COUPS DE COEUR
Éric Antoine se dévoile en interview pour son nouveau spectacle « Grandis un peu ! »
« Tu passes ta vie d’adulte à réparer ton enfance ! »
Depuis qu’on suit son parcours et ses créations, on a évidemment souvent eu tendance à mettre en avant sa folie, son énergie et son imagination car ce sont ces facettes-là qu’Éric Antoine offre généralement au public quand il est sur scène ou en plateau. Mais, à l’occasion de son nouveau spectacle Grandis un peu !, on a eu envie de découvrir un peu plus l’homme qui se cache derrière ce personnage aux allures de savant fou né en 2005 qui, au fil des années et des représentations, s’autorise de plus en plus à nous laisser entrapercevoir le véritable « Lui », dans toute sa richesse et sa complexité. Car aussi déjanté et impressionnant qu’il soit dès qu’il éprouve l’immense joie de jouer avec un public aussi varié que fidèle, il autorise désormais celui-ci à pénétrer sa poésie, sa finesse et sa tendresse en voyageant dans sa propre enfance.
Première partie (restez connectés pour la suite !) d’un portrait intime, presque psychologique, d’un Éric Antoine qui ne semble pas avoir fini de nous surprendre…
🎟️ Éric Antoine pour son nouveau spectacle « Grandis un peu ! »
- 23 avril 2022 : Acropolis / Nice / 20h00 / 39.00€
Morgane Las Dit Peisson : « Grandis un peu ! », une phrase que tu as souvent entendue ?
Éric Antoine : On ne cesse de me la répéter en me disant que je suis un enfant ! (rires) D’ailleurs, c’est le plus beau compliment qu’on puisse me faire ! En réalité, j’ai eu l’idée de cette interjection pour le titre du spectacle car c’est une phrase que je déteste entendre dans la bouche des parents et encore plus dans la mienne ! (rires) C’est important de vivre chaque âge pleinement sans chercher constamment à accélérer ce temps qui passe déjà beaucoup trop vite… Et puis, évidemment, il y a le double sens avec la référence à ma « petite » taille dans le titre de ce nouveau spectacle où j’interroge l’enfant que j’ai été sur l’adulte que je suis devenu…
« C’est important de vivre chaque âge pleinement… »
Les enfants se prennent trop vite pour des grands et semblent passer à côté de l’innocence qui leur est due…
C’est marrant parce que je crois que c’est un discours que chaque génération a tenu au sujet de la génération suivante et je pense que nos enfants n’y couperont pas… Mais c’est vrai qu’il y a eu des sauts technologiques absolument énormes ces dernières décennies, bien plus importants dans la vie courante que ce qu’ont pu connaître nos prédécesseurs. On a vu arriver les radiocassettes, les CD, les ordinateurs, les téléphones portables, les DVD et Internet tandis que ceux qui naissent aujourd’hui débarquent dans une hyperconnectivité qui leur permet malheureusement d’avoir accès à des choses qu’ils ne devraient pas voir en étant enfants. En ça, en effet, les jeunes d’aujourd’hui ont réellement perdu une part d’innocence mais de tous temps, on a singé les grands en ayant hâte de le devenir à notre tour. J’ai détesté être enfant parce que j’avais la sensation de ne pas être libre ! On choisit tout pour toi quand tu es petit, de ton cartable tout pourri qui t’a foutu la honte pendant toute ta primaire au K-Way orange qu’on t’obligeait à embarquer pendant les sorties scolaires ! (rires) Je n’avais qu’une envie, c’était de grandir mais maintenant que je suis adulte et que je réfléchis à la notion de liberté… Est-ce que je suis vraiment beaucoup plus libre à l’instant T qu’à l’époque ? Je suis loin d’en être sûr ! (rires)
« Apprendre à réveiller l’âme d’enfant des gens te conduis inconsciemment à perdre un peu de la tienne… »
On pourrait croire qu’entre humour, magie et succès, tu vis dans une bulle éloignée de la réalité alors que tu passes ton temps à t’interroger…
Je vends du rêve ! (rires) Mais avec la déformation de l’illusionniste qui est toujours dans le questionnement, dans l’observation et qui fait semblant de ne pas être un escroc professionnel alors que tout le monde dans la salle sait bien qu’il n’est qu’un magicien de scène et non pas un sorcier, j’ai finalement tendance, c’est vrai, à être dans une « hyper-réalité », à détecter les illusions, les faux-semblants, les escroqueries, les détournements d’attention, les glissements sémantiques ou encore la manipulation de l’information… Apprendre à réveiller l’âme d’enfant des gens te conduis inconsciemment à perdre un peu de la tienne et je me demande sincèrement comment l’enfant que j’étais regarderait le monde dans lequel je « le fais vivre » aujourd’hui…
« Je ne pouvais pas espérer mieux pour l’adulte que je suis devenu ! »
Cet enfant-là a un jour rêvé de devenir l’adulte que tu es ?
