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Bruno Solo et Dominique Pinon en interview pour Le Mensuel – 2012
BRUNO SOLO
&
DOMINIQUE PINON
Interview réalisée au Théâtre de Grasse en 2012
« On n’a pas le droit de ne pas aimer des personnages dès lors qu’on adhère à une pièce »
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C’est à mille lieues de l’ambiance de « Caméra Café » que Bruno Solo a choisi de sévir cette fois-ci.
Sur les planches, accompagné du « moliérisé » Dominique Pinon, son choix s’est porté sur une pièce sombre de Martin Mc Donagh, « L’ouest solitaire ». Campant deux personnages violents, deux frères qui se haïssent du plus profond de leurs êtres, deux hommes qui n’ont jamais su ce qu’aimer pouvait signifier, deux fils qui viennent d’enterrer un père à qui ils ne ressemblent certainement que trop, les deux interprètes vous dévoileront toute la richesse et l’amplitude de leur jeu d’acteurs car il en faut pour arriver à choquer, émouvoir, terrifier et faire rire dans une seule et unique pièce…
Dominique Pinon : Au début de la pièce, on revient de l’enterrement du père. Et vous allez assister à un petit règlement de compte à partir de ce moment là entre les deux frères joués par Bruno et moi-même. Il y a également le personnage d’un curé qui revient lui aussi de l’enterrement et celui d’une jeune fille.
Bruno Solo : C’est l’affrontement entre ces deux hommes qui sont incapables de s’aimer parce qu’on ne leur a jamais appris. Ils n’ont pas les mots, ils n’ont pas les codes, ils n’ont pas les outils mais ils vivent ensemble, presque forcés, c’est plus de la survivance que de la coexistence. La pièce est irlandaise, donc très drôle mais aussi d’une immense violence, c’est une farce tragique. Le tout baigné d’alcool et de religiosité mal digérés.
Et on arrive à rire quand même ?
Dominique Pinon : Oui c’est d’une noirceur incroyable mais en même temps c’est tellement noir que cela en devient très drôle. Ils sont assez truculents dans leur façon de s’exprimer et c’est très bien dialogué, l’auteur de la pièce écrit très bien.
C’est une pièce difficile à jouer de par sa noirceur ?
Bruno Solo : Toutes les pièces le sont… Au début parce qu’il faut trouver la vérité des personnages, ils faut savoir aimer les personnages bien qu’ils ne soient pas très « aimables », avoir de l’empathie pour eux. Et c’est à force de répéter avec le metteur en scène, Ladislas Chollat, qu’on leur a trouvé des circonstances atténuantes.
Comment avez-vous apprivoisé ces personnages ?
Bruno Solo : On se rend compte que ce sont des hommes délaissés, abandonnés, qui ne connaissent pas l’amour, qui vivent isolés, un peu rustres évidemment. Mais on a de l’attachement pour eux. On peut comprendre qu’ils soient arrivés à ce tel niveau de désespérance, de férocité. On peut le comprendre. On n’a pas le droit de ne pas aimer des personnages dès lors qu’on adhère à une pièce. Même si vous jouez un monstre vous êtes obligé de vous attacher à sa parcelle d’humanité. Et d’ailleurs le curé qui est joué par Pierre Berriau est persuadé, lui, que sous ce tas de fumier il y a encore de l’humanité, qu’il y a encore de l’amour. Il va leur demander d’aller chercher cet amour. Il est certain que dans tout homme il y a une part de bonté très forte.
En plus ils sont croyants tous les deux donc on peut imaginer qu’en s’attachant à une idée un peu mystique ils peuvent retrouver un peu une bonté d’âme.
Dominique Pinon : Ce qu’il y a de très beau dans ces personnages, c’est qu’ils ont une carapace aussi qui cache des failles.
On voit évoluer les personnages tout au long de la pièce ?
Bruno Solo : Ah oui ! En l’espace de quelques jours, on les voit nettement évoluer. Mais l’évolution peut être dans tous les sens. Cela va aussi vers une sorte d’effondrement. Ils aspirent, comme tout à chacun, à aller mieux mais ça ne veut pas dire que la pièce va les faire aller mieux.
Ils se haïssent et pourtant ils vivent ensemble ?
Dominique Pinon : C’est un peu comme ces vieux couples qui ne peuvent pas vivre l’un sans l’autre mais qui se détestent cordialement. Ils trouvent d’ailleurs leur énergie là-dedans. On sent que si l’un des deux partait l’autre ne survivrait pas. Mais dès qu’ils sont ensemble c’est la bagarre.
Bruno Solo : On sent qu’ils vivent dans un univers de violence et de bagarre. Si on se bat c’est qu’on s’aime. Ils pensent que la bagarre est aussi une manière d’aimer l’autre. Dans leur monde à eux c’est leur vérité et ils le pensent sincèrement.
Propos recueillis et photos par Morgane Las Dit Peisson pour Le Mensuel
Montage vidéo par Aurélien Didelot
Interview parue dans Le Mensuel n°333 – Janvier 2013 Retour aux interviews
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