INTERVIEW
Clémentine Célarié en interview
On l’a connue, en plus de trente ans de carrière, dans tous les registres cinématographiques, télévisuels et théâtraux et malgré tout, Clémentine Célarié arrive encore et toujours à nous surprendre… À l’affiche, en ce moment, de Darius, elle y incarne à la fois une mère courage et une mère normale… Une vraie mère en somme, une femme prête à tous les sacrifices et à toutes les folies pour aider son enfant malade à continuer à rêver… Faisant appel à un nez pour qu’il lui recrée en parfums les plus beaux moments de la vie de son fils, elle nous invite à un voyage olfactif aussi émouvant qu’intelligent, drôle et charmant mais jamais déprimant ! Parfaite dans ce rôle aussi puissant que poétique, la comédienne y apporte cette touche d’insolence que seuls les êtres en rage de vivre ont en eux.
CLÉMENTINE CÉLARIÉ dans « DARIUS » à Grasse le 15 mai
« À LA FOLIE » son dernier roman est paru le 19 octobre dernier au Cherche-Midi
« J’ai besoin de faire des choses qui sont du registre de l’exceptionnel… »
Morgane Las Dit Peisson : Vous êtes en tournée avec Pierre Cassignard dans la pièce Darius…
Clémentine Célarié : La tournée, j’adore ça ! J’aime vraiment aller partout pour rencontrer les gens et échanger avec eux. On va passer par Grasse avec la pièce Darius et j’en suis ravie car ce sera une première pour moi, c’est aussi ça le charme de la route… Je suis passionnée par les voyages, par les trains, par le fait de rouler, par ce mouvement et cette énergie qui existe dans le déplacement. C’est agréable, même si on n’a pas le temps de faire du tourisme, de découvrir des endroits dont on n’aurait jamais imaginé l’existence et de passer un moment avec des équipes qui nous accueillent toujours chaleureusement. C’est très humain une tournée…
Une tournée réunit les gens…
C’est la force de l’art mais c’est vrai que c’est peut-être encore plus flagrant avec Darius… C’est une pièce très émouvante qui dégage un fort sentiment de vie et qui ne peut pas, je crois, diviser le public… Elle célèbre le désir de vivre et la puissance de l’imaginaire… À moins d’être inhumain, je ne pense pas que l’on puisse être contre les propos de ce texte.
C’est une pièce à seulement deux personnages…
Jouer à deux est évidemment très intense car on est tout le temps sur scène mais je crois que ça l’est toujours… Le théâtre exige une concentration de tous les instants, on ne peut pas se permettre de décrocher entre deux scènes et c’est certainement pour ça que j’aime autant cet exercice ! J’ai besoin de faire des choses qui sont du registre de l’exceptionnel et qui demandent beaucoup d’investissement car si je ne fais pas ça, je m’ennuie, je m’emmerde… Le théâtre pour moi c’est la passion, la fougue, on n’y est pas pour enfiler des perles ! (rires) Il faut être présent et efficace dès les premières secondes, il faut y aller à fond, mettre ses tripes sur la table, c’est ça qui est intéressant et c’est ça que j’aime de toute façon, peu importe le domaine !
Darius met en scène un « défi »…
Cette histoire est celle d’une mission impossible que deux êtres, ensemble, vont rendre possible et rien que ça, c’est merveilleux et plein d’espoir. C’est une pièce qui fait appel à l’imaginaire autant pour les spectateurs que pour nos personnages qui entament des échanges épistolaires et dont les âmes vont se rencontrer et s’entraider…
Une pièce soignée et délicate…
La mise en scène est subtile, rien n’est superflu et tout est pensé pour laisser l’esprit opérer un travail de projection et d’imagination. On a un sublime orgue à parfums et une lumière caressante comme une effluve qui ont été imaginés par Anne Bouvier pour ne pas entacher la délicatesse des sens tant visuels qu’olfactifs. Le raffinement et la pureté qu’elle a réussi à créer sur scène apportent une réelle magie au texte de Jean-Benoît Patricot. Ce spectacle est un petit bijou, comme un parfum… D’ailleurs, tant l’imaginaire est exacerbé, des gens sont persuadés que l’on diffuse un parfum pendant la représentation ! (rires)
Le parfum, comme la musique, s’adresse directement au sens, il fait appel à notre instinct plus qu’à notre cerveau…
Exactement, le parfum provoque un voyage immédiat dans le temps en s’adressant directement à une mémoire que l’on n’a pas toujours la conscience d’avoir, la mémoire olfactive… Quand on sent un parfum et qu’il est connecté à un moment précis de notre vie, le souvenir s’impose tout à coup et nous replonge dans un passé parfois très lointain en quelques dixièmes de seconde… Ça tient presque de la magie !
