INTERVIEW
Interview de l’humoriste Chantal Ladesou pour Le Mensuel en 2013
« Quand je suis sur scène, rien ne peut m’arrêter.
Quatre ans déjà que Chantal Ladesou n’a plus à avoir un seul doute sur l’affection que lui porte son public ! Elle nous plaît et elle le sait ! Personnage hors normes qui, du haut de sa silhouette longiligne, semblerait presque sortie d’un dessin animé, la belle azimutée arpente toujours la scène avec une vitalité effarante devant des salles combles et un public hilare. C’est indéniable, l’ex Madame Boudin, désormais indétrônable dans le paysage humoristique, a fait du chemin…
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Chantal Ladesou : Oui, je pense que c’est elle qui m’a insufflé cette passion. Elle voulait être comédienne. Elle disait tout le temps que s’il n’y avait pas eu la guerre, elle aurait été comédienne. Inconsciemment, bien sûr, elle m’a transmis son amour de la scène. Elle m’emmenait très souvent à Paris – on habitait dans le nord -, pour aller voir des pièces de théâtre. A l’âge de sept ans, en passant un jour devant le Centre dramatique du Nord de Tourcoing, je suis entrée. On m’a évidemment demandé ce que je faisais là ! Ils étaient en train de répéter les « Noces de Figaro » alors ils m’ont demandé si je voulais faire un page. Mes parents n’ont bien sûr pas voulu ! (rires) Mais ça prouve qu’à l’époque, j’avais déjà ce désir là. Je faisais d’ailleurs des petites pièces de théâtre dans la cour de l’école… Il fallait vraiment que je fasse ce métier là !
Vous vous souvenez de la toute première de théâtre que vous êtes allée voir ?
La toute première pièce, non, je ne m’en souviens pas… Ça devait être dans le nord… On allait beaucoup au théâtre, on y allait tout le temps. Je suis ensuite allée en pension dans le nord où, là aussi, le théâtre avait de l’importance. On y allait le mercredi soir puisqu’à l’époque, le congé était le jeudi, alors j’ai eu la chance de voir plein de choses !
Qu’est-ce qui vous a séduite à l’époque ?
Le théâtre, on le découvre vraiment quand on commence à en faire, à le pratiquer. Au départ, je ne savais pas comment ça se passait réellement mais j’avais un vrai désir de me montrer, de faire rire, d’amuser la galerie. Dans les réunions de famille, on me mettait sur la table pour chanter, pour faire le clown ! Et quand j’arrive quelque part, c’est plus fort que moi, il faut que je fasse rire, c’est obligatoire, j’adore ça ! (rires) Et comme je vois que les gens sont heureux, ça me met en joie !
Ce serait donc ça le plus important, donner du bonheur aux gens ?
Oui, je crois profondément que c’est ça. Au départ, quand on monte seule sur scène pour faire le clown, on y va en se disant « regardez ce que je sais faire, je vais vous montrer ». Et puis, en réalité, on se rend compte petit à petit qu’on monte sur scène pour faire plaisir aux gens, pour leur donner quelque chose et pas pour leur montrer quelque chose.
L’humour est donc vraiment une seconde nature ?
Je crois que l’humour ne s’apprend pas… Si on l’a, on l’a. C’est une façon de voir la vie, c’est une tournure d’esprit. À l’inverse, il existe des gens un peu tristes, pessimistes, qui n’ont peut-être pas ça en eux, mais moi, j’ai toujours envie de faire le clown, je ne sais pas d’où ça vient mais c’est un désir profond.
Et endosser de grands rôles dramatiques ne vous a jamais particulièrement attirée ?
Oh si, on m’en proposerait un, j’irai tout de suite ! Moi ça me parait évident de jouer un rôle dramatique. J’ai un drame en moi, comme beaucoup de comiques d’ailleurs, comme tout le monde en fait… Ça me parait totalement naturel et peut-être même plus facile à jouer à la limite. Je ne serais pas du tout contre.
Vous rejoignez donc la plupart des acteurs qui pensent qu’il est plus difficile de faire rire que de faire pleurer ?
Oui, tout est complexe dans le jeu d’un acteur mais je pense sincèrement qu’il est extrêmement difficile de faire rire tout le temps, de trouver des textes qui soient capables d’avoir ce pouvoir et d’ensuite savoir les interpréter sur scène, d’être convaincant, peu importe la journée que l’on a passée.
