INTERVIEW
Interview de l’acteur Thierry Lhermitte pour Le Mensuel en 2013
Dans « Inconnu à cette adresse » avec Patrick Timsit
Loin du registre dans lequel on est habitué à les voir sévir depuis de nombreuses années, Thierry Lhermitte et Patrick Timsit se sont laissés séduire par l’idée de se retrouver sur les planches, ensemble, pour interpréter un couple de vieux amis. Des amis qui vont voir, à l’aube de la Seconde Guerre Mondiale, leurs destins chavirer
petit à petit et qui, dans le tourbillon de l’Histoire, verront ce lien si particulier s’étioler…
Inconnu à cette adresse, ce n’est pas un énième ouvrage sur la victimisation du peuple juif ni sur l’inhumanité du nazisme, c’est avant tout un questionnement sur l’être humain et sa capacité, devant l’adversité, à se transformer en ce qu’il exècre par dessus tout.
Thierry Lhermitte : Sans aucun doute. D’abord c’est un plaisir de jouer avec Patrick même en dehors de la scène. On a joué tous les deux à Avignon pendant tout le mois de juillet et c’était presque des vacances !
Vous ne vous êtes donc pas étripés ?
Non, non, pas de risque ! (rires)
Et Avignon, c’était une première pour vous ?
Oui c’était une première fois pour moi, mais j’ai trouvé ça super. On a joué tous les jours pendant un mois dans un théâtre vraiment formidable, le Chêne Noir, et c’était un grand plaisir.
C’est un rythme éprouvant ?
Pas vraiment, non. Le fait qu’il n’y ait pas de relâche à Avignon peut être un peu fatiguant physiquement, mais on était dans une maison agréable dans le Gard pour recharger nos batteries. Je ne pense pas que j’aurais aimé passer un mois dans la ville même d’Avignon au milieu de l’agitation même si le site est vraiment super.
On vous a connu au tout début de votre carrière dans des comédies, surtout dans des rôles de séducteur qui finissaient par être comiques un peu malgré lui comme dans « Les Bronzés ». Ça fait du bien, au fur et à mesure, de jouer d’autres types de rôles au théâtre ? On vous a vu dans « L’ex femme de ma vie », dans « Grand Ecart » et là « Inconnu à cette adresse »….
Ce qui fait du bien, c’est de jouer de bonnes pièces. Je n’ai jamais eu de plan de carrière, ça n’a jamais fait partie de mes préoccupations, je ne fais que céder à des envies depuis des années ! (rires) Quand on a fait beaucoup de trucs sérieux on a envie de faire quelque chose de plus léger et vice-versa. J’aime énormément la variété des propositions et je suis incapable d’échafauder un plan de carrière. En plus, je ne suis pas sûr que ce soit très efficace ! (rires)
Vous avez débuté sur scène avec la troupe du Splendid en apportant du bonheur aux gens, en les faisant rire, alors comment appréhende-t-on de leur offrir l’inverse à travers une pièce comme « Inconnu à cette adresse » qui fait réfléchir et qui perturbe ?
Pour moi, il me semble que quelque soit le genre de pièce, il faut les emmener dans un monde qui soit autre chose que le leur. Les trois pièces que j’ai faites récemment comme celle de Max Frisch, « Biographie sans Antoinette », font vraiment partir les gens dans des mondes différents pendant une heure et demie. C’était le cas pour « Le Grand Ecart » aussi. Je ne sais pas si en général on cherche seulement de la distraction ou si on recherche de l’émotion au théâtre, que ce soit à travers le rire ou autre chose. Moi, en tout cas c’est ce que je recherche au théâtre, quand je reçois une émotion, quelle qu’elle soit, ça me va, ça me comble. J’adore rire, j’aime bien pleurer aussi, me poser des questions… Ce qui est horrible, c’est de s’ennuyer, c’est la seule chose d’impardonnable au théâtre !
Qu’est ce qui vous a séduit dans ce texte là particulièrement ?
C’est un chef-d’œuvre de littérature épistolaire. C’est dingue d’avoir de la dramaturgie dans une correspondance. Ça existait déjà avec « Les Liaisons Dangereuses » mais « Inconnu à cette adresse » est vraiment un chef-d’œuvre, un exemple. On a sincèrement l’impression de dire des choses intéressantes qui font voir l’Histoire d’une autre manière en plus de l’émotion que ça procure et qui est certaine.
C’est vrai que ce texte offre un point de vue très différent des ouvrages qu’on a l’habitude de rencontrer sur ce sujet…
Absolument ! Et quand on pense que cela a été écrit en 1938 sans connaître la fin de « l’Histoire », c’est extrêmement fort… Ça fait froid dans le dos !
Il n’y a finalement ni bon, ni méchant…
Il y a juste deux personnes broyées par les circonstances abominables créées par le nazisme.
Donc aucune victimisation d’un des deux ?
Non, c’est ça qui rend ce texte si original et si fort. Du coup on comprend comment ces régimes ont pu faire faire des choses si abominables à tout le monde.
Vous interprétez Martin qui finalement va être le premier des deux à se poser des questions sur la montée du nazisme. On va vraiment le voir évoluer sur scène, c’est facile à jouer ?
