INTERVIEW

Michel Galabru en interview

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Comment décrire une telle rencontre en quelques mots tant on a à apprendre d’un si grand Monsieur… D’ici peu, vu la vitesse à laquelle va la vie, Michel Galabru aura vu un siècle entier se dérouler sous ses yeux attentifs et observateurs. Des dizaines d’années de changements apparants qui n’ont pas fait évolué la nature profonde des hommes, qui, toujours plus avides de succès et de reconnaissance, semblent avoir perdu de leur panache. Mais puisque la vie n’est qu’un éternel recommencement, on peut peut-être garder l’espoir que peu à peu nous retrouvions quelques-unes de nos valeurs.


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« Les gens s’imaginent qu’on est vieux, mais on est jeune à l’intérieur… 80 ans ce n’est finalement presque rien.

Oui le temps vous ride, le temps abîme votre corps mais pas votre esprit ! »


 

michel-galabru-interview-2013Morgane Las Dit Peisson :  Il n’est pas très poli de parler d’âge, mais en ce qui vous concerne, c’est tellement beau que je ne peux pas m’en empêcher… Vous allez sur vos 91 ans, vous avez passé plus des trois quarts de votre vie sur les planches mais avez-vous vu le temps passer ?

Michel Galabru : Non, avec l’âge ça va encore et toujours plus vite… Un Noël n’attend pas l’autre. La vie va à une vitesse prodigieuse. Surtout quand on l’a, comme moi, presque terminée ! Lorsque l’on est jeune, on ne se rend pas compte, on voit bien que le temps file mais on n’y attache pas une importance capitale. Quand on est petit, le temps parait très long, on est dans l’espoir, on attend notre éclosion … Mais après ça file beaucoup plus vite ! Au fond, une vie, en moyenne, avec la qualité de vie que l’on a aujourd’hui, ça ne représente que quatre-vingts platanes, quatre-vingts arbres de Noël avant que tout s’achève. C’est très curieux d’observer ce perpétuel mouvement de générations qui naissent et qui disparaissent.

 Mais elles restent dans nos mémoires…

On a finalement peu de souvenirs de ceux qui nous ont précédés, à part quelques savants exceptionnels. Les comédiens, comme tout le monde, sont éphémères. On se rappelle de très peu de comédiens et on cite d’ailleurs toujours les mêmes, Sarah Bernard, Raimu mais pour le reste… (rires) Je me rappelle encore des gens qui étaient très célèbres quand j’étais petit mais aujourd’hui, les gens ne savent plus de qui il s’agit. Tout ça marque la relativité, l’inconséquence de tout ça, l’insignifiance même. Il faut vraiment être porteur d’une grande bêtise pour croire qu’on va perdurer, c’est un comportement naïf.On peut d’ailleurs se demander à quoi tout ça peut correspondre. Y a-t-il un Dieu, comme disait Voltaire, un architecte, qui pourrait réellement expliquer tout ça ? Y a-t-il un Dieu pour créer des microbes épouvantables, pour nous mettre sur une Terre inhospitalière avec des tremblements de terre, des volcans, des tsunamis, des inondations. Il y a aussi cette nécessité de se nourrir, de subsister… On se bouffe les uns les autres en réalité. Il semble que certains animaux soient faits pour satisfaire l’appétit des autres mais pourquoi faire naître des êtres si c’est pour mieux les punir par la suite ? La vie n’est autre qu’une absurde théorie, tout ça est grotesque en définitive…

Et quel regard portez-vous sur vous ? Avez-vous le sentiment d’avoir changé ?

Ah vous savez… Oui et non, parce que je suis attaché à ce que je fais, j’aime mon métier. Les gens vous demandent pourquoi vous continuez alors que quand on est vieux on se sent jeune. Justement la vitesse du temps qui passe fait qu’on est toujours le même. Les gens s’imaginent qu’on est vieux, mais on est jeune à l’intérieur… Quatre-vingts ans ce n’est finalement presque rien. Oui le temps vous ride, le temps abîme votre corps mais pas votre esprit sauf malheureusement ceux qui souffrent de maladies.

Quand vous étiez jeune, vous admiriez Sacha Guitry pour sa carrière et sa réussite. Réalisez-vous qu’aujourd’hui vous faites aussi partie des Grands ?

