INTERVIEW
Ben l’Oncle Soul en interview
Bien qu’il ait fait cette fois-ci le choix de s’aventurer dans un répertoire jazz connu de tous, Ben l’Oncle Soul n’a pas hésité à y apporter sa patte… Le teintant d’un hip hop, d’une soul ou encore d’un reggae que l’on n’aurait certainement jamais osé imaginer sur des chansons dont la voix de Frank Sinatra résonne encore, le chanteur s’est lancé dans un travail de « rénovation » sans précédent et non sans risque mais n’est-ce pas là la véritable mission de l’Art ? Réussissant à ne pas nous tenter de comparer la vision qu’il nous propose à celle d’origine, l’artiste a réussi, semble-t-il, à relever un défi de taille…
« UNDER MY SKIN »
« Oublier les versions de Sinatra a finalement été le plus dur… »
Morgane Las Dit Peisson : Ta nouvelle tournée vient tout juste de débuter…
Ben l’Oncle Soul : On a commencé cette tournée à Carthage avec le festival Jazz à Carthage et ça a été hyper rassurant de se rendre compte que les gens avaient vraiment apprécié ! On est heureux de repartir sur les routes avec notre album Under my skin dont on est très fier. Sincèrement, quand on n’est pas sur scène pendant la période de création, ça finit toujours par manquer un peu car c’est comme une drogue ! C’est chronophage, addictif, c’est notre vie ! (rires) Et puis, au-delà de ce désir d’y retourner, la scène est surtout un lieu indispensable pour partager la musique, c’est là qu’elle peut être entendue et c’est ça l’essentiel car elle a besoin d’être confrontée pour exister…
Under my skin est un hommage à Frank Sinatra, un album de réinterprétations plus que de reprises…
J’ai eu l’idée de revisiter le répertoire de Frank Sinatra car je me suis intéressé aux décennies qui avaient accueilli ces succès là mais aussi aux textes qu’il a chantés. Et, puisqu’à l’origine, je ne fais pas de jazz, les réinterpréter, les remodeler et les arranger à ma sauce s’est rapidement imposé pour pouvoir faire des concerts qui me ressemblent, plus soul, funk et blues que purement jazz alors en effet, je crois qu’on est plus dans la réinterprétation…
Proposer des reprises exige parfois plus de travail ou de remise en question qu’une pure création…
C’est clair que reprendre de tels standards de jazz n’est pas un boulot de fainéant même si, vu de l’extérieur, ça peut sembler facile de ne pas avoir à écrire ou composer des morceaux originaux ! D’ailleurs, j’ai choisi Sinatra comme point de repère puisque c’est lui qui a popularisé ces chansons mais, tout comme moi, il ne les avait pas inventées non plus ! (rires) Ce sont des titres qui font partie du patrimoine du jazz aussi bien noir que blanc, ils ont été interprétés par plein de chanteurs mais celui qui a le plus marqué les esprits et qui s’est naturellement imposé comme une référence en vendant des millions d’exemplaires de Fly me to the moon ou encore Good life, c’est Sinatra…
S’attaquer à un tel répertoire a généré des craintes ?
Ça n’a pas été évident, c’est certain car on a toujours peur de mal faire au début… Ce qui m’a le plus motivé, ça a été que ces titres soient des classiques du jazz… Je pense que ça fait partie de l’apprentissage que de s’y confronter à un moment ou à un autre dans sa carrière de musicien ou de chanteur. Il faut les connaître. Si tu arrives dans une jam à New York et que tu ne sais pas chanter Fly me to the moon, tu passes un peu pour un rigolo ! (rires) Par contre, oublier les versions de Sinatra a finalement été le plus dur surtout que je l’avais beaucoup écouté. Je ne cherchais pas à être influencé par lui mais à comprendre pourquoi c’était lui qui avait popularisé ces titres et pas quelqu’un autre comme Ella Fitzgerald dont tout le monde, pourtant, se souvient…
Et tu as trouvé la réponse ?
Il y en a plein en fait ! Déjà, il est italien et blanc et à l’époque, c’était un atout pour vendre des disques, on était encore loin de la Motown et de Michael Jackson ! Et puis, surtout, Sinatra était un vrai musicien, un vrai chanteur… Ce qui m’a marqué dans son interprétation des textes, c’est sa justesse quasi insupportable ! (rires) Il semble vraiment être derrière chacun des mots, il donne la sensation d’avoir chaque image en tête. C’est ça je crois qui l’a rendu si captivant aux yeux du public et qui, pour ma part, a été compliqué à oublier au début. C’est pour cette raison que je me suis permis de bien torturer toutes ces chansons, pour savoir jusqu’où il fallait aller pour qu’on oublie cet interprète inégalable. J’ai dû changer tous les tempos et réarranger toutes les grilles d’accords pour les faire un peu à ma manière…
Bizarrement, sur ces titres qui ne sont pas de toi, tu sembles t’être libéré du personnage que tu t’étais créé et être devenu un peu plus « toi » sur scène…
C’est vrai que je suis un peu plus « moi »… C’est certainement dû à plein de choses comme l’âge et l’expérience mais je crois aussi que n’être qu’interprète retire une certaine pression et permet de se « reposer » un peu sur les mots des autres… Il y a d’ailleurs des titres comme Moonlight Serenade que j’aurais rêvé avoir écrits moi-même tant ils me ressemblent ! Et puis, ça m’a peut-être permis aussi de pouvoir accorder encore plus de temps et de soin à l’atmosphère, à l’ambiance et à la couleur des morceaux car c’était finalement le seul véritable moyen, d’une certaine manière, de pouvoir raconter qui j’étais, à travers mes influences musicales comme le blues, la soul, le reggae et le hip-hop…
© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson • Photo Quentin Curtat
Interview parue dans Le Mensuel de mai 2017 n°381 éditions #1 et #2
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