INTERVIEW
Alexandra Lamy, José Garcia & Éric Lavaine en interview
Après « Barbecue » et « Retour chez ma mère« , Éric Lavaine revient avec un nouveau long-métrage – pour la première fois co-écrit avec son frère Bruno – inspiré de l’histoire d’une amie à lui. Béatrice sort un livre sur l’histoire de sa vie depuis l’accident qui a entre autre coûté la vue à Frédéric, son mari… En total lâcher prise grâce aux bienfaits de l’écriture, la jeune auteure, armée de son courage et de sa franchise n’a pas imaginé un seul instant que son ouvrage autobiographique allait semer, dès sa sortie, la discorde au sein de son groupe d’amis…
Alexandra Lamy + José Garcia + Éric Lavaine pour le film Chamboultout au Cinéma / 03 avril
« Chaque être humain fait ce qu’il peut avec ce qu’il a ! »
MORGANE LAS DIT PEISSON : Chamboultout a rencontré le public en avant-première…
Éric Lavaine : Tous les premiers retours du public ont été très bons mais ce qui me satisfait le plus, c’est que les gens qui sont restés après les projections n’ont pas fait que des selfies et demandé des autographes, ils ont discuté avec les comédiens pour leur confier ce qui les avait touchés et sur quels points ils s’y étaient identifiés… Ça veut dire que le film ne les a pas simplement amusés mais il leur a permis de se sentir concernés et ça, c’est la plus belle récompense pour un réalisateur.
3 fois, et bientôt 4, que vous faites tourner Alexandra Lamy…
Éric : J’ai une tendance à revenir vers elle à chaque fois car à talent égal, je vais choisir la personne la plus sympathique ! (rires) Et Alex est absolument extraordinaire de joie de vivre, de simplicité et de gentillesse ! Dans un film choral comme Chamboultout où l’on a une douzaine de comédiens, une tête d’affiche comme elle qui est toujours d’humeur égale, qui met tout le monde à l’aise, qui arrive à l’heure, qui est super pro et qui connaît son texte, ça incite tout le monde à se mettre au diapason. Donc pour moi, à la réalisation, c’est tout bénéfice puisque j’ai à la fois mon rôle principal et ma chargée des ressources humaines ! (rires) Mais évidemment, la raison première, c’est son talent et sa capacité à passer de la comédie au tragique avec une désarmante vérité…
José Garcia, aveugle…
Éric : Il aime les rôles qui requièrent une certaine performance. Dans Chamboultout, il joue un aveugle et pour que son personnage sonne le plus vrai possible, il est allé au contact de non-voyants pour recueillir leurs témoignages, il s’est beaucoup mis en retrait pour se concentrer et se déplaçait sur le plateau en fermant les yeux… C’est un comédien investi donc il ne peut que sublimer le rôle qu’il accepte.
José Garcia : J’ai travaillé avec Dominique Dumont, le co-directeur des Bouffes-Parisiens, qui est devenu non-voyant et qui déambule
dans son théâtre en disant bonjour à des gens qu’il n’a reconnus que grâce à leurs parfums, il est incroyable ! J’ai essayé de prendre exemple sur lui mais les premiers temps, c’est d’une difficulté exaspérante ! Et puis, au bout d’un moment, on commence si on se prête vraiment au « jeu », à entrer dans un monde inquiétant d’une sensualité sans pareil… Aller d’un point A à un point B est une réelle odyssée mais le plus difficile, pendant le tournage, a été de réussir à garder le regard dans le vague et de ne pas avoir de mauvais réflexes comme attraper directement quelque chose qu’on me tendait…
Ce n’est pas un film sur le handicap…
Éric : Exactement car si la perte de vision du mari est l’élément déclencheur de l’écriture du livre de l’épouse, le véritable enjeu de Chamboultout c’est la réaction de chaque ami qui découvre ce que Béatrice a écrit sur lui. C’est une femme qui gère sa maison, son mari handicapé, ses enfants, son boulot, sa vie de femme et malgré ça, ses amis ne font pas attention aux raisons de son ouvrage mais uniquement aux détails les concernant… C’est un film sur le regard et l’attention que l’on porte aux autres mais aussi sur le regard que l’on se porte soi à soi-même.