Oh non, non… D’abord parce que Sacha Guitry était un grand auteur classique qui est toujours joué et qui sera encore joué dans deux cents ans. On ne s’en doutait pas à l’époque, on le prenait pour un fantaisiste ! Autrefois il y avait des personnalités plus fortes que maintenant, selon moi, parmi les acteurs. De même pour les hommes politiques ! Ils n’ont plus cette aura qu’avaient certains comme Clémenceau, Briand, Edouard Herriot ou De Gaulle. Sans parler de ceux qui avaient gagné la guerre, le Maréchal Joffre, le Maréchal Foch et le Maréchal Pétain… C’étaient des personnalités, des gens qui avaient une présence. La présence, vous savez, est une chose mystérieuse, elle fait que parmi une masse de gens, on ne voit que cette personne.

Ça n’existe plus aujourd’hui selon vous ?

Notre époque est quand même plus mesquine, on ne voit plus ce genre de personnages dotés d’une telle grandeur. Ils tentent d’en avoir mais on ne ressent pas ce sentiment inexplicable. Les gens, auparavant, se costumaient même dans le cadre de leurs métiers, les médecins, les pharmaciens, les chauffeurs de taxi, le prêtre avec sa soutane et son chapeau bizarre et tout ça, au fond, c’était du théâtre. Ils se déguisaient suivant leurs professions, ils en avaient la nécessité. Maintenant le fin du fin c’est de se fondre dans la masse mais comme la vanité est toujours la plus forte chez l’être humain, on essaye toujours de se démarquer. De nos jours, c’est par le jeans. Le jeans est une sorte de recherche de l’égalité absolue ! (rires) Mais c’est un mensonge parce que personne ne souhaite être égal, on veut tous être supérieurs. Chacun veut avoir la plus belle femme, la plus belle auto, la plus belle demeure, chacun veut être dans le journal… Ça, ça n’a pas changé parce que c’est le fond de l’homme ! Mais en même temps, aujourd’hui, on fait semblant de se rabaisser, de paraitre simple pour montrer à quel point l’on est quand même génial et différent ! C’est le fin du fin, un jeans dégueulasse plein de trous ! (rires)

C’est donc ça le vrai propre de l’Homme ?

Eh oui… Parce que chez l’Homme, les gens courent après l’égalité, mais ils ne veulent pas être égaux. Celui qui est en dessous veut bien être égal à celui qui est au dessus, mais celui qui est au dessus ne veut surtout pas être égal à celui qui est en dessous ! Donc, dans tous les domaines, c’est une lutte pour ne pas être égal mais pour être supérieur, pour être à part, pour être médiatisé, pour qu’on parle de vous

On vous a toujours vu à la télé, au cinéma, au théâtre alors que certains acteurs semblent frileux à l’idée de changer de case… Pour vous qu’est-ce qui compte le plus ?

Ah moi c’est le théâtre ! Le reste, je considère que c’est un peu comme de la publicité. Si vous faites du cinéma, vous donnez l’envie aux cinéphiles de venir vous voir au théâtre. Moi c’est un peu malheureux à dire, mais les gens viennent me voir parce que je suis le Gendarme ! Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’impression que dès que les enfants sortent du ventre de leur mère, on leur file une cassette du gendarme ! C’est curieux mais quarante ans après, on me demande encore de signer des photos du Gendarme. Même en Allemagne, où j’ai été traité comme une merde de prisonnier pendant la guerre, ils me demandent des autographes !

Et votre plus beau souvenir ?

Ah mon plus beau souvenir, puisque je suis aussi vaniteux que les autres, a été mon Premier Prix au Conservatoire ! (rires) Parce que là, c’est le petit poussin qui sort de l’oeuf, c’est l’éclosion, on vous met enfin en lumière. Ce Prix n’existe plus désormais et à mon avis, c’est une immense erreur parce que les comédiens ne peuvent pas jouer devant des salles vides. Ils sont obligés de faire de la publicité, ils doivent être médiatisés.michel-jean-galabru-interview-2013 Celle qui annonce le temps à la télévision est bien plus connue que la jeune femme qui joue Phèdre de façon remarquable à la Comédie Française ! La médiatisation et le talent, ça fait deux. C’est désolant, la télé est d’une pauvreté à pleurer alors qu’il y a de tellement belles oeuvres, de films merveilleux, de textes extraordinaires, de concerts, d’opéras, tant de belles choses qu’on vous file à l’heure du porno après minuit parce que les chaînes savent que la pub ne se vendra pas bien. La foule veut du pain et des jeux, du basique !

