vu des gens très isolés du côté de Casterino et on est allé dans des hôtels qui nous ont accueillis avec une extrême gentillesse tant ils étaient heureux de nous recevoir ! Ça faisait plus de 6 mois qu’ils n’avaient vu personne… On est donc passé par du tragique mais aussi et surtout par du merveilleux et du très beau dès qu’on a commencé à monter dans le Mercantour et à écouter les gens de la région qui nous ont parlé des mélèzes, des arbres, des fleurs… Ça a été un tournage très enrichissant pendant lequel on a énormément appris pendant les off… Plus qu’un tournage, ça a été un voyage…

On n’a quasiment pas joué une scène en intérieur alors on a pu rencontrer des villageois qui se sont prêtés au jeu en venant tourner avec nous. Ils nous ont offert à boire et on a rigolé au point, parfois, de ne pas avoir la sensation de faire un film. Et c’est bien aussi de ne pas « jouer » car ça permet de voir plus de choses…

 

 

« J’ai eu le sentiment  de faire un peu le tri dans mes pensées… »

 

Des rencontres mais aussi, dans ce film, beaucoup d’introspection, de silences, de dépassement de soi… On finit par oublier la caméra qui nous suit et nous précède ? 

On l’oublie sans l’oublier car on sait qu’elle est là tout le temps et qu’on a quand même une journée à remplir et des scènes à faire. Mais comme disait Jouvet « il ne faut pas montrer, il faut laisser voir »… Il faut garder à l’esprit que le spectateur est intelligent, qu’on n’a pas besoin de tout lui pré-mâcher et encore moins dans ce genre de traversée où le personnage n’est pas interprété pour quelques minutes prise après prise.

 

 

À l’écran c’est Pierre que l’on voit mais pendant tout le tournage, j’ai marché, j’ai eu mal, j’ai boité, j’ai eu faim et j’ai vraiment dû faire du feu. Je n’ai pas joué à en faire. On ne fait finalement pas mieux que le vrai… Peut-être que c’est la petite vingtaine d’années passées dans le métier qui me permet de me détendre un peu et de me dévoiler un peu plus ? Encore que j’ai parfois des rendez-vous avec des films beaucoup plus facétieux et déconnants où au contraire, on me demande d’en faire un peu, voire beaucoup, plus ! (rires)

Et puis, il ne faut pas oublier le travail du metteur en scène et de Magalie, la cadreuse, qui avait toujours une espèce de science et d’instinct pour réussir à se placer tout en réussissant à tourner autour du personnage afin d’aller chercher les bons axes, les bonnes nuques… Parfois, un dos parle plus fort qu’un visage et ce résultat est dû à sa sensibilité. Je suis seul sur l’affiche mais ce genre de film, ça ne peut véritablement se faire qu’à plusieurs.

 

 

J’étais dépendant de son regard, dépendant du metteur en scène et puis, parfois, j’étais aussi dépendant de mes humeurs qui fluctuaient par exemple au rythme de la pluie ou du froid ! (rires) Il a fallu accepter de jouer avec ça car on savait très bien qu’on partait pour 9 semaines très particulières pendant lesquelles on ne serait jamais au même endroit, bien au chaud dans un petit cocon.

Je ne sais pas si j’ai véritablement lâché des choses, mais j’ai eu le sentiment quand même, de faire un peu le tri dans mes pensées et ce n’est déjà pas si mal ! (rires) En tous cas, c’est un film qui sert, je crois, à ça…

 

 

« Chaque rôle que j’ai croisé m’a nourri… »

 

Tout rôle apporte quelque chose à un comédien mais on ressort différent d’un tournage comme celui de Sur les chemins noirs ?

Chaque rôle que j’ai croisé m’a nourri mais pour le coup, c’est encore plus vrai car même si c’est une variation autour de l’histoire de Sylvain Tesson, ça reste, dans le fond, son histoire à lui… 

Il y a une petite frustration de ne pas avoir pu traverser intégralement à pied les 1300 kilomètres comme lui, car j’ai forcément loupé des choses. J’ai vu des jolies choses, rencontré de belles personnes mais j’en voulais encore plus… Il y a comme une petite addiction au chemin qui naît quand on traverse la vallée des Merveilles ou quand on est dans le Cantal. C’est incroyable de découvrir la France comme ça, parfois elle ressemble même à la Patagonie. Il y a plein de choses que je ne connais pas, que je n’ai pas eu le temps de voir et qui me donnent donc très envie d’y retourner ! 

 

Denis Imbert en interview pour le film « Sur les chemins noirs »

 

Et ce que je trouve formidable, c’est que les spectateurs qui ont assisté aux avant-premières ressentent la même chose. Ils nous disent avoir envie d’emboîter le pas, de prendre des bâtons, de se barrer et de se laisser emporter par les silences que la vie peut offrir. Dans ce film, je crois que les silences et les vides sont aussi importants que les « pleins ». Il y a évidemment ce qu’on dit, les gens qu’on rencontre mais il y a aussi tous ces moments où on se laisse entraîner. 