Darius parle de parfum mais aussi, justement, de voyage…
Darius, le fils de Claire – mon personnage -, possède un sens olfactif particulièrement développé qui va donner une idée un peu folle à sa mère : refaire voyager son enfant grâce à des fragrances puisqu’il ne peut plus, physiquement, se déplacer… C’est pour ça qu’elle va entrer en contact avec Paul, un nez lui aussi malmené par la vie, à qui elle va demander de recréer en plusieurs parfums les plus beaux souvenirs de Darius.
Ça prouve tout ce que l’on peut être capable de faire pour les gens qu’on aime…
Je crois que quand on aime quelqu’un, tout particulièrement son enfant, on est en effet capable de déplacer des montagnes et cette pièce parle de ça. Cette femme là – chercheuse au CNRS et mère d’un fils unique – se donne cette mission mais une autre mère aurait sûrement fait autre chose car personne ne réagit de la même manière face à une même souffrance… Personnellement, je me sens assez proche d’elle et je trouve du coup sa démarche complètement normale. Finalement, je me suis accaparée le rôle de la façon dont moi j’imagine cette mère et de la façon dont moi je suis mère. Je ne pourrais pas concevoir de ne pas tout tenter pour adoucir la vie d’un de mes enfants…
Cette mère est comme vous sur scène, elle ne s’économise pas…
Artistiquement, j’aime quand les choses sont compliquées et, si on n’y regarde d’un peu plus près, la démarche de cette mère qui cherche à créer un parfum comme une potion magique a quelque chose de très artistique. On a indéniablement des points communs et c’est d’ailleurs pour ça que Jean-Benoît Patricot – l’auteur – me l’a proposée après m’avoir vue dans une pièce complètement différente où j’étais plutôt fofolle et c’est bizarrement cette folie, cette énergie qu’il recherchait pour incarner cette mère.
Darius est une pièce profonde mais pas « plombante »…
On n’est en effet pas du tout dans un ton plaintif, mièvre ou retenu bien que le postulat de départ soit grave… En ça, cette pièce est, au delà de toute la poésie et la magie qu’elle dégage, très réaliste. Des amis à moi ont et ont eu des pathologies lourdes et ce que je vis quand je suis avec eux ressemble à ce que dit ce texte, ce n’est jamais morbide ou morose. C’est la vie, c’est un combat pour la vie… Quelqu’un « d’handicapé » comme on dit développe en général une force incroyable qui ne peut que nous élever quand on est à ses côtés.
C’est une pièce qui peut sûrement aider des gens…
J’en suis certaine, en tous cas, c’est une pièce qui fait réfléchir et qui, si elle ne change pas l’existence des spectateurs en un claquement de doigts, laissera quelque chose en eux… C’est un peu comme les amis dont je parlais, Thierry Monfray qui est parti et Lauren qui est complètement immobilisée par l’abominable maladie de Charcot… Ils m’ont énormément apporté et m’ont « élevée » dans les deux sens du terme alors quand je passe du temps avec Lauren, il est hors de question que je pleure ou que je la plaigne, on rigole, on fait les connes et on se raconte plein de trucs ! Elle est courageuse et est d’ailleurs en train d’organiser une soirée pour collecter des fonds qui iront à la recherche… On ne peut pas baisser les bras pour tout et n’importe quoi quand on a des exemples pareils sous les yeux ! Les gens comme elle sont véritablement des super-héros alors d’une certaine manière, j’espère que le message de Darius aura le même genre d’impact sur ceux qui rencontrent des difficultés.