Je crois que oui mais sans la conscience, évidemment, de tout ce que ce rêve pouvait représenter, impliquer et engendrer. L’enfant que j’étais rêvait de spectacle et de cinéma… Je me souviens parfaitement de la découverte des Monty Python, des Aventures du baron de Münchhausen mais aussi des premiers romans que j’ai lus… Ce qui me faisait rêver, c’étaient les histoires… Alors les raconter, les faire vivre et construire de l’onirique aujourd’hui, je ne pouvais pas espérer mieux pour l’adulte que je suis devenu. C’est une grande chance et j’en ai conscience !
Ce qui est joli aussi, dans mon métier, c’est de pouvoir rencontrer quelques-uns de ceux qui ont nourri ces rêves et sans qui je n’en serais pas arrivé là…
« Vouloir se fondre dans la masse est en réalité une véritable source de torture… »
Si aujourd’hui tu as su faire de ta grande taille un atout, elle a dû, parfois, empoisonner ton enfance…
L’enfant déteste se sentir différent… Moi, j’ai été très grand très vite et à l’adolescence, pour arranger les choses, j’ai pris 20 cm d’un coup qui m’ont fait dépasser tous les adultes. À 13 ans, on veut simplement être comme les autres, ce qui est sans doute l’une des plus grandes tristesses qui soient ! (rires) Être comme tout le monde, c’est ne pas être soi-même, ne pas se rencontrer, ne pas apprendre à se connaître et donc à s’apprécier… Vouloir se fondre dans la masse est en réalité une véritable source de torture mais quand tu es jeune, tu ne le sais pas encore ! Quand tu te sens « hors norme » ou « hors mode » à l’intérieur, tu peux tenter de le camoufler mais le problème du physique, c’est que c’est la première chose que les autres voient donc soit tu subis soit tu trouves des parades pour vivre avec !
Dans mon cas, ça a été la double peine donc c’est vrai que bien que je chérisse le monde de l’enfance, celui-ci n’a pas toujours été hyper joyeux pour moi… Ce qui a été super à l’arrivée dans le monde « adulte » c’est que, malgré ce que j’ai dit précédemment, tu peux commencer à faire quelques choix en te permettant d’aller là où tu as toujours eu envie d’être et finalement, tu passes ta vie d’adulte à réparer ton enfance ! (rires) Et, à un moment, quand tu as fait la paix avec tout ça, tu commences à vivre, à ne plus être dans la réaction mais dans l’action. Tu passes de la réparation au désir, à l’envie et à la joie…
C’est marrant d’ailleurs parce que j’ai vu beaucoup d’enfants très heureux, joyeux et innocents, des stars d’écoles, de collèges ou de lycées que j’ai secrètement enviés mais ce sont rarement devenus des adultes qui, personnellement, m’intéressent… Ils peuvent être très équilibrés mais, à mes yeux, ils sont rarement inspirants. Souvent, les enfants qui ont eu des vies singulières et parfois difficiles, les gens qui ont été un peu esseulés ou considérés comme des moutons noirs ont des vies extrêmement fortes, émouvantes, réussies et pleines de résilience.
C’est en tous cas comme ça que je vois les choses et je crois d’ailleurs avoir su faire de toutes mes souffrances d’enfant, de véritables forces aujourd’hui.
Et bien que ça n’ait pas été la période la plus facile de ton existence, tu chéris l’enfance et la regarde avec tendresse…
Le mot « tendresse » est hyper important pour moi car je suis profondément persuadé qu’il est la solution à bien des maux. La tendresse c’est de la bienveillance et de l’amour qu’on porte aux autres, qu’on se porte à nous-mêmes ou qu’on porte au passé, quel qu’il soit. Pour la combattre la souffrance, il ne faut pas la rejeter mais l’accueillir et la chérir aussi. Ce mot tendresse est essentiel autant dans mes spectacles que dans ma vie et mon autre mot préféré est la « curiosité ».
Quand on est petit, on nous demande d’arrêter de poser des questions et on nous dit qu’on est trop curieux. Je déteste l’adage « la curiosité est un vilain défaut » car c’est au moment où l’adulte se sent sûr de lui au point d’arrêter de s’interroger, que l’enfant en lui finit par disparaître…
Éric Antoine, le géant au coeur tendre, a choisi de grandir un peu à Nice !
D’ailleurs, on a oublié que « curiosité » venait de « cura » qui signifie « soin », ce n’est donc pas un vain mot, celui qui est curieux est celui qui soigne !
C’est pour ça que je cultive ces deux mots – tendresse et curiosité – dans mon écriture, dans mes spectacles mais aussi dans mon rapport avec le monde, avec mes proches et avec tous les gens que je croise. Une « tendre curiosité » est une association qui me plaît bien ! (rires)
© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson pour Le Mensuel / Photos droits réservés – M6
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