On vous a beaucoup vu ces dernières années dans du Pagnol… Merlusse, Les Marchands de Gloire, La Femme du Boulanger

Ah mais vous savez on ne choisit pas. Les gens et le destin vous classent là-dedans et c’est tout ! (rires) Moi j’aime beaucoup Marcel Pagnol mais je n’aime pas que lui ! On vous retrouvera à Marseille le 18 juin dans Jules et Marcel. Ce n’est pas vraiment une pièce mais une correspondance. Cette correspondance est merveilleuse ! On s’aperçoit que Raimu était un homme très intelligent, très fin, bizarre car il était un peu caractériel. Mais ce qu’il dit à Marcel Pagnol sur son métier est très vrai, très profond. Marcel Pagnol lui dit « Tu sais maintenant tu vas faire du cinéma, c’est nouveau. Tu te rends compte, tu seras chez toi et on te verra à Tombouctou, on te verra à Paris, on te verra à Marseille et tu seras chez toi à ne rien faire… » et Raimu, lui, lui répond « Oui mais moi je suis définitivement figé sur la toile. Je ne peux pas changer mon jeu, tandis qu’au théâtre je change tous les soirs parce que le public n’est pas le même, parce que nous-mêmes dans la vie on ne joue pas de la même façon quand on rencontre tel ami ou tel autre. Vous jouez toujours quelque chose. Et nous, c’est pareil, parce que tous les soirs le public n’est pas le même. Un soir il n’y a pas un rire, le public est bloqué et le lendemain il hurle de rire. C’est mystérieux, ça ! ».

Ça raconte la différence entre la magie du théâtre et le cinéma ?

Oui parce que le cinéma, c’est du bidon, l’image est figée. Quand vous jouez, c’est devant des techniciens qui sont concentrés sur leur propre tâche et à la fin, c’est bien souvent l’art du metteur en scène qui prime, qui fait la différence. On a fait de vrais chef-d’oeuvres avec des amateurs. « Le Voleur de Bicyclettes » était un type qui travaillait à l’usine et qui y est retourné après. Mais au théâtre, vous ne pouvez pas mettre un amateur sur les planches, le public le sent tout de suite. Il y a des metteurs en scène de très grand talent qui ne veulent absolument pas de professionnels. Ils sont allés jusqu’à choisir un trisomique à qui on a donné un Prix d’Interprétation ! Un Prix d’Interprétation alors qu’il n’interprétait pas, il était. Ce n’est pas pareil.

On vous verra aussi dans Les Lettres de mon Moulin les 26 et 27 juillet à Saint-Raphaël et Golfe-Juan, avec votre fils. Est-ce que cela change le jeu de jouer en famille ?

Oh c’est imperceptible ! Sur scène, on n’est plus que des comédiens… Mais ça donne un petit plaisir supplémentaire, c’est certain. C’est le côté familial. C’est autre chose, c’est un privilège d’avoir vos enfants près de vous. Être dans le même métier, en contact permanent avec sa famille, ses enfants, c’est merveilleux !

Vous y interprétez trois rôles différents puisqu’il y a trois lettres donc trois textes différents…

Oui, « L’Elixir du Père Gaucher », « Trois messes basses » et « Le Curé de Cucugnan ». J’ai été à la Comédie Française pendant sept ans, tous les jours on jouait une pièce différente. Le mois compte trente jours et je jouais quarante fois ! Quand je jouais à l’Odéon, on me déshabillait dans un taxi, on me rhabillait là-bas et je me glissais dans un autre rôle. Ça fait partie du métier alors j’y suis habitué !

Et le secret d’une telle vitalité ?

Oh il n’y a pas de secret…. Vous êtes comme ça ou pas. C’est le destin. Il y a des gens qui ne sont pas faits pour vivre et d’autres qui sont faits pour aller jusqu’à 123 ans ! J’ai rencontré un homme de 103 ans, on aurait dit qu’il en avait 75 ! Il a ce privilège, il a un corps qui est fait pour tenir autant. Vous avez un billet à la naissance, où il est indiqué que vous irez jusqu’à tel âge et qu’après vous serez gentil de disparaître…


Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson
Interview parue dans l’édition n°338 de Juin 2013

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