De toute façon, face au film de Denis Imbert, on ne peut pas rester indifférent, soit on est vite gonflé, soit on est embarqué ! Je ne suis peut-être pas objectif mais je crois que ce long-métrage est une bonne ordonnance pour peut-être se sentir un peu plus apaisé et pour aller rechercher deux ou trois trucs dans son disque dur…

 

 

Le parcours et les ouvrages de Sylvain Tesson…

J’avais lu Berezina, Dans les forêts de Sibérie et celui-ci – Sur les chemins noirs -, je l’avais dévoré d’une traite. J’avais une journée à tuer, j’ai vu ce petit livre et je ne l’ai pas lâché. Je l’ai d’ailleurs posté dans la foulée sur les réseaux, ce qui m’arrive assez rarement ! (rires) 15 jours plus tard, Denis Imbert m’appelait pour me dire qu’il venait d’en écrire l’adaptation et de fil en aiguille, j’ai rencontré Sylvain. On a parlé de tout ça, du film, de ce qu’on voulait et de la nécessaire « vulgarisation » de l’oeuvre. Il a fallu le rassurer sur nos intentions, rassurer les financiers mais aussi les spectateurs. Il fallait équilibrer tout ça sans jamais trahir son histoire.

D’ailleurs, même lui ne voyait pas trop ce que nous allions pouvoir faire de son récit tant l’expérience de cet homme qui traverse la diagonale du vide est mentale et méditative…

 

 

On pourrait croire que ce n’est pas son voyage le plus « impressionnant » mais c’est certainement le plus important…

Oui, c’est son plus bel exploit ! Sur la page de garde, il est quand même inscrit « marche ou crève ». Sur les chemins noirs c’est le fruit d’un besoin de se refaire psychologiquement, physiquement et moralement. C’est très compliqué à ce moment-là pour cet homme qui décide de prendre la route comme une solution, comme la seule solution… Rester immobile est impossible pour Sylvain Tesson, ce serait je crois comme mourrir à petit feu…

 

 

Généralement, quand on part, c’est qu’on prend la fuite. Lui, il part pour mieux se retrouver.

Il est parti avec ses problèmes parce qu’il avait besoin de les jeter. Ça sert à ça 1300 kilomètres à pied… On en dépose un peu dans le Mercantour, dans le Cantal, à La Hague et arrivé à la mer, on se dit qu’on a pas mal allégé son sac pendant le trajet, qu’on s’est libéré de soi-même, de toutes ses prisons… 

 

 

« Ce film est en effet un vrai cadeau pour un comédien… »

 

C’est aussi un film qui permet de dévoiler toute une palette de jeu et de se transformer physiquement…

En finalité, je m’aperçois que ce film est en effet un vrai cadeau pour un comédien mais je ne l’avais pas anticipé. Tout s’est fait assez naturellement, selon la séquence, la scène et les anecdotes d’Arnaud Humann, l’acolyte de Sylvain Tesson. Il part souvent avec lui alors il a pu m’éclairer sur ce qu’il a vécu, sur les douleurs qu’il a endurées, sur ce corps dont il avait parfois marre au point de se sentir encombré de lui-même… 

On a fait des images, j’ai ressenti des choses, on savait à peu près où l’on allait, mais j’ai essayé de ne pas intellectualiser mon physique. Je voulais juste ressentir, jouer avec mes douleurs, avec ma fatigue, avec mes tripes.

 

 

« Je voulais juste ressentir, jouer avec mes douleurs, avec ma fatigue, avec mes tripes… »

 

Et puis, l’isolement – dans mon esprit en tout cas – m’a aussi fait du bien pour être dans le rôle. Je me suis parfois un peu écarté de l’équipe pour essayer de retrouver des silences, des temps à moi, des « insolences » de temps ! C’est devenu un véritable luxe ! On est dans un genre d’algorithme effréné de plateformes où il faut absolument remplir tous les vides, où l’on voit les mecs à la télé qui n’arrêtent pas de faire les cons pour exister mais on n’est plus dans du rire, on est dans une espèce de ricanement permanent pour combler un manque de sens. 

C’est là d’ailleurs que Sylvain Tesson fait du bien car il nous permet de vivre par procuration tout ce que notre schéma social ne nous permet pas de nous offrir. On a été éduqué par une société qui nous a appris à nous marier, à investir, à posséder… En gros, à assurer la survie d’un système où penser à soi en se barrant tout seul à la montagne est marginal. J’ai été très heureux de vivre ça, c’est le vrai luxe de mon métier : pouvoir me prendre pour un autre de temps en temps et être en vacances de moi-même ! (rires)

© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson au Pathé Gare du Sud de Nice pour Le Mensuel / Photos Syspeo – Radar Films – Apollo Distribution / Article paru dans Le Mensuel n°440 de mars 2023

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