Alexandra Lamy : Le film est malin car sans mettre lourdement l’accent sur le handicap, il montre les répercussions que celui-ci a sur les proches. Je voulais qu’on comprenne Béatrice qui, à travers son livre et au delà de son désir d’aider les gens qui vivent la même chose qu’elle, avait besoin de se libérer et de rappeler à ceux qui la jugent qu’elle ne peut pas être qu’une mère ou une infirmière. Elle porte toute la famille à bout de bras donc si elle est malheureuse, tout le monde l’est… Son mari n’a pas perdu que la vue et même si elle ne le quittera jamais, elle a besoin, en tant que femme de « refaire » sa vie dans les bras d’un autre... Un homme profondément bon qui a accepté que la femme dont il est tombé amoureux n’abandonne jamais sa famille et qui a choisi de l’épauler…
José : Et puis c’est très spécial comme histoire car Frédéric n’a pas conscience de son handicap. Il ne se rappelle pas avoir eu un accident, ne réalise pas ses différences et il a la chance d’avoir une famille qui prend extrêmement bien soin de lui et des amis qui continuent à sortir avec lui. La pénibilité repose vraiment sur les épaules de sa femme.
Ça traite de la tolérance…
Éric : Cette histoire rappelle qu’il n’y a pas un exemple de vie à suivre… Chaque être humain fait ce qu’il peut avec ce qu’il a ! J’ai repris quelques phrases du livre comme celle de la belle-mère de Béatrice – Barbara dans la vraie vie – qui, en accueillant le compagnon de sa belle-fille lui dit : « Béatrice a besoin de vous et mon fils a besoin d’elle ». C’est tout simple mais c’est chargé de sens et de tolérance surtout venant
d’une femme à l’éducation catholique qui a choisi de passer outre la bien-pensance et la morale pour le bien de sa famille.
Une femme qui blesse ses proches sans le vouloir…
Alexandra : Elle les vexe car, par ego, ils s’arrêtent à des détails mais c’est vrai que les gens qui vivent des drames, ne se rendent pas toujours compte de l’impact de leurs mots… Je suis marraine d’une association et je vois des femmes qui sont mamans d’enfants atteints de maladies orphelines et qui vivent des choses si difficiles qu’elles ne se rendent pas toujours compte de leur dureté. Elles n’ont plus de filtres parce qu’elles n’ont plus le temps pour ça et je pense que c’est un peu ce qu’il s’est produit avec le livre de Béatrice. Sans penser à mal, sa franchise a froissé les siens. Et puis de l’autre côté, c’est horrible ce que je vais dire mais il y a une espèce de jalousie du malheur puisque par lui, elle est devenue malgré elle le centre d’attention. Ça provoque un agacement aussi déplacé qu’humain de ses copines qui elles aussi ont besoin qu’on se rappelle, de temps en temps, qu’elles existent…
Les femmes commencent à retrouver de beaux rôles…
Alexandra : C’est très étrange car à l’époque de Simone Signoret ou de Romy Schneider, il y avait de magnifiques rôles de femmes au cinéma et puis ça s’est tassé, les femmes se sont un peu retrouvées à servir la soupe. Et c’est vrai que depuis quelques années, on retrouve de nouveau un équilibre avec de belles têtes d’affiches féminines et de magnifiques personnages imaginés tant par des hommes que par des femmes. Quand j’ai fait la série d’Harlan Coben par exemple, le fait que je sois une femme qui ne sache pas se bagarrer ou se servir d’une arme a apporté au scénario une tension forte et une dimension différente.
Vous avez d’ailleurs un projet de film féminin…
Alexandra : Et je suis en train de me remettre dedans ! (rires)J’écris pour ma fille, ma soeur et moi car je trouve qu’on est toutes les trois dans des âges intéressants. Celle qui a 20 ans rêve d’être en couple, celle qui en a 30 ne sait pas si elle doit divorcer et celle de 40 ne sait plus du tout où elle en est et rêve de retrouver ses 20 ans ! (rires) Mais tant que le scénario ne sera pas suffisamment « béton », je ne passerai pas à la réalisation ! On a beau dire qu’un film se rattrape au montage, je n’y crois pas. Si le texte est mauvais, le film le sera aussi…
© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson aux Cinémas Pathé & à l’Hôtel Westminster de Nice • Photos droits réservés
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Interview parue dans les éditions n°402 #1, #2, #3 et #4 du mois d’avril 2019
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