INTERVIEW
Éric Antoine en interview pour Le Mensuel en 2013 – Spectacle Mystéric
ÉRIC ANTOINE
Dans le spectacle « Mystéric »
« La magie nous parle du réel puisque ce n’est rien d’autre que l’art de transformer le réel… »
Avec ses allures de savant fou, ses deux mètres de haut et tout son attirail, on le croirait tout droit sorti d’un épisode de Scooby Doo et pourtant, aussi étrange qu’il puisse paraître,
Éric Antoine, magicien de son état, est bien réel. Découvert par un large public lors de la première saison de l’émission Incroyable talent sur M6, cet « humorillusioniste », qui est actuellement en train d’échafauder un prochain spectacle sur le thème de la croyance, a su marier à la perfection les deux arts dans lesquels il excelle, l’humour et la magie.
Tout en modernisant et en démystifiant l’image même de l’illusionniste, Éric Antoine, accompagné de son fidèle serviteur,
réussit le pari de captiver un public qui, le temps d’une soirée, se libère de son quotidien et du conformisme pour plonger corps et âme dans un univers où tout devient possible…
Éric Antoine : Pas tant que ça finalement, ça ne fait que deux ans et demi puisque l’on a commencé en septembre 2011. On entre actuellement dans la troisième saison, qui sera normalement le dernier volet de Mysteric puisque que je suis en ce moment même en train d’écrire le prochain. C’est d’ailleurs complètement fou qu’en habitant Aix en Provence, je ne passe par Marseille, pour la toute première fois, que dans les dernières dates de la tournée.
Le spectacle ne s’est pas encore achevé alors que le DVD est sorti l’année dernière… Vous n’avez pas eu peur que les gens l’achètent et ne viennent pas en salle ?
J’avais déjà fait ça sur mon précédent spectacle et il avait même été diffusé à la télévision un an avant la fin de la tournée, on s’est alors aperçu de l’effet inverse car ça avait relancé la vente des places ! Finalement, cela a eu un impact très bénéfique sur la notoriété du show. Et puis, comme le marché du DVD est en train de rendre l’âmepetit à petit, on se rend compte que le spectacle en général commence à reprendre sa vraie place en menant le jeu. Je dois avouer que ça m’arrange étant donné que je suis avant tout un homme de scène et que la télévision n’a toujours été pour moi qu’un moyen de promouvoir ce que je fais. Dans cette dynamique là, le support vidéo est plus une vitrine pour le spectacle que son arrêt de mort.
Et puis le spectacle continue à vivre, à évoluer lors de la tournée en fonction de chaque ville…
Oui, c’est redondant d’entendre les artistes le dire mais c’est pourtant très vrai ! (rires) Chaque ville est différente, chaque public aussi et le tout génère des craintes qui ne se ressemblent jamais, pourtant ce sont ces états là qui nous rendent encore plus énergiques. Plus la difficulté est forte en face, plus on a envie d’aller chercher loin en nous.
L’intensité de la phase de séduction dépend de chaque ambiance ?
Oui mais c’est marrant parce que même dans l’évolution d’une carrière, les choses changent. Il y a six ou sept ans, les gens ne me connaissaient pas du tout donc les dix premières minutes du spectacle ne servaient qu’à enclencher un processus de conviction. Puis, quand les gens ont commencé à connaître un peu mon travail, je me suis retrouvé très surpris d’être applaudi avant même de me mettre à l’oeuvre ! C’est très bizarre de rentrer sur scène lorsque que les gens vous aiment déjà… Ils ont un a priori positif et ça change alors complètement le dialogue que l’on avait instauré jusque là avec eux. C’est une donnée qui peut changer entièrement le spectacle et, d’une ville à l’autre, je le ressens.
Avec le recul, c’est quoi le plus touchant : conquérir un public qui ne nous connaissait pas ou voir un public réserver ses billets pour venir nous applaudir ?
C’est différent… C’est un peu comme choisir lequel de vos enfants vous préférez ! (rires) C’est très agréable d’être reconnu et c’est en même temps très gratifiant d’être découvert. Quand quelqu’un vous voit pour la première fois, il y a une notion de virginité, il y a une espèce de dépucelage mental qui se fait. Je trouve ça génial parce qu’on voit vraiment la surprise que l’on provoque chez les gens la première fois. C’est, quoi que l’on vive par la suite, un moment extrêmement fort. Ensuite, c’est autre chose qui s’installe, on rentre dans une relation alors il faut continuer à surprendre à tout prix. Lorsque l’on a le privilège d’en arriver là, les enjeux deviennent très importants, un peu comme dans une vie de couple. Avec mon épouse, par exemple, la surprise fait partie intégrante du « contrat » que l’on s’est fixé et c’est un engagement que l’on a choisi de mettre également en place avec notre public. Je m’amuse à donner l‘impression à des gens qui connaissent mon style de leur laisser deviner le déroulement du spectacle alors qu’à la fin je les entraîne dans une toute autre direction. Il s’installe un jeu de complicité qui est hyper agréable… C’est atroce, je suis littéralement incapable de choisir entre les deux ! (rires)
Sur scène, j’ai remarqué que vous n’étiez pas vraiment tout seul en fin de compte ?
