CINÉMA
Ahmed Sylla et Bertrand Usclat en interview pour le film « Jumeaux mais pas trop »
« Ce n’est pas un film sur les différences entre les noirs et les blancs ! » Ahmed Sylla
Primé au Festival de l’Alpe d’Huez, Jumeaux mais pas trop – d’Olivier Ducray et Wilfried Meance – s’est inspiré d’un fait réel somme toute plutôt rare : une naissance de jumeaux noir et blanc ! Magnifique entrée en matière pour une comédie, ceux-ci ont décidé de corser l’histoire en imaginant une séparation à la naissance et une rencontre fortuite à 33 ans !
Si la situation prête d’emblée à sourire, les deux réalisateurs ont eu la finesse de ne pas tomber dans la caricature en offrant des personnages complexes à Bertrand Usclat et Ahmed Sylla qui n’excellent décidément pas que dans l’humour…
Ahmed Sylla, Bertrand Usclat & Wilfried Meance pour le film « Jumeaux mais pas trop » au cinéma le 28 septembre 2022 (détails et billetterie dans l’Appli Le Mensuel)
Morgane Las Dit Peisson : Jumeaux mais pas trop est votre 1er long-métrage…
Wilfried Meance : Sincèrement, c’est à peu près le même travail que sur un court-métrage sauf que la durée de tournage est plus longue. Pour tous les « courts » que j’ai faits, on tournait pendant 3 jours à, grand maximum, une semaine. Pour un long-métrage comme Jumeaux mais pas trop, le rythme était beaucoup plus soutenu – 7 semaines – il a donc fallu apprendre à tenir sur la durée mais c’est la seule vraie différence que j’ai trouvée.
Être deux coréalisateurs…
Wilfried : L’énorme avantage sur ce film, c’est qu’on a été deux à le coréaliser – Olivier Ducray et moi – et que ça nous a permis d’avoir un peu plus de souplesse. C’est assez « reposant » et rassurant d’être deux car on s’interroge mutuellement, on se relaye quand on est fatigué et par définition, on n’est pas seul à supporter tout le poids du film sur ses épaules.
Ce qui fait notre force aussi, c’est qu’avec Olivier on a la même vision du cinéma donc il n’y a aucune tension entre nous et ça, c’est réellement un luxe ! (rires) On avait beaucoup travaillé chacun de notre côté jusqu’à ce qu’on réalise un court-métrage ensemble – Mon p’tit Bernard – qui a été le point de départ de notre collaboration…
Jumeaux mais pas trop est une pure fiction imaginée à partir d’un fait divers…
Wilfried : C’est une idée que nos producteurs nous ont soumis. Ils étaient tombés sur un article qui relatait la naissance de jumeaux noir et blanc et ça a été le point de départ. Ensuite, l’histoire de ces deux personnages a été intégralement imaginée, donc de l’abandon aux retrouvailles, tout n’est que fiction.
Deux frères qui ne se connaissent pas et qui, comme dans toute bonne comédie, sont différents en tout point…
Wilfried : Dès qu’on a commencé à imaginer le rôle de Grégoire – joué par Bertrand Usclat – on avait pour référence Geoffroy Didier, un politique LR. On trouve qu’il lui ressemble un peu et jusqu’à la création de la fausse affiche de campagne de son personnage, on s’est inspiré de lui. On l’a voulu très 16ème, très 1er de la classe et en complète antagonie avec un frère, certes inconnu mais né avec le même patrimoine génétique ! On trouvait intéressant, au-delà du comique de situation, de montrer comment deux jumeaux pouvaient avoir deux parcours de vie complètement différents.
« On a laissé monter une certaine sensibilité dans le film… » Wilfried Meance
En voyant Ahmed Sylla à l’affiche, on pense comédie mais on a aussi des scènes fortes en émotion…
Wilfried : Avec Olivier, l’émotion est quelque chose qui nous touche autant que la comédie pure et on a besoin qu’il y ait toujours du sens dans chaque scène, quitte à sacrifier une excellente vanne parce qu’elle ne sert pas le propos. On veut vraiment que ce soit l’émotion qui prime à chaque fois. La scène où Ahmed Sylla est bouleversant fonctionne – en dehors de son travail d’acteur – car avant celle-ci, on a laissé monter une certaine sensibilité dans le film sans céder à des instants d’humour qui auraient certes été efficaces, mais totalement « gratuits » dans le déroulé de l’histoire.