Vous êtes sans concession et très volontaire, je ne vous imagine pas accepter un rôle juste parce qu’il serait bien payé…
(rires) Ce n’est pas faux ! Mais ça n’a pas été évident tous les jours de refuser la facilité… Ce qui me sauve c’est peut-être que je ne m’attache pas beaucoup au confort ou aux acquis même si comme tout le monde j’apprécie de temps en temps d’être vautrée sur un transat en plein soleil ! (rires) Mais quand on essaie d’être artiste, en tous cas selon la vision que j’en ai, on n’est pas sédentaire, on n’aime pas les habitudes et on a besoin de prendre des risques…
Vous jouez mais écrivez également…
Je suis justement en train d’écrire mon prochain roman et, pour en revenir à la question du confort, je me suis offert le luxe de prendre mon temps, ou plus exactement, j’apprends à me donner du temps ! (rires) Je travaille sur moi à ce niveau là car jusqu’à présent, je fonçais tête baissée ! Désormais je réfléchis beaucoup plus avant de me jeter sur ma feuille, j’apprends à me faire plus confiance…
Le théâtre ne s’arrête pas pour autant…
J’ai toujours une tendance à être un peu sur tous les fronts donc j’écris en ce moment, je lis l’adaptation cinématographique de Darius et puis, je vais en effet repartir sur les routes avec deux beaux projets dont La route de Madison et un second dont je n’ai pas encore le droit de parler au risque de me faire taper sur les doigts ! (rires) Et puis il y a aussi une pièce en costumes qui m’excite à mort ! Si tout va bien, je suis partie pour deux ou trois ans de théâtre et c’est tant mieux car j’ai réellement un penchant de plus en plus fort pour ça. L’investissement physique et mental que ça exige me plait car c’est le reflet de la vie, c’est instantané, sans filet, excessif… Le théâtre que j’aime n’est pas poli ou consensuel, il est hors de toute réalité alors qu’il la représente, il est hors du temps alors que je n’ai jamais autant ressenti le temps présent que sur scène… Pour moi, le théâtre est réellement une question de vie ou de mort car on y donne tout sans réserve… C’est un espace sacré et un moment précieux.
Le cinéma, vu de l’extérieur, semble beaucoup plus « confortable » que le théâtre…
C’est justement ce qui me gène un peu depuis un moment car c’est le trop-plein de confort et de moyens qui pousse au dilettantisme… Quand je ferai mon film qui sera adapté de mon roman On s’aimera (qui verra tout d’abord le jour au théâtre), j’aimerais le réaliser avec peu d’argent et dans le même vrai froid que celui de l’histoire du livre… J’espère le tourner comme on travaille sur un court-métrage car j’ai des souvenirs extraordinaires de ces expériences où l’on doit être efficace et astucieux. Le confort est l’ennemi de tout car au bout d’un moment, on oublie même qu’il est là… Le premier jour de beau temps, on s’exalte mais le troisième, on n’y fait plus attention et le cinquième, on râle d’avoir trop chaud, c’est juste humain ! (rires) J’adore le cinéma aux univers forts, les productions coréennes, belges, anglaises, les films indépendants…
Dernièrement, on vous a vue dans Leibovitz contre Leibovitz…
J’ai beaucoup aimé cette série malheureusement, en ce moment, France 2 veut faire du chiffre et ce n’est pas ce que je recherche alors tant pis, je passe à autre chose ! Ce que je veux avant tout c’est faire du beau qui ait du sens et ça rejoint ce que vous disiez tout à lheure, être sans concession n’est pas toujours facile ! (rires)
© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson • Photos Ludovic Baron
Interview parue dans les éditions n°392 #1, #2 et #3 du mois de mai 2018
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