Loin de là ! (rires) J’écris les spectacles à quatre mains avec mon épouse qui de plus est à mes côtés sur scène…
Et qui s’appelle Bernard ? Il y en a bien d’autres qui ont des femmes qui s’appellent Maurice…
Oui, il y avait un peu de l’esprit du duo Chevalier et Laspalès dans le choix du prénom ! (rires) On désirait vraiment se révolter contre le cliché de l’assistante du magicien que l’on trouve terrifiant. En général, on a une bimbo qui fait la potiche mais on voulait trouver un assistant qui soit aussi décalé que le magicien. On a donc créé ce collaborateur qui est convaincu d’être invisible ! Mais dans le spectacle, ma femme est beaucoup plus que ça puisqu’elle a des numéros en solo et qu’elle joue aussi d’autres rôles comme celui d’une habilleuse ou celui d’une femme coupée en deux.
Il y a toujours une femme derrière les plus grands hommes…
Ce n’est pas faux ! (rires) On l’a pensé ensemble, écrit ensemble, joué ensemble. Dans le déroulement du spectacle, il y a sa présence, son énergie, son écriture et ses visuels. On est très complémentaire. Calista écrit de manière très visuelle et je lui dois entre autres le striptease du squelette, pendant lequel elle se déshabille jusqu’aux os avant de disparaître. Elle a participé à tout, autant que moi et on ne sait même plus vraiment qui a écrit quoi hormis peut-être le titre du spectacle, une fusion de Mystère et Éric qui était pleinement son idée. Sur scène, vous faites penser à un mélange de savant fou et de professeur de magie entouré de multiples accessoires.
Alors Mystéric est un cours, une conférence ou une expérience de magie ?
Un petit peu tout à la fois ! (rires) Une conférence dans la forme dont le fil conducteur est « qu’est ce que la magie ? » afin de différencier la magie de la prestidigitation. Dans la prestidigitation, nous les prestidigitateurs n’avons pas le droit de vous parler à vous, Moldus, car nous sommes tenus au secret professionnel… Alors que la magie, elle, est au-delà du secret. En magie, la question n’a pas de réponse cachée, elle est une question sans réponse. Ce n’est pas l’inexpliqué mais l’inexplicable, avec des questions qui touchent au sens même de la vie. J’essaye de passer de l’un à l’autre, de passer de la prestidigitation la plus banale, des tours de cartes, de colombes, de la femme coupée en deux, de tous ces grands classiques de la prestidigitation avant de passer à la magie pour démontrer que celle-ci existe. La magie est sur scène, par exemple, avec un numéro de « psycho-kinésie » (l’art de toucher l’autre sans aucun contact physique). Je fais monter sur scène deux amoureux choisis dans la salle. L’un d’eux a les yeux bandés et tout ce que je fais à l’un, l’autre le ressent. Tout à coup, la salle entière pénètre dans une autre dimension. On passe d’un univers très gaguesque et burlesque, avant de plonger dans une ambiance plus théâtrale, écrite, un peu plus finaude d’une certaine manière.
On est donc vraiment dans un spectacle d’ensemble et pas dans une simple succession de tours…
Ce qui m’a toujours interloqué dans cet art, c’est que la magie nous parle du réel puisque ce n’est rien d’autre que l’art de transformer le réel. Les magiciens ne parlent jamais de ça. Ils font des tours plus ou moins spectaculaires, avec plus ou moins d’élégance, avec plus ou moins de volonté de faire croire qu’ils ont des pouvoirs mais ils ne positionnent jamais dans un dialogue avec le public sur ce qu’ils sont en train de vivre. Comme je viens du théâtre, ça me paraissait évident que la magie parle de tout ça et surtout de montrer qu’elle pouvait parler de tout ça. Faire ce léger glissement de la magie vers le théâtre lui donne quelque chose de peut-être plus interpellant, plus basé sur la curiosité.
Ça dépoussière la vision que l’on a de la magie. On s’imagine des magiciens un peu ringards avec leur potiche et ça n’attire plus autant les foules qu’avant puisque l’on voit de l’extraordinaire du matin au soir…
Oui les effets spéciaux au cinéma sont tellement incroyables aujourd’hui, tellement plus forts que tout ce qu’on ne pourra jamais faire sur scène, que les magiciens sont à la traîne. Il faut interpeller le public sur l’émotion, enclencher le rire, la surprise pour que la magie reprenne ses lettres de noblesse. Je dépoussière, mais je ne suis pas le seul. On a connu cette évolution avec le cirque moderne et j’ai la sensation que l’on commence à s’approcher également d’une magie nouvelle faite par des gens du théâtre contemporain. Ils font faire de la magie à une danseuse, à un jongleur… et on rencontre moins le mec qui vient exposer ce qu’il sait faire. La magie est en train de devenir un outil et non plus une fin en soi… C’est d’autant plus magique !
Vous aviez fait des études de psycho, votre maman est psychothérapeute et votre papa, psychiatre ! Ca laisse des traces, ça ?
Ben oui, la preuve sur scène… (rires) Et je me demand d’ailleurs si le prochain spectacle ne sera pas Schizophrénic… C’est marrant mais plus je suis fou, plus je me sens sain d’esprit. Il y a d’ailleurs un truc très intéressant sur les mots folie et aliénation. Dans aliénation, il y a « lien » donc l’aliénation est ce qui vous attache alors que dans folie, on est « sans garde-fou », on est libre, libéré. Se permettre d’être un peu fou est donc par définition une grande liberté. C’est l’envie sous jacente dans tous mes spectacles… Que nous prenions tous les choses avec un peu plus de folie et de liberté…
Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson pour Le Mensuel
Interview parue dans l’édition n°342 de Novembre 2013
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