CONCERT

André Manoukian en interview pour son concert « Anouch duo » et son spectacle « Les notes qui s’aiment »

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« La musique transforme l’hostilité en fraternité ! » André Manoukian

 


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Hyperactif dès qu’il s’agit de musique, André Manoukian – dont les connaissances dans le domaine semblent sans limite – est en tournée avec une multitude de projets ! Le 1er, inspiré de son dernier album Anouch (en hommage à sa grand-mère arménienne) exprime avec langueur et sursauts de vitalité l’âme d’un peuple avec des intensités et des intentions variables en fonction du nombre de musiciens qui l’accompagnent sur scène selon les dates. Mais alors qu’il sera en concert à Mougins en duo avec un percussionniste indien, André Manoukian s’est lancé un nouveau défi (à découvrir à Carros) qui lui va comme un gant. En effet, à travers Les notes qui s’aiment, le musicien passionné de musique et d’Histoire, s’adonne à un spectacle hybride oscillant entre one-man, piano, conférence, philosophie, anecdotes et humour…

 

 

 

 


 

 

André Manoukian en interview pour son concert Anouch duo et son spectacle Les notes qui s’aiment

interview / concert / improvisé / spectacle / musique / one-man

 

 


 

 

 

Morgane Las Dit Peisson : On s’habitue à voir une salle debout, comme ça a été le cas à Draguignan, à la fin d’un concert ?

André Manoukian : Dans la musique, il y a quelque chose de presque religieux au sens étymologique du terme, c’est-à-dire que ça nous relie. Quand on est sur scène, on sent qu’il se passe quelque chose car la musique porte beaucoup d’émotions et invite au voyage. Tant avec le jazz que la musique arménienne, je craignais un peu que les gens viennent écouter quelque chose qu’ils ne connaissaient pas, alors je me suis mis à leur parler pour les y initier et ça a créé un rapport privilégié et intimiste. Peu importe qu’ils soient 300 ou 800, on a l’impression d’être invités chez des amis, dans un salon chaleureux. Je ne sais pas si on s’habitue vraiment à voir toute une salle se lever mais en ce qui me concerne, j’ai plus l’impression de voir des hôtes raccompagner des invités qui s’apprêtent à partir. Je ne le prends pas comme une acclamation mais plus comme une belle politesse.

 

À Draguignan, vous étiez en format sextet mais à Mougins on vous retrouvera avec le concert Anouch Duo

Oui je serai à Scène 55 en compagnie de Mosin Kawa, un percussionniste indien. C’est le même album et le même projet que ce que j’ai proposé à Draguignan en format trio avec le groupe Balkanes et Dafné Kritharas, mais interprété différemment.

Avec cet album – Anouch -, le challenge était que ça « sonne », même simplement joué au piano. Tout ce répertoire, qui s’adapte à un seul pianiste comme à sept musiciens aussi bien qu’à de fabuleuses chanteuses, marche également parfaitement en duo. Avec Mosin – percussionniste originaire de Jaipur -, le dialogue piano-tablas (percussions indiennes) est vachement intéressant parce que c’est l’instrument percussif le plus mélodique qui soit. On dit qu’une bonne chanson doit pouvoir fonctionner dans son plus simple appareil parce que finalement, tout ce que vous mettez autour, aussi joli que ce soit, ce n’est que de l’habillage. L’essentiel, c’est que la mélodie soit là et que même à nu, ça touche le public. 

 

 

Un seul album mais différents rendus…

À chaque fois ça change, et on est dans une autre atmosphère. Je théorise même la chose en disant que le public fait partie du groupe, c’est-à-dire que sur scène on ressent ce qu’il ressent et qu’on finit par entendre nos notes comme si elles étaient passées à travers le corps des spectateurs.

Si on capte qu’ils sont à l’écoute, c’est qu’on touche leurs cœurs et à ce moment-là, on rentre tous dans une espèce de spirale que j’appelle tantrique ! (rires) Ça fait marrer le public mais c’est la réalité et ça avait d’ailleurs été théorisé par le grand psychanalyste Lacan qui disait qu’il ne préparait pas ses séminaires car quand il voyait dans la salle Picasso ou Sartre, leur présence le poussait à sortir des choses qu’il n’aurait jamais pu prévoir. 

