INTERVIEW

Alain Chamfort en interview

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Ne prôner que son élégance, ses allures de dandy et son romantisme serait très réducteur… Depuis une belle quarantaine d’années, celui que Claude François avait poussé à se produire en solo – très certainement dans l’espoir d’en faire un produit marketing malléable à souhait – et qui s’était retrouvé, à l’époque, avec l’étiquette d’un chanteur à midinette sur le dos, a fait un chemin que seul un véritable artiste pouvait accomplir. Ne cédant à aucune pression ni à aucune mode, Alain Chamfort a prouvé qu’il n’était pas uniquement l’interprète de chansons sentimentales comme L’Amour en France. Très vite décidé à choisir quel tournant offrir à sa musique, c’est avec Manureva, à la fois disco et mélancolique, que le chanteur a choisi sa voie et définitivement séduit le public. Et bien qu’il excelle toujours, sur fond de pop et de nostalgie, à parler d’amour, c’est à de nouvelles thématiques qu’il a choisi de s’attaquer dans un prochain album qui verra le jour à l’automne prochain.


⇒ À Puget sur Argens le 10 février 2017

 


« Si tout est trop facile et évident, rien n’a de saveur particulière… »


 


Morgane Las Dit Peisson : 
Vous êtes quelqu’un de très discret qui sait pourtant s’extraire de l’ombre des studios pour aller au devant de la scène…

Alain Chamfort : C’est vrai que ces deux grandes phases de travail sont très différentes l’une de l’autre mais c’est aussi ce qui rend les choses si intéressantes. C’est merveilleux d’avoir ce moment à soi qu’est la période de création, dans un lieu quasiment protégé de tout où l’on peut se concentrer, intérioriser et rechercher l’inspiration. Et puis, vient le moment où l’on acquiert une certaine satisfaction face à ce que l’on entend. On ne peut se fier qu’à son seul jugement pour savoir si le morceau auquel on vient de donner naissance va faire un bout de chemin jusqu’à la scène ou finir ses jours précipitamment dans la poubelle ! (rires) Une fois qu’on est à peu près sûr de soi vient le temps de la réalisation en studio qui ouvre, à son tour, un champ quasi infini des possibles et ensuite, seulement, on peut caresser l’idée de retrouver la scène. Donc finalement, on ne passe pas brutalement d’une phase à l’autre, on a le temps d’appréhender la chose et de se préparer à l’exercice, tout particulièrement pendant la période qui à mon goût est la plus barbante, celle où l’on doit passer du temps à faire savoir qu’on a conçu un nouvel album…

Et puis, une fois que les gens savent qu’on leur propose un rendez-vous en concert, ceux qui viennent sont en général de ceux qui ont été sensibles à notre proposition artistique et qui – normalement (rires) – viennent en amis… Donc même quand on est d’une nature assez réservée, on ne peut que se sentir bien en compagnie de notre équipe, de morceaux qu’on aime et surtout d’un public avec qui on partage les mêmes goûts, un public qui est attentionné et à l’écoute, un public qui reçoit la musique sans aucun a priori, sans aucun filtre, sans aucun média…

Quand on crée, on doit oublier ou au contraire penser au public qui réceptionnera nos titres ?

Il y a un juste milieu à trouver car évidemment, il ne faut pas imaginer un album uniquement en fonction de ce qui va plaire ou marcher mais il faut tout de même réussir à garder à l’esprit que l’on va tenter d’atteindre des gens. C’est ça qui est devenu un peu étrange à notre époque… On n’est plus tellement jugé sur la qualité d’une production mais sur un nombre d’exemplaires écoulés qui, s’il n’atteint pas le chiffre escompté, ne permettra pas de partir en tournée ou d’être produit la fois suivante. Alors inconsciemment, ça reste dans un coin de notre tête même si finalement, on ne sait jamais vraiment ce qu’attendent les gens… On essaye d’être en phase avec ce qu’on propose mais après, quoi qu’on fasse, ça ne nous appartient plus vraiment, on ne peut pas maîtriser l’impact que notre musique aura ou n’aura pas d’ailleurs ! (rires)

Et on ne saura jamais pourquoi tel ou tel morceau marquera à vie telle ou telle personne…

C’est vrai mais pour que cette magie opère, là encore, il faut que les gens aient l’occasion d’écouter ce morceau. S’ils le découvrent lors d’un concert, ils n’ont pas le temps d’intégrer toutes les informations qu’il délivre et c’est en ça que le travail des radios est primordial. Grâce à elles, une chanson peut faire insidieusement son chemin pour s’installer chez les gens et faire écho à leur personnalité et à leur histoire… C’est comme un plat délicat, on le déguste, on l’analyse, on le savoure mais on ne l’ingurgite pas sans prendre le temps de l’apprécier.

