COUPS DE COEUR
Antonia de Rendinger en interview pour son spectacle « Scènes de corps et d’esprit »
« Ne pas devenir une vieille conne réac’ ! » Antonia de Rendinger
Si les adeptes de programmes télé ont pu la découvrir en instit à l’allure un peu stricte dans Comme des gosses sur M6, ceux qui la connaissent pour ses créations scéniques savent à quel point Antonia de Rendinger peut être multiple ! Capable, en une fraction de seconde, de passer d’une vieille dame désagréable à une enfant déroutante, la comédienne – qui excelle dans l’ardu exercice de l’impro – interpelle, détonne, surprend, séduit et marque durablement les esprits. Bien sûr, son talent d’interprétation y est pour beaucoup – elle qui sait donner vie à n’importe quelle femme en perpétuant la tradition du sketch à personnages – mais la finesse et la précision de son écriture pèsent elles aussi fortement dans la balance ! Dans son dernier spectacle Scènes de corps et d’esprit, l’humoriste observe avec autant de folie que d’élégance une société qu’elle tente de mieux cerner…
Antonia de Rendinger en interview pour son spectacle Scènes de corps et d’esprit
interview / spectacle / séries / humour
- 06 > 09 juin 2024 / Monaco / Théâtre des Muses / ️Infos & billetterie ici !
Morgane Las Dit Peisson : Scènes de corps et d’esprit, ton nouveau spectacle, a fait un carton à Avignon…
Antonia de Rendinger : En effet, ça a vraiment été formidable… J’ai vécu un Avignon comme je le souhaite à tous les comédiens ! Une salle pleine du premier au dernier jour, sans être obligée de tracter et donc en étant un peu épargnée par les grosses chaleurs qui ont pour habitude d’étouffer la ville.
On te voit généralement sur les planches, mais il y a aussi eu la série Comme des gosses sur M6 (toujours disponible en replay)…
Pour moi, faire de la fiction en télé ou au cinéma, c’est toujours un vrai bonheur parce que c’est une aventure collective et que c’est très chouette, quand on est habituée à être seule sur scène, de savoir qu’on va travailler avec plein d’autres gens. Et puis, c’est aussi confortable de se dire qu’on n’a pas la responsabilité du texte, de l’écriture du scénario ni l’entière responsabilité du jeu. Il y a également eu la série En terrasse de David Voinson sur Prime Video, En place de Jean-Pascal Zadi, Désordres de Florence Foresti ou César Wagner avec Gil Alma et à chaque fois, même quand ce sont de petites apparitions anecdotiques, ça fait du bien ! Comme des gosses, c’était un peu différent car j’avais un des rôles principaux avec Doully et Julien Pestel donc j’ai eu plus de temps pour profiter de ce personnage et de cette ambiance. Une série comme celle-ci représente 4 mois de tournage donc c’est un investissement, on met automatiquement des choses de côté mais le jeu en vaut la chandelle. Déjà parce que je me suis éclatée à la tourner et parce que c’est une superbe visibilité !
Une nouvelle création née sur scène…
C’est un spectacle qui correspond à ma génération. Je suis une quasi quinquagénaire maintenant, maman de deux adolescentes et le sujet s’est un peu imposé à moi pendant des parties d’impro. Pour trouver la trame, j’organise des séries de soirées où j’improvise et où je filme tout. Ça fait des sketches, certains sont partiellement exploitables, d’autres pas du tout mais j’extrais de tout ça ce que Rabelais appelait la substantifique moelle. Ça me fournit une armature avec des textes et des punchlines, puis je crée les (environs) 20% manquants de manière plus conventionnelle, en écrivant « à la table »…
Scènes de corps et d’esprit et non pas « saine »…
En effet ! (rires) Ce thème s’est imposé à moi grâce à un sujet de société. Je suis toujours un peu sur une actu intemporelle qui traverse ma génération et cette fois-ci, je me suis arrêtée sur les questions qui habitent nos adolescents, à savoir l’écologie, l’avenir, la planète mais aussi le genre, qui reste un sujet un peu spécial pour nous, parents… Je ne parle pas de l’orientation sexuelle mais vraiment du genre qui est un questionnement très à la mode… À la fois je m’interroge un peu sur l’authenticité de la « masse » et en même temps, je la perçois quand je côtoie des amis de mes enfants… Il y a une véritable interrogation, absolument nouvelle pour nous, chez cette génération ! À part de très rares cas dont on n’entendait pas parler, ce débat autour du genre a toujours été totalement absent de nos préoccupations donc c’est compliqué pour nous de comprendre tout à coup ces conversations sur le non binaire ou le non genré… Je ne juge rien mais ça m’interpelle alors j’en parle ! Ce spectacle-là me permet à la fois de ne répondre à rien (rires) mais de poser plein de questions et faire réfléchir. Peut-être que des parents ressortiront de la salle un peu moins braqués ou un peu plus ouverts d’esprit…
Pour moi, l’objectif c’est simplement de dédramatiser le truc. Je pense que même si ce n’est qu’une question générationnelle, une mode et que par définition elle sera passagère, autant que ça se passe bien. Je pars vraiment du principe que tout est toujours discutable et que, à partir du moment où tout se vit dans la plénitude, le bien-être et la sérénité, tout est envisageable.
Mes enfants sont entourées d’autres enfants qui ne veulent plus qu’on les appelle par leur prénom initial alors ça demande une petite adaptation mais si c’est plus profond que ce qu’on pense et que ça doit durer toute leur vie, ça ne me regarde pas. Et surtout, j’estime que rien de tout ça n’est grave. Ça peut être agaçant et déroutant mais ce n’est pas mortel. Notre époque est traversée par bien d’autres questions – politiques, écologiques ou sociales – autrement plus graves que celle-ci…
Ce sont peut-être d’ailleurs ces inquiétudes qui poussent les jeunes à chercher du sens dans un sujet qu’ils ont l’impression de pouvoir maîtriser…
Je pense qu’il y a de ça… Beaucoup de choses échappent à nos enfants et ils essaient sûrement, en effet, de trouver des domaines sur lesquels ils ont la sensation d’avoir une prise. Ils se rendent bien compte que la politique est pourrie, que l’avenir que leur réserve la planète est pavée d’embûches, que les problèmes géopolitiques internationaux leur échappent totalement puisqu’ils sont souvent motivés par des enjeux économiques très crasseux… Au milieu de tout ça, ils ont besoin de se rattacher à quelque chose qui leur permet d’avoir une emprise… On a tous besoin de marquer notre temps.
Et tu arrives à faire de tout ça quelque chose de drôle sur scène…
En tous cas, c’est l’impression que le public me donne quand je l’entends rire aux éclats ! (rires) Et puis ce spectacle me permet, je crois, de ne pas devenir une vieille conne réac’ et d’essayer de vivre en harmonie autant avec mes enfants qu’avec les questions qui leur posent problème… Le tout – parce que là j’ai tout de même été très sérieuse (rires) – avec des personnages, des situations, des accents, des vieilles dames, des femmes fatales et des petites filles évidemment ! (rires)
© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson pour Le Mensuel / Photos Kasia Kosinski / mai 2024
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