C’est la magie de la représentation… Dès que vous sentez que quelqu’un est à votre écoute, vous êtes aux aguets et dans un état de tension qui nourrit la musique que vous jouez. 

À force d’acoustiques différentes, de publics différents, de musiciens différents et de longs passages d’improvisation prévus dans les compositions, chaque soir est différent et donc passionnant ! C’est ça qui est formidable quand on joue une musique improvisée, que ce soit du jazz, de la musique du monde ou ethnique, c’est qu’on se renouvelle en permanence. Quand on accompagne un chanteur de variétés, tout est au millimètre, il y a peu de liberté pour un musicien.

 

 

À l’inverse, vos musiciens s’éclatent car vous leur laissez de la place sur scène…

Ils ont chacun leur espace et leur moment et c’est important car c’est à force de jouer qu’on trouve des trucs et qu’on progresse. Idéalement, il faudrait enregistrer et réécouter tous les concerts pour garder une trace de tous les passages les plus chouettes afin de les empiler et atteindre ainsi une tension artistique maximum.

 

Anouch, un titre d’album et le prénom de votre grand-mère…

Cette mise en lumière de ma grand-mère est arrivée presque par hasard car quand on compose, c’est la musique qui nous guide. Quand j’ai découvert la musique arménienne il y a seulement 12 ans, j’ai sauté à pieds joints dedans sans réfléchir ! En Orient, on n’a jamais cessé d’improviser et du coup, j’ai réalisé que les gammes orientales de mes ancêtres mêlées à « mon » jazz donnaient un résultat tout simplement parfait. Enfin, j’allais pouvoir m’exprimer au piano de la manière la plus personnelle qui soit, puisque c’est mon héritage à moi. Ce n’est pas évident de dépasser des maîtres du jazz comme Monk, Bill Evans, Oscar Peterson ou Brad Mehldau alors il faut tenter de trouver sa propre voie. J’ai l’impression d’y être parvenu et Anouch est déjà le quatrième opus d’inspiration arménienne que je fais.

Pour cet album-là, tout est parti d’une ballade un peu lente, comme une marche qui m’a guidé. J’ai voulu l’appeler The walk puis tout à coup, j’ai pensé à la marche de ma grand-mère après que mon père m’a pudiquement fait lire le récit de son calvaire écrit par ma tante, comme si c’étaient les femmes qui écrivaient les histoires des femmes pendant que les hommes racontaient les exploits des hommes. En découvrant toute son histoire, j’ai compris que c’était une héroïne qui avait survécu au pire grâce à la ruse et à une force colossale. Elle est partie du nord de la Turquie pour rejoindre le désert de Syrie, à pied… C’est l’histoire de tous les Arméniens de la diaspora… On a tous le même passé puisqu’on a subi la même chose, on est tous des enfants de rescapés… Ou plutôt de super héros ! C’est comme ça je vois ma grand-mère aujourd’hui et ça change tout le point de vue. 

 

 

Vous qui êtes passionné par l’Histoire et le rôle que la musique y joue, raconter à l’Occident ce pan qu’on connaît peu était essentiel ?

C’est important de témoigner de l’Histoire… La 1ère génération concernée – celle de mes grands-parents arrivés en France en 1923 – s’est tue car elle voulait s’intégrer dans la société sans dévoiler l’horreur qu’elle avait vécu. Mais ils parlaient entre eux et la seconde génération, celle de mon père, a été élevée en entendant des récits de massacres qui l’ont traumatisée. Mon père s’est construit grâce à un humanisme, à une philosophie et à des valeurs qu’il m’a transmises. La troisième génération dont je fais partie n’a aucun problème puisqu’elle est née ici et qu’elle a moins entendue toutes ces histoires.

Mais un jour, quand on commence à grandir, on s’intéresse et on regarde. On n’a pas d’arbre généalogique mais on a une histoire qui remonte à 3000 ans et c’est ça le paradoxe. On découvre qu’on a été le premier peuple à adopter le christianisme comme religion d’État et petit à petit, on prend conscience de la richesse de notre histoire mais aussi d’une injustice majeure et fondamentale : ce génocide n’a pas été reconnu par ceux qui l’ont perpétré ni par leurs descendants…

