INTERVIEW

Cristiana Reali en interview pour Le Mensuel en 2014 dans la Rose Tatouée

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Cristiana Reali


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en interview 

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CRISTIANA REALI
 
 
  
 

 

« Ça peut paraître étrange à beaucoup

mais c’est très latin de vivre avec le « mort-vivant » »

Il est rare que la police prenne la peine de pourchasser un inconnu qui, s’il n’a rien à se reprocher, préfère risquer sa vie plutôt que de prendre le risque de s’expliqer… Mais en dépit des raisons qui ont abrégé la vie de son époux, Serafina, sa veuve, continue, malgré les années d’absence, à lui vouer un amour sans faille et à le considérer, lui qui traitait avec la mafia, comme un véritable Saint. Ayant fait de sa propre vie un mausolée en l’honneur de l’homme à la rose tatouée sur le torse, la pauvre couturière s’est volontairement exilée chez elle. D’un comportement exemplaire, la belle sicilienne s’est acharnée à fuir le monde des vivants, un monde fait de tentations, un monde qui risquerait fort de renverser ses idéaux et ses convictions manichéennes. Passionnée, excessive et fougueuse, elle est comme la terre de ses origines, fière et sans concession. Jusqu’au jour où la vie s’invitera à nouveau en la personne d’un homme à qui elle ne restera pas insensible… Mais comment le pourrait-elle ? Camionneur comme son mari, qui transporte des bananes comme son mari, d’origine sicilienne comme son mari et a une rose tatouée sur la poitrine… Comme son défunt mari… Réincarnation, coïncidence ou machination, qu’importe… Serafina voit ce qu’elle veut y voir peut-être pour échapper à une solitude plus pesante qu’elle n’osait se l’avouer…

 

   

cristina-reali-interview-2014-CMorgane L : Jouer La rose tatouée le jour de la Saint Valentin, ça tombe plutôt bien puisque l’auteur lui-même – Tennessee Williams – disait que c’était son chant d’amour pour le monde…

Cristiana Reali : Oui, Tennessee Williams était amoureux d’un sicilien à l’époque où il a écrit La rose tatouée donc il a bien connu le milieu sicilien aux Etats-Unis dans ces années là. Son amant venait de ce milieu modeste des siciliens de la Nouvelle-Orléans. Pour lui, c’est une comédie romantique qui finit bien, c’est d’ailleurs une des rares pièces de style sicilien qui finit bien ! (rires) Et à part le contexte de la Nouvelle-Orléans et du deuil, on ne reconnaît pas toujours le style de l’auteur. Les gens sont toujours très étonnés d’apprendre que cette pièce a été écrite par lui.

La pièce nous dévoile l’histoire d’une femme veuve…  

Oui, c’est surtout celle d’une mère mariée à un camionneur italien, transporteur de bananes, dans la grande tradition sicilienne. Elle a une petite fille d’une douzaine d’années. Elle est couturière, tous les soirs elle attend son mari qui revient de son travail et elle se prépare tout spécialement pour lui. Elle est folle amoureuse de lui, elle le répète tout le temps et on sent bien qu’il y a une histoire sexuelle qui occupe une place prépondérante dans leur relation. On sent qu’elle en est fière de lui, fière d’être sa femme et chaque soir, elle l’attend comme une malade. Mais un soir, elle explique que son mari a accepté un petit deal pas très légal avec des mafieux pour pouvoir gagner un peu plus d’argent dans le seul but de s’acheter une petite maison et un camion pour qu’ils puissent se mettre à leur compte afin de pouvoir vivre dignement en Amérique. Elle est très consciente de tout et explique que les frères Romano avaient besoin de faire passer quelque chose pendant le transport de bananes. Et même s’ils payent bien, ce soir là était le dernier soir qu’il le faisait. Le couple avait en effet pris la décision de changer de vie dès le lendemain mais c’est ce soir là qu’il sera poursuivi par la police et qu’il mourra dans un accident de la route. Il ne reviendra plus et son épouse, que j’interprète, ne s’en remettra jamais… Elle va devenir une veuve acariâtre qui élèvera sa fille extrêmement sévèrement. Mais elle ne peut pas l’empêcher de grandir et il est normal qu’à 16 ans, elle s’intéresse aux garçons même si ça ne plait pas à sa mère qui ne veut plus qu’elle sorte ni qu’elle revoit son amoureux, un marin. La pauvre Serafina est extrêmement excessive dans tout ce qu’elle fait, elle ne s’habille plus, elle ne se coiffe plus, elle est en loques ! Elle ne pense plus qu’à retenir sa fille pour la protéger, l’enfermer pour la soustraire à tous les maux qu’elle imagine et sa fille n’en peut plus ! Jusqu’au jour où un camionneur transporteur de bananes passera devant chez elle en se battant dans la rue et lui demandera refuge. C’est une pièce en deux parties, une tragi-comédie un peu comme dans les années 50 du cinéma italien. La deuxième partie est très romantique.

