Tété
en interview
« Le vrai luxe, maintenant, c’est d’avoir le temps… »
Trois ans après son précédent album, Tété vient tout juste de réapparaître avec son dernier opus «Nu là-bas», dans les bacs depuis le 25 février. La question du temps semble toujours avoir été au coeur des préoccupations de l’artiste qui y faisait régulièrement référence dans ses premiers titres, il est donc cohérent qu’il se soit offert le temps nécessaire à la préparation de ce septième volet qui, dès l’écoute du premier extrait annonce un certain changement. En effet, en choisissant le titre
«La bande son de ta vie», Tété semble vouloir marquer une évolution musicale dans sa carrière en osant laisser plus de place à l’orchestration qu’à son habitude.
Plus énergique, plus pop et plus électrique, ce premier extrait témoigne à la fois d’un renouveau sur la forme mais également d’une continuité sur le fond que l’on remarque toujours aussi préoccupé par cette vie qui défile inlassablement…
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Morgane L. : Le nouvel album vient de sortir (le 25 février 2013), comment se sent-on avant de le livrer au public ?
Tété : C’est un mélange de pleins d’émotions ! De la joie, de l’angoisse, de l’exaltation à l’idée de repartir sur la route avec la « famille »… Je travaille depuis longtemps désormais avec les mêmes personnes, c’est déjà notre cinquième tournée et au bout de quinze ans d’échange et de partage, on a vraiment la conviction de faire plaisir aux gens, on a la sensation, à chaque tournée, à chaque date, qu’on va « en famille » retrouver « la famille » qui nous accueille, le public.
Et comment se sent-on lorsque c’est sorti ? A-t-on l’angoisse que ça ne plaise pas ou que ça plaise moins au public ?
Exactement. L’idée que ça ne plaise pas me stresse énormément… C’est pour ça que j’attends les premiers contacts physiques avec les gens dès le début de la tournée… Ça me rassure de voir leurs réactions !
Une « grosse » année de travail a été nécessaire pour donner vie à cet album ?
Oui facilement ! (rires) Il est le fruit d’une année passée en France entrecoupée d’un voyage en Australie pour sa préparation. Je suis ensuite reparti en voyage pour ramener plein d’émotions et des tonnes de souvenirs ! Et puis, j’ai surtout fait une sorte de voyage intérieur… Ce que je n’avais encore jamais fait…
Quand on écoute le premier titre « La bande son de ta vie », on s’aperçoit que la musique est plus présente que sur les précédents, plus électrique et plus rythmée… Ce changement est venu naturellement ou il est dû à ces voyages ?
Oui, c’est vrai que ce disque est plus assumé et que la musique est plus immédiate. J’ai fait attention à ce que les paroles soient plus compréhensibles également. Mais le changement que l’on perçoit sur ce premier titre, « La bande son de ta vie », est aussi dû au fait qu’il sonne quasiment comme un enregistrement « live ». Je travaille avec les mêmes musiciens depuis de nombreuses années et mon plus grand plaisir, c’est de rentrer en studio en famille avec eux qui m’accompagnent aussi sur les tournées. On se connaît tous tellement bien que des choses hyper fortes passent à travers de simples regards et c’est vrai que la musique en est du coup beaucoup plus affirmée. On a fait un album « ADN », un album qui nous ressemble, dans lequel on a mis énormément de nous mais que l’on a conçu, avant tout, aussi pour les gens. On a eu envie de faire des chansons très « visuelles », marquantes… Des chansons que les gens peuvent chanter et qui, dès la première écoute, donnent le ton. C’est comme ça qu’est un peu née la genèse de l’album… On souhaitait vraiment réduire la distance entre le public et nous en leur offrant quelque chose de plus personnel.
On sent une sorte de libération sur cet album « Nu là-bas ». Il est beaucoup plus coloré, beaucoup plus pop. On a l’impression que quelque chose s’est passé et que vous vous assumez plus ou en tous cas, que vous osez plus ?
C’est tout à fait ça ! Tout le travail réalisé en amont les années passées fait qu’aujourd’hui, je suis indéniablement bien ancré dans le présent autant que dans le futur. Grâce à mes souvenirs, je sais d’où je viens donc je sais qui je suis désormais. « Nu là-bas » est un disque de racines finalement… les racines du cœur, les racines de mes parents. C’est vrai que c’est un album de libération… Et c’est d’autant plus vrai qu’en studio je dansais tout le temps ! (rires) J’étais à l’aise, détendu parce qu’il y avait une espèce d’atmosphère bienveillante et c’est d’ailleurs ça qui nous a donné l’idée de la pochette et du clip.
Il n’y a pas eu d’hésitation sur le choix final de l’esthétique de l’album ? Tous les précédents albums étaient teintés de sépia, de marron, de couleurs plus ocres… qui leur donnait un aspect plus terre à terre, plus terrien ?