Vous avez une voix vraiment particulière qui sait se mettre au service de vos textes comiques, pensez-vous qu’elle serait un frein pour un rôle dramatique ?
Certains producteurs ou metteurs en scène ont peut-être peur de cette voix mais d’autres ressentent qu’elle peut être nuancée et servir à n’importe quel jeu. Quand je joue dans un film ou un téléfilm, ils me font travailler dans l’émotion en y arrivant très bien alors que d’autres ne le sentent pas du tout. C’est une voix très particulière mais pas comique obligatoirement, elle peut très bien être dramatique aussi. Certains metteurs en scène, de plus en plus d’ailleurs, ont envie de creuser un peu dans cette voie.
Vous avez une personnalité si forte, un clown scénique tellement au point que vous avez été imitée par Liane Foly par exemple. Ça représente quoi pour un artiste ?
C’est très émouvant de se faire imiter. On se dit que ce n’est pas soi quand même, mais il y a des petits détails qui vous touchent vraiment, où l’on sent bien que c’est vous. On se retrouve par moment, parce qu’en vérité on ne s’entend pas comme les autres nous entendent… Et ce sont ces petites touches qui m’ont beaucoup émue.
Parce qu’au-delà du travail qu’elle a fait sur votre personnage, sur la voix et la gestuelle, il y a le fait que si elle vous imite et qu’elle entame son spectacle avec vous. Ça signifie que vous êtes aimée du public, on n’imite pas un inconnu sur scène, ça n’a pas d’intérêt…
Oui c’est à la fois étrange et gratifiant… C’est amusant de voir rire les gens sur ce que dit Liane Foly en m’imitant, c’est très troublant…
Et ce public vous a découvert au départ dans « La Classe » …
Oui au tout début j’avais fait les « Maguy » où j’interprétais le rôle d’Huguette Boudin, d’autres petites choses mais le véritable coup de projecteur a réellement été « La Classe ».
Qu’est-ce que « La Classe » avait de plus ou en tous cas de différent par rapport aux émissions que l’on nous propose aujourd’hui ?
C’était beaucoup plus « bon enfant ». Je trouve que les émissions d’aujourd’hui comme « On ne demande qu’à en rire » demandent des efforts énormes pour les jeunes humoristes qui affrontent parfois des jurys très durs qui ne rattrapent pas des gens un peu déboussolés, un peu timides. Quelquefois le jugement est sans appel et je trouve ça un peu difficile quand même, même si l’émission est très bien réussie. En même temps, c’est le jeu, mais je trouve que l’époque de « La Classe » était plus bon enfant, plus rigolarde, ce n’était pas grave si on faisait un truc un peu moyen, c’était beaucoup moins « sérieux » malgré la notation. Maintenant c’est vraiment très sérieux car en plus des notes, il y a une véritable compétition qui n’existait pas dans « La Classe ».
Etre une jolie femme comique dans les années 80, c’était une chose facile ?
Oui parce que tous les hommes étaient à mes pieds ! Ils m’attendent toujours d’ailleurs après le spectacle… Je suis obligée de partir par des portes dérobées ! Mais je les comprends parce que quand même je montre mes jambes sur scène… (rires) Quand on est belle c’est plus sympa que d’être moche, même quand on est humoriste.
Justement quand on est jeune, grande, très fine, on n’a pas envie de jouer les jeunes premières ?
Mais les jeunes premières de mon âge sont toutes allées se rhabiller maintenant ! (rires) Au Cours Simon, même à 22 ans, on me faisait travailler des rôles plus âgés parce que j’ai toujours une autorité sur scène. Je n’étais pas la petite oie blanche, je ne pouvais pas jouer « Le petit chat est mort », ce n’était pas possible. Donc on m’a toujours donné des rôles d’autorité et ça a continué en fait. D’ailleurs, quand René Simon m’a vue la première fois en me croisant dans le couloir, j’étais morte de trouille, et il m’a dit « toi, tu réussiras très tard ». Il avait toujours une espèce de vision très juste comme ça sur les gens. Il avait tout de suite vu que j’avais une voix, un physique, un tempérament à faire des rôles de femmes plus âgées.
Justement vous avez débuté dans les années 80 mais on a l’impression qu’en termes de notoriété sur le grand public, c’est la pièce « Les Amazones » qui a complètement fait pencher la balance. Vous avez ressenti que cette pièce allait avoir un si grand succès et un tel impact sur votre carrière ?
