COUPS DE COEUR
Bun Hay Mean en interview pour son spectacle « Le monde appartient à ceux qui le fabriquent »
« Je ne m’interdis rien… »
Français d’origine cambodgienne et chinoise, Bun Hay Mean ; après s’être « présenté » au public dans un 1er one-man dont le titre avait été pensé pour lui servir de surnom – Chinois marrant – ; poursuit son étude socio-culturo-humoristique à travers un second volet : Le monde appartient à ceux qui le fabriquent. S’il s’amusait dans le précédent des a priori dont les asiatiques peuvent faire les frais en France, il y déconstruit cette fois-ci la vision qu’il a de lui-même…
🎟️ Bun Hay Mean dans « Le monde appartient à ceux qui le fabriquent » au festival Performance d’Acteur pour « Un été à Cannes » le 17 août 2021 • au Théâtre de Grasse le 21 septembre 2021 • au Festival du Rire de Saint-Raphaël le 10 octobre 2021
Le Festival du Rire de Saint-Raphaël revient avec une toute nouvelle version !
Dans La Route des Vannes avec Tania Dutel, Donel Jack’sman, Paul Taylor, Aymeric Lompret et Vérino
Un voyage humoristique avec le festival « La route des vannes »
Morgane Las Dit Peisson : Quand la vie est « normale », ton rythme est intense…
Bun Hay Mean : C’est vrai qu’avec ce qu’on vit depuis un an et demi, j’ai un été comme tout le monde pas mal « empêché » mais d’habitude j’ai la chance que la tournée et les dates parisiennes fonctionnent bien ! C’est un métier passion qui me donne le privilège de faire partie des gens qui se lèvent le matin pour faire ce qu’ils aiment donc je suis dans le 1% des gens les plus heureux ! (rires) Je ne concours pas dans le 1% des gens les plus riches mais ça me va bien aussi ! (rires) Il ne faut pas oublier que gagner de l’argent pour vivre décemment sans s’inquiéter du lendemain est déjà un luxe… L’argent ne fait pas tout, loin de là !
La voie de l’humour…
Je crois que j’ai toujours eu ça au fond de moi… C’est peut-être un peu plus fort chez moi que chez mes congénères (rires) mais c’est un besoin naturel chez tout humain. Ça permet de prendre du recul et d’accepter tout ce à quoi on est confronté tout au long de notre vie. Le monde est tellement incompréhensible que si tu ne le vois constamment qu’au 1er degré, tu ne peux pas y survivre…
D’où l’hyper présence des humoristes dans les médias ?
Là, je pense surtout que c’est parce qu’on est les mecs les moins chers du marché ! (rires) Après, ça reste intéressant d’avoir des interventions d’humoristes dans certaines émissions de télé ou de radio mais je crois qu’on a poussé le truc un peu trop loin depuis quelques années… On nous donne parfois trop de crédit sur des sujets où l’on ne devrait pas avoir à donner notre avis et puis, contrairement à ce que l’on aurait pu croire, ça ne pousse pas tellement plus les gens à venir dans les salles car ils ont déjà accès gratuitement et « sans rendez-vous » à notre univers. Je suis un peu vieux jeu sur ça mais j’aime l’idée d’avoir un vrai « date » avec le public dans une salle plutôt que d’être dans un genre « d’ubérisation« de la vanne ! Moi le 1er je regarde des spectacles en fractionné quand j’ai un petit moment et après coup, je m’en veux car c’est un manque de respect vis à vis du travail effectué et de la démarche artistique.
On ne va pas « voir » un spectacle, on va le « vivre »…
C’est exactement ça ! Je fais de l’art vivant pour ressentir, échanger et vibrer avec les gens ! Il ne faut pas oublier que dans la salle, ils font 50% du taf ! (rires) Quand on va seul sur scène, il y a bien sûr un peu d’égocentrisme mais surtout un gros besoin assumé de « l’autre » car si le public nous regardait simplement comme il le fait devant un écran, aucune magie ne pourrait se produire…
L’ego dans ce métier…
Franchement, quand tu te lances dans ce métier c’est qu’il faut que tu sois conscient que tu entretiens une relation assez particulière avec ton ego… (rires) Quand tu détailles le truc, tu te rends quand même compte que tu fais payer les gens pour qu’ils passent une soirée avec toi ! (rires) Ce n’est pas quelque chose de tout à fait normal donc je travaille dessus avec mon psy depuis une dizaine d’années maintenant mais ce qui me rassure, d’un côté, c’est que je ne suis pas si différent de la « masse ». Aujourd’hui, on est quand même une majorité à avoir besoin d’exister dans le regard de l’autre, il suffit d’ouvrir Insta ou Facebook ! Je crois d’ailleurs que ça va bien au-delà d’une question de narcissisme, c’est beaucoup plus profond que ça. Quand on cherche l’adhésion des gens, c’est qu’on cherche à appartenir à un groupe.C’est plus une volonté inconsciente de ne pas être seul qu’un simple désir de s’exposer.
Le monde appartient à ceux qui le fabriquent…
J’ai voulu choisir un titre qui offrait plein de lectures différentes. Il y a la référence au dicton, aux chinois dont on dit qu’ils travaillent tout le temps, à la valeur du travail, au fait que rien ne soit irréalisable si on s’en donne les moyens mais surtout à l’idée que l’on doive apprendre à se façonner soi-même sans se laisser influencer par tout ce qui nous entoure et encore moins se laisser dicter notre conduite… D’où l’hommage à Mao sur l’affiche…
Pas de tabou…
J’essaye de mettre un peu de poésie dans ce qui est trash et un peu de trash dans ce qui est poétique car ce que je kiffe c’est quand ça touche à l’imaginaire et que chacun reçoit ça comme il le veut, comme il le peut ! Le spectre est large et c’est vrai que je ne m’interdis rien… Je me sens libre de dire ce que je veux et en réalité, je le suis ! Dans notre pays, quand on dit qu’on ne l’est pas, c’est juste qu’on s’autocensure par peur des conséquences. On a le privilège d’être sur un coin de la planète où on a encore le choix donc il faut en abuser ! (rires) Ça ne veut évidemment pas dire qu’on peut faire tout et n’importe quoi mais on a le droit, par exemple, de penser qu’on ferait mieux de donner des cours de self-control aux hommes que de self-defense aux femmes ! C’est incroyable de voir la société patriarcale qu’ont fabriquée les hommes ! Quand je vois qu’en France il y a presque 200 féminicides par an, ça me rend ouf et ça finirait presque par me donner honte d’être un homme… J’ai beaucoup échangé avec des femmes qui ont été battues ou violées et je ne peux pas les écouter sans me sentir profondément en colère ! En tant que femmes, vous êtes à la source de l’existence et c’est une partie de votre création qui vous détruit… C’est horrible et incompréhensible… Mon prochain spectacle parlera en grande partie de ça…
Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson pour Le Mensuel / Photos droits réservés
Interview parue dans Le Mensuel n°422 d’été 2021
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