C’est vrai que c’est très différent des précédents albums mais là encore, bizarrement, le choix s’est fait un peu naturellement. J’avais juste envie d’être généreux et de lâcher un peu, d’être plus léger ! C’est vrai qu’on peut avoir tendance à se poser des questions… Beaucoup trop d’ailleurs ! (rires) Mais là, ce qu’on a essayé de faire, c’est de livrer quelque chose de proche de ce que l’on fait à la maison, proche de ce qu’on donne sur scène et sur la route. C’était important pour moi de retranscrire cette énergie là, à ce moment-là tout en racontant cette histoire.
La musique est plus frappante, certes, mais les textes ne sont pas pour autant moins présents. Ils ont toujours autant d’importance, autant d’enjeu…
Oui les textes sont toujours aussi importants pour moi ! Quand j’ai commencé sur scène, c’était au théâtre. Je ne prononçais que quelques petites répliques. Puis, à travers mes textes, je me suis exprimé de plus en plus. L’écriture et les mots ont toujours été ma signature mais, au bout d’un moment, j’ai réalisé que j’avais peut-être une tendance à me cacher, par peur. Mais quand on se rend compte qu’on a passé des années à se cacher derrière ces mots, on finit par vouloir les utiliser pour raconter autre chose car on est tous touchés par les mêmes choses. Il ne faut pas faire l’économie des rapports avec les gens, avec les parents et surtout, il ne faut pas craindre de se livrer au travers de thèmes universels. Dans « Ritournelles », par exemple, le fait de ne pas savoir parler la langue de mon père, me fait me poser la question… La vraie question… Comment lui dire « je t’aime » ? En français, en anglais ou en créole sans avoir l’air d’en faire des tonnes. J’en reviens encore une fois à « l’ADN du cœur » avec mon père mi guinéen, mi sénégalais et ma mère antillaise moitié anglophone et moitié francophone. Du coup, je suis né à Dakar mais je n’y ai jamais vécu, j’ai grandi en France depuis mon plus jeune âge et, tout en étant fondamentalement français, c’est cet « ADN du cœur » qui me permet de faire des ponts entre toutes ces influences là.
On retrouve cette philosophie sur tout l’album ?
Oui complètement ! C’est une espèce de voyage tout aussi affectif que géographique. Il y a des références à la Nouvelle-Orléans, des références à mes racines créoles puisque j’ai été élevé par des antillais. Toutes les personnes que j’ai rencontrées et les lieux que j’ai visités ont fait de moi la personne que je suis. En voyageant avec
André Manoukian, je me suis aperçu que lorsqu’on est à La Réunion au sud-est de l’Afrique, qu’on passe par la Nouvelle-Orléans puis par la Caraïbe ou que l’on va en Jamaïque, ce sont toutes des terres créoles dans lesquelles il y a une présence française. Il y a une sorte de mélange qui passe par les recettes de cuisine, les mots, la manière de jouer de la musique et c’est important pour moi que l’album en soit le reflet. Toutes les musiques dont on parle sont cousines et beaucoup sont nées en Afrique, dans la Caraïbe et dans le sud des Etats-Unis. C’est de là que viennent le rock et le reggae. Finalement, tout vient plus ou moins du même endroit. C’est un peu comme les trois grandes religions qui viennent d’un tout petit espace d’à peine cinquante kilomètres carrés. Toute la musique que j’aime, c’est pareil, elle est originaire du sud de la Louisiane et de la Caraïbe.
Ce qui m’a toujours marquée, c’est votre rapport avec le temps, on sent que c’est quelque chose qui vous a toujours intrigué ?
Oui c’est vrai que ça m’obsède, que ça m’intéresse beaucoup. La vie qui est une espèce de curseur temps, de « time line » comme on dit maintenant. Ce qui me marque aujourd’hui, c’est que le vrai luxe n’est plus d’avoir cinq voitures, des immenses propriétés et tous les trucs qu’on nous vend à tout bout de champ… Le vrai luxe, maintenant, c’est d’avoir le temps. Plus personne ne le prend, plus personne ne l’a et je pense encore une fois que c’est le temps qui fait le trait d’union entre nos racines, ce qu’on est maintenant et ce qu’on est amené à être. C’est ce qui permet de continuer à être la meilleure version de soi-même. Le jour où l’on prend conscience de ça, on a fait un grand pas. Quand on s’aperçoit que l’on a un défaut, qu’il est apparu hier matin, ce matin puis à midi, c’est que l’on commence à s’inscrire dans le temps et à se définir. Ça me donne envie d’être libre, d’être le capitaine de mon destin. Quand je parle de petit défaut, pour ma part, je pense peut-être au fait de me cacher derrière des mots, de me mettre en retrait, en sécurité au travers de l’écriture. C’est très troublant quand on réécoute une vieille maquette et qu’on se dit que ce que l’on chante, on le pensait à ce moment-là ! C’est là qu’on peut prendre un peu de recul…
TÉTÉ EN CONCERT À NICE LE 28 MARS 2013
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