On ne pouvait pas y croire au départ. C’est tout de même incroyable, car c’est une pièce qui n’arrivait pas à se monter, qui a beaucoup de temps à voir le jour. On m’a appelée mais je ne voulais pas la jouer, je me suis nettement faite prier ! (rires) On m’a dit que c’était juste une pièce pour l’été et qu’après c’était fini. Juste pour l’été ? Ça a duré cinq ans quand même derrière… Et pourtant, au départ, je n’en avais pas envie ! Je crois que je ne sais pas très bien lire les pièces en fait. C’est mon problème… Mais je l’ai aussi un peu transformée à ma façon. Cette femme un peu hippie, je l’ai faite très comique, pas pathétique contrairement à ce qu’elle était dans le texte. Je la voulais attachante et comique.
À un moment, elle est un chouïa pathétique lorsque les trois copines se disent des vérités. C’est d’ailleurs plus attendrissant que pathétique. Là on comprend qu’elle joue vraiment un jeu, un rôle continuel dans sa vie.
Oui complètement. Elle joue un jeu, elle se cache derrière ses vannes, derrière ses bijoux, ses colliers, ses choucroutes, ses couleurs, c’est exactement ça ! Elle est complètement folle mais quand elle enlève le masque, elle est touchante. C’était un très joli rôle pour moi.
On vous a ensuite vue dans « Oscar » et puisqu’en France on a tendance à faire des comparaisons entre les artistes, on vous appelée la Louis de Funès au féminin…
Quand on m’a proposé de jouer le rôle de la femme de Louis de Funès, j’ai dit que c’était un clown blanc et que j’aurais préféré le rôle de de Funès. L’auteur n’a pas voulu l’adapter au féminin et j’ai finalement gardé le rôle de l’épouse. Mais c’est vrai que c’était un rôle un peu « blanc » pour moi. Mais c’était extraordinaire, j’adore Louis de Funès, alors ça a été un vrai plaisir ! De là à trouver des ressemblances… C’est vrai que c’est très français !
Mais c’est un de ceux qui vous a bercée ?
Oui mais il y en a eu beaucoup d’autres ! Quand j’étais jeune, vous n’avez peut-être pas connu, mais j’adorais Zouc. Si vous retrouvez des documents, regardez les, c’est extraordinaire. C’était un peu fou, voire angoissant mais extrêmement drôle. Car même si elle ne dit rien, tout est dans le regard et la gestuelle, c’est fabuleux. J’aimais beaucoup Maria Pacôme, Marthe Mercadier, Sophie Desmarets. J’ai beaucoup interprété leurs rôles au Cours Simon, elles étaient des pionnières en fait.
Après tout ça, en 2009 vous faites votre retour seule en scène avec « J’ai l’impression que je vous plais », ça fait bien quatre ans que ça dure et que les salles sont pleines. Ça fait quoi finalement de voir que ce n’est pas qu’une impression ?
J’ai quand même commencé dans une toute petite cave trente mètres sous le Gymnase, je me suis cachée dans cette cave et les gens y sont venus. Ils ont descendu les escaliers en colimaçon, il y a même une dame qui avait dit « Ils l’ont mise à la cave comme le bon vin, faut juste la retourner de temps en temps » et finalement c’est parti comme ça ! Ça fait quatre ans que ça dure. Je suis passée au Théâtre Rive Gauche, puis à Bobino, aux Bouffes Parisiens, les grandes salles en province. Je suis ravie de ce spectacle, je l’adore parce que je me raconte. Je parle beaucoup de mon mari, de mes enfants, de mon métier. C’est un spectacle un peu fourre-tout, les sketchs sont là, très présents, très écrits mais j’au une trame qui me permet d’improviser des choses par rapport aux gens, à la ville où je passe, j’ai beaucoup d’interaction avec le public. C’est très plaisant à jouer.
Mais je suppose (j’espère) que tout n’est pas vrai à cent pour cent ?
À 99% on va dire ! Tout ce que je raconte sur le théâtre est vrai, tout ce que je raconte sur la télévision est vrai, tout ce que je raconte sur les magasins à grande enseigne d’origine suédoise est vrai. Je vis ce spectacle complètement de l’intérieur !
Vous êtes donc interdite d’Ikéa ?
