INTERVIEW
Anne Parillaud en interview
Happée dès ses débuts par un cinéma qui, en 1991, la couronnera d’un César de la meilleure actrice pour son interprétation dans Nikita, Anne Parillaud se retrouvera, pendant une vingtaine d’années à enchaîner les tournages sans n’avoir plus le temps de revenir vers un théâtre qui, si on s’y consacre sincèrement, ne laisse que très peu de place à tout ce qui n’est pas du domaine de la scène. Exigeante et passionnée, la comédienne a choisi de remettre son titre en jeu en se jetant corps et âme sur des planches qu’elle n’avait plus foulées depuis deux décennies… À l’affiche du Lauréat, elle incarne une séductrice qui, bien qu’elle ait le double de l’âge du fils de ses amis, ne va pas hésiter à s’offrir à lui avec autant de désir que de désespoir…
Anne Parillaud dans Le Lauréat > Salon de Provence / 05 avril • Cannes / 14 avril • Frejus / 03 mai
« L’insatisfaction permanente d’un comédien est son principal moteur… »
MORGANE LAS DIT PEISSON : Le Lauréat est en tournée…
Anne Parillaud : L’exercice même de la tournée est une toute première fois pour moi et très sincèrement, c’est un enchantement, une découverte et une véritable révélation ! C’est extrêmement jouissif de partir à travers la France pour rencontrer un public de province aussi chaleureux et de vivre, de scène en scène, des aventures différentes chaque soir. Le lauréat m’a offert le privilège, pour mon « baptême », de travailler avec une équipe technique et artistique fabuleuse en plus de rencontrer un beau succès…
Une première fois après plus de 30 ans de carrière…
C’est exactement ce que j’ai la chance de pouvoir ressentir ! Les quelques rôles que j’avais pu endosser à mes tout débuts ne m’avaient pas permis de découvrir le plaisir de la scène dans toute son envergure donc effectivement, je vis cette expérience comme si c’était la première fois… C’est magnifique de pouvoir être encore innocente et vierge après tant d’années de parcours, d’en ressentir le danger tout en ayant quand même une connaissance du métier… C’est un cocktail explosif et savoureux de peur et de plaisir ! (rires)
Comment Le Lauréat s’est-il invité dans votre vie ?
Ça faisait quatre ou cinq ans que je désirais retouner sur les planches mais étant très exigeante, je n’étais pas tombée suffisamment amoureuse jusque là d’un projet pour m’y aventurer… J’avais besoin d’un metteur en scène en qui je pouvais avoir une confiance absolue, quelqu’un capable de m’apporter un soutien, une direction et un regard sans concession ; j’avais besoin d’un personnage à la fois fort, radical et animal sans que ne repose pour autant sur lui tout le poids de la pièce et j’avais besoin d’une pièce signifiante avec un vrai fond qui soit accessible et populaire afin de découvrir les plaisirs du théâtre avec des gens dans la salle… (rires) Est arrivé Le lauréat qui répondait à la perfection à tous ces critères…
Votre personnage n’est pas sans aspérités…
J’ai toujours voulu défendre des personnages qui ne sont pas naturellement évidents et Mrs Robinson fait partie de ceux-là… Elle n’est pas forcément aimable, accessible et comprise mais j’aime ça ! C’est une femme transgressive, extrêmement moderne pour son époque mais qui, par ailleurs, est complètement désespérée sous cette vitrine de provocation, d’arrogance et d’assurance. C’est quelqu’un de profondément désenchanté, un joyau à incarner pour moi qui suis toujours à la recherche de personnages avec des failles dans lesquelles je peux m’infiltrer.
Contrairement au cinéma, vous pouvez peaufiner Mrs Robinson chaque soir…
C’est quelque chose d’incroyable quand on découvre toutes les richesses de la scène et c’est en grande partie grâce à ça qu’il est impossible d’avoir la sensation de répéter les mêmes choses chaque soir et de se lasser de son rôle. Se glisser soir après soir dans la peau d’un personnage, c’est un travail d’orfèvre, c’est une quête de perfection, c’est une volonté de se surpasser… L’insatisfaction permanente d’un comédien est son principal moteur…
Une perfection inatteignable malgré la pratique…
C’est un peu comme en amour, il faut se souvenir que rien n’est jamais acquis et admettre que des choses qu’on croyait contrôler nous échappent tout en admettant que d’autres peuvent nous tomber dessus n’importe quand… Il y a eu un soir où, bien qu’il était convenu que la pièce se déroulait à merveille jusque là, j’ai senti, physiquement, comme un orgasme… Quelque chose de fort et d’envoûtant, comme si j’avais trouvé le point G de la scène ! (rires) À partir de là s’est ouvert tout un nouveau monde car j’ai fait de ce nouvel acquis ma base pour repartir vers de nouveaux voyages théâtraux… Ce métier nous pousse à aller constamment plus loin pour voir s’il y a autre chose d’encore plus fort…
D’où vient ce désir de se glisser dans d’autres vies ?
Je crois que le comédien est un être complètement défaillant et c’est d’ailleurs un cas d’école en psychologie… Qu’est-ce qu’il se passe dans le cerveau d’un être humain pour qu’il ait envie de passer sa vie à être quelqu’un d’autre ? Pourquoi l’acteur a pour ambition, pour rêve absolu, de ne jamais être lui-même ? Il a donc un problème, inconscient souvent, avec lui-même, quelque chose en lui n’est pas en place… C’est ce déséquilibre qui l’amène à vivre constamment à travers les destins mais aussi les regards des autres. Le comédien est dans une irréalité, une sorte de monde parallèle… C’est un métier qui démontre une totale insécurité, une anormalité.
C’est un point de vue que tout le monde, je sais, ne partage pas mais que je défends envers et contre tout ! Je ne conçois pas l’acteur comme un métier ordinaire et celui qui le considère ainsi ne peut pas me toucher. Je n’arrive pas à comprendre à quoi peut correspondre d’aller sur un plateau de cinéma ou sur une scène comme si on allait au bureau… Être acteur est une façon de vivre, c’est une respiration nécessaire pour cet être humain qui ne sait pas comment respirer l’air qu’on lui a proposé à la naissance et qui trouve perpétuellement d’autres endroits que le sien pour s’épanouir…
Il y a des tonnes de définitions mais pour moi, le comédien est principalement quelqu’un qui se fuit lui-même au point de chercher à se faire aimer à travers l’autre et d’accepter d’être aimé pour ce qu’il n’est pas. C’est un être pour qui il n’est pas évident d’être aimé mais qui y parvient lorsque ça passe par l’interface d’un personnage. Il se fait aimer à travers ce qu’il donne et non pas ce qu’il est. Là où l’on se trompe beaucoup aujourd’hui, c’est que se lancer dans cette voie ne répond pas à un désir, une envie ou un souhait mais à un besoin viscéral…
© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson • Photos Eddy Brière
Interview parue dans les éditions n°402 #1, #2, #3 et #4 du mois d’avril 2019
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