Le temps a passé mais j’ai l’impression que notre prise de conscience fait que les générations à venir n’oublieront pas, bien que nos origines soient toutes diluées puisqu’on est tous désormais issus de mariages mixtes, sauf moi qui ai la stéréo côté père et mère (rires) ! Je vois que mes enfants gardent en eux une petite part d’arménité donc je ne suis pas inquiet au sujet du risque d’oubli. En revanche, quand je vois ce qui se passe aujourd’hui, j’ai l’impression que ça recommence… Encore au 21ème siècle, la guerre est dévastatrice… L’Ukraine, Gaza… Face à ça, ça devient compliqué de trouver une utilité à ce qu’on fait… Moi, mon rôle en tant que musicien, c’est juste d’offrir des saveurs et rappeler qu’on peut encore se rassembler. Quand un musicien entend un son étranger, son premier réflexe n’est pas de le rejeter, mais de jouer avec.

Quand Mozart et Beethoven ont entendu les percussions turques – cymbales et timbales -, ils s’en sont immédiatement emparé. D’une certaine manière, c’est grâce aux Turcs qu’on a des orchestres symphoniques de 70 personnes car ça faisait tellement de boucan qu’on a été obligés de doubler nos violons ! (rires) Le musicien fait le contraire du politique, il ne cède pas à la peur de l’étranger et à la stigmatisation, il écoute, il s’intéresse, il découvre des sons venus d’ailleurs et avec eux, une histoire. La musique, c’est ce qui transforme l’hostilité en fraternité et en langage universel…

 

 

Touche-à-tout, on vous verra dans Les notes qui s’aiment à Carros en avril, un spectacle hybride entre one-man musical, conférence, philosophie, anecdotes, Histoire et humour…

Ce seul en scène est né de réflexions faites par plusieurs personnes qui avaient vu mes concerts. J’y parle beaucoup et j’initie les gens à la musique donc certains trouvaient l’idée d’un spectacle intéressante. La première fois, je me suis lancé quasiment en improvisant sur des sujets que les gens n’entendent pas d’habitude. Je suis dans la musique depuis l’âge de six ans, j’ai commencé par le classique et quand j’ai voulu faire du jazz, je me suis retrouvé un peu coincé. J’ai été obligé d’aller à Boston, aux États-Unis, où on m’a remis une demi-feuille de papier sur laquelle, dans une seule portée, tenaient tous les secrets de l’improvisation ! Je me suis alors demandé pourquoi on n’enseignait pas ça aux enfants ? Et, en allant un petit peu plus loin, je me suis aperçu qu’en réalité, autrefois, tous les classiques étaient des improvisateurs, exactement comme les jazzmen contemporains !

Jean-Sébastien Bach, Mozart et Beethoven, tous improvisaient ! Il y avait même des battles, c’est dingue ! (rires) Mozart versus Clementi sur deux clavecins et les gens étaient fous ! (rires) Pour Bach versus Louis Marchand à l’orgue, les gens votaient et pariaient ! Et Beethoven avait accepté de faire face à Steibelt, un « petit » pianiste…

Puis, tout à coup, à la fin du 19ème, on cesse d’apprendre aux musiciens à s’exprimer et on va hiérarchiser. C’est la société pyramidale et post-industrielle qui se met en marche, il y a un chef : le compositeur qui va devenir une star, en-dessous il y a le chef d’orchestre et enfin, les musiciens qui exécutent une musique écrite pour eux. 

Aujourd’hui, deux musiciens classiques qui se rencontrent sont incapables d’avoir une conversation musicale, ils sont obligés de lire le texte de quelqu’un d’autre, comme si chaque être humain qui apprend une langue ne devait utiliser que des phrases toutes faites ! 

C’est un sujet qui me tient tellement à cœur que j’en ai fait un spectacle où il y a de l’humour et de l’indignation ! (rires) 

 

Une conversation libre avec le public qui ne dure, malgré toutes vos connaissances, « que » 2 heures… Il a sûrement fallu faire des choix… 

C’est le pire pour moi, j’ai du mal à choisir car, comme on dit très justement, « choisir c’est renoncer »… Et puis en plus, je ne sais pas dire non… (rires) Mais je ne peux pas non plus retenir les gens en otage pendant une nuit entière donc j’ai fait du tri dans mes idées et mes souvenirs. Par contre, je garde dans un coin de ma tête l’envie que ce concept ait, à l’avenir, plusieurs chapitres…

© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson à l’Hôtel Victoria de Draguignan pour Le Mensuel / Photos Emmanuelle Nemoz / mars 2024

 

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