Bien sûr. Les gens me regardent d’un peu en dessous quand je vais chez Ikéa, je suis obligée de porter un masque avec un faux nez et des lunettes ! (rires) Tout est vrai !
Et le titre « J’ai l’impression que je vous plais » est un petit clin d’œil au rôle d’Annie dans « Les Amazones », toujours persuadée d’avoir une cour d’admirateurs ?
Non pas du tout ! Mais ça aurait pu ! En réalité, un jour, je suis venue un jour chez Drucker, j’étais très élégante il faut le dire (rires) et il me dit : « Chantal, quelle élégance ! » et je lui ai répondu « Michel, j’ai l’impression que je vois plais ! ». Puis avec ma fille, alors qu’on cherchait un titre pour le spectacle que l’on était en train de créer à Avignon, des gens m’ont lancé dans la rue « Chantal, j’ai l’impression que je vous plais ». J’ai regardé ma fille et lui ai dit que c’était ça le titre du spectacle. C’est comme ça que c’est venu, c’est fou !
Avec qui avez-vous travaillé ce one-man ?
J’ai beaucoup écrit avec Eric Carrière, on se connaît depuis très longtemps et j’avais toujours eu envie de travailler avec lui. C’est arrivé comme ça. Avec Michel, mon mari, on a aussi beaucoup écrit puisqu’on est tout le temps ensemble et que surtout, on rit des mêmes choses. J’ai travaillé aussi avec Xavier Brouard qui fait un duo « Les Versaillais » et qui m’a beaucoup aidé à monter ce spectacle.
Ce spectacle, vous en rêviez depuis longtemps ?
Oh là, là ! J’en avais envie depuis une éternité ! Et j’en ai eu envie tout le temps ! Je disais toujours que j’allais le faire, « Je l’aurai un jour ! », mais j’ai toujours été rattrapée par le théâtre. Dès qu’on vous envoie une pièce qui vous plait, il y a une production, on est entourée. Tandis que dans le one man show c’est plus personnel, il faut tout faire, écrire, mettre en scène… Ça devient vraiment votre produit, votre bébé à vous. Il faut une énergie. Alors que dans le théâtre vous êtes soutenue par toute une équipe, je me suis beaucoup laissée porter par le théâtre mais je ne regrette pas ! D’ailleurs l’année dernière, j’étais encore dans une très belle pièce, « Adieu, je reste ! » avec Isabelle Mergault. C’était vraiment une aventure fabuleuse ! C’était un rôle sur mesure et on a joué non stop à guichets fermés pendant presque toute la durée de la pièce.
Et si à un moment donné, on vous obligeait à faire un choix entre le théâtre et sa dynamique de groupe et le côté sans filet et artisanal du one man ?
J’adore le one man show parce qu’on est vraiment seul maître à bord, on fait ce qu’on veut. Je crois que je pencherais pour le one man show parce c’est un espace de liberté prodigieux. Mais c’est très fatiguant physiquement et c’est bien d’alterner, d’âtre soutenue par une équipe et les comédiens qui vous accompagnent. Faire du one man tout le temps c’est quand même sportif. C’est bien d’alterner mais si je devais choisir, je prendrais le one woman show.
Effectivement, c’est très énergique sur scène ! On a l’impression que vous êtes un immense élastique, vous bougez dans tous les sens. On ne parle pas d’âge, parce que ça ne se fait pas…
Mais à 33 ans c’est normal de bouger comme ça voyons ! (rires) J’ai toujours été comme ça. Si je joue c’est avec mon corps, je ne me vois pas statique sur scène. J’ai toujours eu cette façon de bouger comme ça. Mais rassurez-vous, j’ai beaucoup de plages de repos pour recharger mes batteries !
Quand vous êtes sur scène, on a l’impression que vous êtes comme un peu droguée…
Oui il y en a même qui me demandent combien de doses je prends chaque soir ! (rires) Mais je n’ai besoin de rien ! Quand je suis sur scène, rien ne peut m’arrêter. Tout est permis pour moi quand je suis sur les planches.
Et pour ne jamais quitter la scène, un nouveau spectacle serait-il en prévision ?
Oui, pendant la tournée, je vais me remettre à écrire, je vais être un peu plus tranquille. Il y aura aussi une nouvelle pièce en 2014, donc affaire à suivre mais il ne faut pas trop en dire avant…
Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson
Interview parue dans l’édition n°341 d’Octobre 2013
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