Quand on a, avec Olivier, imaginé cette scène-là, on a pensé à Sur la route de Madison qu’on aime énormément. Ce moment où ces deux personnages ne se parlent pas, où l’on n’arrive pas à deviner ce qu’ils vont faire mais où, juste par leurs regards, on comprend l’état psychologique dans lequel ils se trouvent.
À Nice, 1ère avant-première…
Bertrand Usclat : 1ère avant-première, 1ère interview… Vous n’aurez peut-être pas des réponses très intéressantes parce qu’on n’est pas encore bien rodé mais elles seront spontanées ! (rires) D’autant plus pour moi qui suis encore assez vierge de toute promo ciné. Je suis hyper content de rencontrer le public et d’enfin montrer le film à des gens ! (rires) La seule fois que c’est arrivé, c’était à l’Alpe d’Huez et ça nous a plutôt réussi puisqu’on en est ressorti avec un petit prix du public plutôt sympa ! Mais partir en tournée d’avant-premières, sans la « pression » d’un festival, avec pour seul but d’échanger avec le public, c’est excitant !
Une avant-première permet de recueillir les impressions du public, mais, contrairement à la scène, on ne peut plus rien changer…
Wilfried : C’est un moment un peu troublant en effet mais nécessaire car c’est là qu’on comprend aussi qu’il faut admettre de laisser le film partir et faire sa vie. Dès maintenant, Jumeaux mais pas trop ne va plus nous appartenir, c’est le public qui va décider de son avenir…
Ahmed Sylla : Moi, en toute franchise, je suis très content ! (rires) Ça fait longtemps que je n’ai pas vu le public entre le Covid et les tournages donc j’ai hâte de faire le tour des salles de ciné pour le retrouver. En plus, j’adore sincèrement ce film, c’est un de mes préférés, si ce n’est, d’ailleurs, mon préféré… On a eu de super retours à l’Alpe d’Huez alors je ne prends rien à la légère mais je suis en totale détente parce que je suis fier du travail qu’on a accompli et que je suis certain qu’il va plaire. C’est un film qui rassemble, un film familial et je pense qu’on a tous besoin de ça en ce moment.
« C’est un film qui rassemble !« Ahmed Sylla
Des retrouvailles – pour toi Ahmed – avec Olivier Ducray qui a coécrit L’ascension…
Ahmed : C’est toujours un luxe de travailler avec des gens qu’on connaît parce qu’on est tout de suite dans le bain. On est plus détendu, on n’a pas à se « renifler » et dans le boulot, ça nous rend plus efficace et plus rapide. C’est toujours délicat de faire des compliments quand les principaux intéressés sont à côté mais ce tournage a été le meilleur que j’ai fait, que ce soit en termes d’ambiance, de taf ou de technique. C’était cool, fluide, sans « dureté », j’ai eu de super camarades de jeu (réalisateurs compris), le tout en étant très pro… Que demander de plus ? (rires)
Un film qui vous a immédiatement attirés ?
Ahmed : Ce scénario, m’a fait, au départ, un peu peur… Une comédie, un noir, un blanc, ça sentait les clichés à plein nez ! (rires) Je n’avais pas envie de ça ! Wilfried et Olivier m’ont rassuré tout de suite en m’expliquant leur vision de l’histoire et dès qu’on a entamé les lectures et qu’avec Bertrand, on a commencé à travailler ensemble, j’ai vraiment pris conscience du propos du film… Ce n’est pas du tout bourré de stéréotypes et ce n’est pas un film sur les différences entre les noirs et les blancs ou entre les mecs de cité et les petits bourgeois. C’est juste un film touchant, familial, drôle aux bons endroits uniquement et l’humour ne se fait pas autour de la couleur de peau. Ce n’est pas le coeur du film et ça, ça fait du bien ! On en ressort grandi et c’est pour ça que Jumeaux mais pas trop m’a séduit…
Bertrand : Je suis pleinement d’accord avec Ahmed ! En plus, au fur et à mesure où on a avancé, j’ai trouvé que le scénario était meilleur que le pitch, que le tournage était meilleur que le scénario et maintenant, je trouve même que le montage est mieux que ce qu’on a tourné ! (rires)
Wilfried : Je pense que tout le monde avait profondément envie de faire ce film et que ça a participé, inconsciemment, à créer cette bonne énergie et donc à donner le résultat qu’on peut voir à l’écran. Il y a eu une véritable camaraderie entre Ahmed et Bertrand pendant le tournage mais ça ne les a pas empêchés d’inclure dans leur « binôme » tous les autres comédiens qui ne venaient parfois, pour certains, qu’une journée.