Oui c’est facile parce que Martin est pris par l’enthousiasme qui saisit l’Allemagne sous l’influence de cet homme politique qui propose de ne plus avoir honte, de relever la tête, de mettre fin à la misère. Chaque fois qu’on entend parler des gens de cette époque là qui ont été sous le régime nazi, en dehors des nazis haineux qui étaient à la tête de ça, on ressent un enthousiasme et une certaine joie, c’est ça qui est abominable. C’est atroce d’imaginer que c’était un mouvement fait à l’origine d’enthousiasme et de joie et qu’il a pu amener à faire de telles horreurs… C’est ça qui est dingue, on est face à une immense escroquerie complètement hallucinante !
Avant d’escroquer les autres peuples, Hitler avait commencé en escroquant le sien…
Oui ! Et c’est ça qui est dingue. L’enthousiasme que cela a suscité au sein du peuple allemand, c’est ça qui est fou…
En quoi une lecture épistolaire peut compliquer un jeu d’acteur ?
En fait on ne lit pas. On fait semblant d’écrire, de composer une lettre. La difficulté est de faire semblant de lire, parce que si on ne fait que lire, c’est ennuyeux, les gens ne se sentent pas très concernés et si on ne fait que jouer sans lire du tout, le texte devient un peu bizarre parce qu’on est hors sujet. Alors on est tout le temps en train de jouer entre les deux pour que ce soit équilibré.
Et ne pas pouvoir interagir, ne pas pouvoir se parler…
C’est le but de l’exercice mais c’est vrai que c’est un peu particulier. Il faut faire comprendre au public que ce sont des lettres alors il faut respecter des contraintes scéniques. Pour y arriver, au début, je me disais qu’il fallait faire comme si on s’envoyait des messages vidéo. Alors on est en train de le composer, on le relit, et puisque ça va être vu et entendu, on y met de la conviction.
Et chaque soir vous posez la question évidente : « Qu’aurions nous fait à leur place » et il n’y a pas la réponse ?
Exactement, il n’y a pas de réponse et c’est ça qui interpelle les gens, je crois…
L’air de rien ça fait maintenant plus de 70 ans, il y a eu des tonnes d’ouvrages, de films, de pièces et on a l’impression que c’est toujours aussi vital de faire ce travail de mémoire. C’est important de faire comprendre à un être humain dans la salle ce qu’on a été capable de faire à un autre être humain ?
Oui et surtout lui montrer comment on peut être embarqué malgré soi ! Maintenant on connaît la fin de l’histoire et juger en connaissant la fin de l’histoire, c’est toujours facile. Mais en revanche, à l’époque, il y a de braves gens qui se sont retrouvés embarqués dans ces horreurs, sans s’en rendre compte.
Le théâtre Antoine avait eu l’idée assez originale de faire interpréter ce texte chaque mois par un duo de comédiens différents, pour rappeler que ça pourrait toucher n’importe qui en changeant les visages des acteurs ?
Je n’avais pas pensé à ça mais vous devriez leur dire ils en seront très flattés ! (rires)
Évidemment, il y a la scène mais il y a toujours le cinéma où l’on retrouvera le 13 novembre prochain dans « Quai d’Orsay ». C’est une satire politique adaptée de la bande dessinée ?
La bande dessinée a eu beaucoup de succès. Je l’avais lue avant qu’on me propose le rôle. C’était excellent, extrêmement bien vu par quelqu’un de l’intérieur puisque l’auteur du scénario de la BD et co-auteur du film est toujours diplomate. J’ai passé un moment merveilleux en interprétant des textes extras, de bonnes situations, des acteurs talentueux et un metteur en scène formidable. J’ai vraiment eu deux mois de bonheur à jouer ça !
Votre rôle ?
Je joue le Ministre des Affaires Etrangères, inutile de le cacher, qui est inspiré par Dominique de Villepin. Moi je n’ai aucune imitation là-dedans car je ne suis pas imitateur et que je ne sais vraiment pas faire ça. J’ai joué un rôle qui est une personnification inspirée par Villepin.
Là, vous allez entamer la promo pour ce film qui a été tourné il y a un an, ce n’est pas perturbant au cinéma d’avoir autant de recul ? Parce qu’au théâtre le retour du public est immédiat ?
En ce qui me concerne, la différence principale, c’est d’avoir la récompense tout de suite au théâtre, alors qu’au cinéma c’est de l’avoir décalée, si récompense il y a, un an plus tard et au travers de deux filtres qui sont premièrement les critiques et deuxièmement le nombre d’entrées. On n’a pas ce souci là au théâtre, on a des gens qui aiment tout de suite, qui applaudissent, qui rient… Ou pas… (rires) Ils sont dans la vérité immédiate. Il n’y a pas ces deux filtres pour lesquels j’ai peu de considération. Mais je les prends avec grand plaisir quand ils sont bien ! (rires)
Il y a aussi la télévision avec « Doc Martin », ça fait du bien de rentrer dans le quotidien des gens par le biais de la télé, d’être cette personne qu’ils attendent toutes les semaines ou tous les mois, d’avoir ce rendez-vous avec les téléspectateurs ?
Je ne m’en rends pas trop compte, vous savez la télévision est une sorte de consommation. Les gens regardent ça en mangeant. C’est très bien, je n’ai rien contre, ça m’arrive de regarder la télé en mangeant moi aussi. Mais c’est particulier, je ne sais pas trop de point de vue là-dessus. Quand je joue de la comédie, je joue de la même manière au cinéma, à la télévision ou sur scène, je le fais de la même manière aux différences techniques près, mais la manière dont les gens le prennent, là franchement je n’ai pas d’avis là-dessus. Ils le prennent comme ils veulent d’abord, non je n’ai pas d’avis là-dessus.
Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson
Interview parue dans l’édition n°341 d’Octobre 2013
Dates de tournée ici
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