On assiste à sa descente aux enfers ou on la découvre uniquement après le décès de son mari ?    

Sur scène, on voit la première partie, celle où elle est en train d’attendre son mari. Au début de la pièce, on l’aperçoit pimpante avec sa petite fille qui est interprétée par Léopoldine Serre. Elle est réellement fantastique dans ce rôle car elle arrive à camper divinement bien une petite fille d’une dizaine d’années tout en jouant aussi merveilleusement le rôle d’une jeune femme dans la seconde partie. On assiste donc au moment où elle apprend le décès de son époux en compagnie des autres femmes du quartier. Et pour couronner le tout, pendant son terrible deuil, elle apprendra que son mari n’a pas été si fidèle que ça…

Et malgré ça, elle décide de faire de sa vie un véritable mausolée à la mémoire de son mari…

Oui, elle a choisi de garder ses cendres chez elle, dans son salon, parce que c’est tout ce qui lui reste de lui… Et au fil du temps, elle a fini par se couper du monde…

C’est finalement elle qui a choisi cette solitude… Elle a cherché à se punir en s’exilant chez elle ou elle a préféré s’isoler du monde des vivants pour échapper aux tentations ?

Oui, elle l’a complètement choisi car elle dit qu’elle ne peut pas aimer quelqu’un d’autre, qu’on ne peut pas trouver un deuxième homme qui sera aussi bien que son premier mari. Il l’obsède à chaque instant, elle dit à qui veut l’entendre qu’elle a fait l’amour avec lui chaque nuit et que c’était si intense que même le tatouage de son mari, la rose qu’il avait sur la poitrine, restait parfois marqué sur son sein… Elle dit que jamais elle ne retrouvera quelque chose d’aussi fort. Ça peut paraître étrange à beaucoup mais c’est très latin de vivre avec le « mort-vivant », elle fait partie des gens qui pensent que le mort ne meure jamais. Je sais que chez nous, au Brésil, c’est un peu comme ça aussi grâce aux veillées. Le défunt est extrêmement présent, on le fait revivre plusieurs fois et garder les cendres dans son salon n’est pas du tout quelque chose de glauque pour nous. On voit d’ailleurs que le prêtre lui-même n’approuve pas qu’elle veuille les garder mais elle a besoin de conserver quelque chose de concret de lui.

On a l’impression que sa vision des choses est très manichéenne, qu’elle est extrêmement entière et que côtoyer l’extérieur risquerait de faire chanceler son univers, de renverser tous ses idéaux et ses convictions. Elle a tellement mis son mari sur un piédestal qu’on finit par penser que côtoyer les gens extérieurs pourrait salir cet amour là.    

Oui et surtout, elle est une émigrée en Amérique, elle n’a pas la même culture que ce pays où elle vit. Quand sa fille revient avec un marin américain, elle dit ouvertement qu’en tant que siciliennes toutes les deux, elles ne peuvent rien avoir en commun avec lui. Ça prouve que ce n’est pas si facile de s’installer, d’avoir des enfants et de refaire sa vie dans un pays qui n’est pas le nôtre au départ. Elle n’y peut rien, c’est plus fort qu’elle, mais elle a besoin de garder un peu de sa culture, beaucoup même ! (rires) Elle déteste d’ailleurs l’école américaine alors que sa fille est très brillante, elle n’admet pas non plus qu’elle côtoie un marin, elle ne supporte pas ses anneaux d’or aux oreilles, ses pantalons trop moulants et pas mal de choses comme ça qui ne sont pas du tout dans ses mœurs.

Mais elle est très exigeante finalement, même pour elle-même non ?

Ah elle est très dure avec elle-même et surtout avec l’avenir. Même mort elle apprend de nouvelles choses sur lui, qu’il avait une maîtresse, que cette maîtresse, elle la connaissait… Et malgré tout, son deuil reste encore très présent…



Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson pour Le Mensuel

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