Un film qui montre des personnages qui s’ouvrent aux autres mais à eux-mêmes aussi…
Ahmed : C’est un vrai roller coaster… Nos personnages avancent, reculent, ont des certitudes puis des doutes, se dévoilent l’un à l’autre mais découvrent des parts d’eux-mêmes qu’ils ignoraient… Ils sont passionnants à incarner ! Tout à coup, Anthony – mon personnage – doit apprendre à devenir « un frère », c’est vertigineux ! (rires) Comment se comporter ? Comment se faire aimer quand l’autre ne te calcule pas du tout ? Comment trouver sa place comme dans une fratrie normale quand on est né en même temps ? Qui doit jouer « le grand frère » ?
Tout ça ne se dit pas dans le film mais ça se voit et c’est ça qui le rend si touchant. Nos personnages évoluent ensemble mais pas au même rythme face à cette découverte de taille – apprendre qu’on a un jumeau à 33 ans n’est pas anodin ! – parce qu’ils n’ont d’une part pas le même caractère mais surtout, ils n’ont pas le même vécu donc ils ne peuvent pas réagir pareil contrairement aux fantasmes qui entourent les jumeaux.
« La famille reste un terreau de guerres, de problèmes à régler…« Bertrand Usclat
Bertrand : Mon personnage, quand il découvre l’existence de ce frère, est dans une phase de déni. Ça le rend « mauvais » vu de l’extérieur alors que c’est en réalité hyper violent pour lui. En revanche, à jouer, c’est jouissif parce que ça rappelle que derrière tous les meilleurs sentiments du monde, la famille reste un terreau de guerres, de problèmes à régler, de poids et de fatalités, d’où le fait qu’elle inspire les auteurs depuis toujours ! (rires) Donc même si le film est rassembleur et positif, il ne cache pas cette réalité-là.
Ahmed : Ce qui est cool avec ça, c’est que tout le monde peut aborder le film avec sa propre histoire familiale… Il y a les thématiques de la relation au père, l’abandon, la fraternité, l’adoption, le mensonge… C’est une histoire qui part d’un fait très rare mais qui est, en réalité, hyper universelle et qui permet à chaque spectateur de trouver son point d’entrée.
N’être « qu’acteurs » quand on a l’habitude d’écrire et de créer…
Bertrand : Je crois que l’avantage quand on est auteur et acteur, c’est qu’on devient un bon lecteur et qu’on peut donc différencier un bon d’un mauvais scénario… En lisant Jumeaux mais pas trop, je ne me suis pas dit un instant que j’aurais aimé ajouter ou modifier ci ou ça donc ça n’a pas été compliqué pour moi de mettre l’auteur de côté afin de me glisser uniquement dans le rôle. Ça n’a pas empêché qu’avec Ahmed on fasse de petites propositions mais quand c’est bien ficelé, ce n’est pas difficile de rester à sa place.
Wilfried : C’est d’ailleurs très plaisant d’avoir des suggestions et de se laisser surprendre par des acteurs car ça signifie qu’ils sont investis. L’avantage aussi de travailler avec deux auteurs comme Bertrand et Ahmed c’est qu’ils pensent chaque scène dans sa globalité et pas uniquement à travers le prisme de leur propre jeu… C’est assez formidable !
Ahmed : Personnellement, je trouve ça hyper agréable de se laisser porter ! Dans le même ordre d’idée, j’adore conduire, c’est une de mes passions mais ça ne m’empêche pas d’apprécier d’être passager ! Tu regardes le paysage, tu choisis la musique, tu téléphones… T’es tranquille ! (rires) Sérieusement, c’est juste un autre plaisir…
© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson au Pathé Lingostière de Nice pour Le Mensuel / Photos par Syspeo Photo / interview dans Le Mensuel de septembre 2022
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