C’est vrai qu’on a tendance à tout surconsommer y compris la musique et du coup, on entend des centaines de titres sans prendre le temps d’en écouter véritablement un seul…

Tout est devenu un peu comme ça de nos jours… C’est l’évolution de notre société qui impose ça alors on est condamné quelque part à s’y plier si on ne veut pas vivre en marge, mais en même temps, on doit faire attention à ne pas se laisser happer. Je crois qu’on a toujours au fond de nous une petite voix qui nous dit ce qu’il faut ou ce qu’il ne faut pas faire comme un genre de conscience, de conviction et d’intuition qui nous empêche de nous trahir en suivant les modes du moment. C’est d’ailleurs le fait de ne pas mentir au public et surtout de ne pas se mentir à soi-même qui aide à accepter l’échec possible car quand on est réellement sincère et entier sur un album, on n’a jamais rien – peu importe le nombre de ventes réalisées – à regretter.

Le problème est qu’on a fait de l’Art un commerce et que sans cet aspect commercial, ce même Art ne peut pas rencontrer son public… C’est un cercle vicieux…

Quand j’ai démarré ma carrière, il y avait encore un poste essentiel en radio, celui du directeur des programmes qui – à l’époque – prenait soin de repérer des talents personnels, singuliers et intéressants et tentait de les faire éclore. Petit à petit, à force de les entendre, les auditeurs finissaient par les écouter puis par les apprécier. Désormais, c’est un métier qui a quasiment disparu et les stations se basent sur des panels de population pour fournir aux gens tel ou tel type de musique. Au fil des années, on a perdu ce devoir d’éducation, de découverte et de transmission sans lequel on n’aurait jamais décelé, à l’époque, des talents aux univers très marqués comme ceux de Brassens, de Brel ou de Barbara, au profit d’une recherche d’audience qui, quant à elle, exige d’avoir des programmes « digestes »… Il n’y aucune aigreur dans mes propos, c’est un juste un constat de ce qu’on a nous-mêmes créé autant en radio qu’en télé donc c’est une règle du jeu qu’il nous faut désormais accepter.

Dans le titre L’amour n’est pas un sport individuel, la phrase « Si la vie n’est qu’une compétition, tout le monde ne sera pas champion » résume à elle seule beaucoup d’idées…

C’est de la lucidité, c’est l’idée d’avancer à son propre rythme, de prendre son temps justement, de chercher à se dépasser soi-même avant d’essayer de dépasser les autres ou en tous cas, de chercher à se trouver soi-même, de comprendre son niveau de compétences mais aussi d’incompétences (rires) et de toujours conserver un certain niveau d’exigence face à soi-même pour ne jamais risquer de céder trop facilement. C’est là-dedans qu’on prend du plaisir car si tout est trop facile et évident, rien n’a de saveur particulière…

Le premier mot dans ce titre est « l’amour » mais comment arrive-t-on encore à trouver les mots pour parler d’amour après plus de quarante ans de carrière ?

(rires) Heureusement que pour ça j’ai des auteurs formidables ! J’ai eu la chance de croiser sur ma route des gens magnifiques comme Jacques Duvall avec qui je collabore depuis une trentaine d’années maintenant… C’est marrant que vous en parliez car justement, avec le prochain album sur lequel je suis en train de travailler, j’ai désiré sortir un peu de ça. C’est vrai qu’on peut aborder le thème de l’amour sous divers aspects, qu’il est inépuisable depuis la nuit des temps mais j’ai ressenti le besoin de me bousculer un peu, d’aller voir ailleurs alors c’est l’auteur Pierre-Dominique Burgaud – avec qui j’avais déjà travaillé sur l’album Une vie Saint Laurent – qui va m’accompagner dans cette démarche là cette fois-ci pour me permettre d’aborder des thèmes différents de celui – le rapport à la femme – qui avait en effet souvent fait partie de mon programme jusqu’à maintenant ! (rires) On va s’aventurer vers des questions plus existentielles comme le hasard des choses, la beauté ou le temps et je crois que c’était important de basculer sur autre chose avec l’âge pour continuer à garder une envie, un plaisir et une curiosité.

Vous avez sorti à l’automne 2016 un best of classique en même temps qu’un best of confié à de jeunes artistes qui ont eu une totale liberté…

Je les ai en effet laissés se réapproprier mes morceaux comme ils le voulaient, sans chercher à mettre mon grain de sel… Je trouve que la musique est libre et constamment en mouvement, elle se nourrit d’elle-même et de toutes sortes d’influences et ce n’est que comme ça qu’elle peut continuer à évoluer. Je ne suis par exemple que le résultat de ce qui m’a plu, des artistes que j’ai écoutés toutes ces années et je ne peux finalement produire, malgré moi et le plus inconsciemment du monde, que des sommes de tout ce que je suis et de tout ce que j’aime… Alors que ma musique permette à d’autres artistes d’aller plus loin avec et les inspire suffisamment pour qu’ils aient envie de s’en emparer a été un cadeau incroyablement touchant. Ça été enrichissant pour moi d’écouter le travail fait par ces artistes et de découvrir de nouvelles visions de ma musique.

Vous n’avez pas été tenté par l’idée de les transformer vous-même ?

Non parce que ces chansons que j’ai composées correspondaient exactement à la façon dont j’avais envie de les proposer à l’époque où je les ai imaginées donc elles ont une histoire, elles sont le témoin d’un état d’âme ou d’un moment précis alors je n’avais pas envie de les dénaturer… Je n’ai jamais été à l’aise à l’idée de lifter des morceaux car ils témoignent d’un temps, d’un instant, ils ont 30 ans ou 10 ans mais ils ont une identité propre que j’ai besoin de respecter. Une chanson est un souvenir et quelque part, on ne lifte pas un souvenir, on le chérit, on en est fier et on le protège. Je n’aurais jamais pu faire Manureva aujourd’hui comme je n’aurais pas pu chanter Joy il y a vingt ans… Ce sont des instantanés… La seule « transformation » qu’il m’arrive de faire, c’est lorsque je joue en acoustique, avec mon pianiste, et qu’inévitablement, je ne peux pas avoir tous les arrangements d’origine. Mais ce qui est très plaisant d’ailleurs dans cette démarche, c’est que finalement, en piano/voix, je retrouve l’essence même de ces titres que j’ai fait naître de cette manière là, tout seul, au piano.

Vous avez sorti en octobre dernier une antibiographie musicale…

C’est mon éditeur qui a réussi à me convaincre avec cette idée d’antibiographie ! (rires) J’ai beaucoup aimé le terme. En réalité, on a essayé de rester sur une biographie professionnelle même si, bien sûr, on est obligé de s’en écarter de temps en temps lorsque la vie privée a eu une incidence directe sur ma production musicale et mes choix de carrière. Dans une véritable biographie, on parle de soi, de sa vie et je n’ai jamais été très à l’aise avec ça, je pense sincèrement que ça n’a strictement aucun intérêt pour personne hormis mes proches ! (rires) L’intimité que je dévoile dans cet ouvrage, c’est plus du domaine du ressenti et du point de vue.

C’est finalement compliqué de se raconter ?

Oui plutôt à mon goût… Par quoi commencer ? Quoi retenir ? Heureusement qu’on est aidé dans ces cas là car je crois que j’avais besoin qu’on me dise ce qu’on attendait de moi et ce qui pouvait intéresser les futurs lecteurs parmi toutes ces années de souvenirs…

Sincèrement, vous avez vu passer cette quarantaine d’années de carrière ?

Non, je me doute que je ne vais pas vous rassurer mais non, je ne les ai pas vues passer ! (rires) Ce n’est qu’en regardant en arrière qu’on peut s’apercevoir du chemin parcouru et du temps passé mais sur le moment, tout va trop vite, on essaye de vivre les choses pleinement alors on n’a pas le temps d’analyser ce qu’il se passe…

Le temps ne se fige pas et comme lui vous n’arrêtez pas…

Oui tant que j’aurai de l’inspiration, je continuerai… Le prochain album est prévu pour octobre 2017 et on a déjà huit chansons dont je suis, pour le moment, plutôt content et d’ailleurs, tant que je sens que je ne suis pas pleinement satisfait, je jette directement et je passe à autre chose. J’ai besoin d’avoir un coup de cœur, d’être convaincu et si je ne le suis pas, j’attends que ça se débloque, que ça s’éclaire. Je ne suis pas quelqu’un de laborieux, j’ai besoin que la création soit fluide et naturelle…

© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson • Photo Boris Camara

Interview n°996 parue dans Le Mensuel de février 2017 n°378 éditions #1 et #2

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