INTERVIEW

Bernard Pivot en interview

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Si, dans notre imaginaire, les personnalités littéraires et intellectuelles apparaissent souvent comme des êtres un peu intimidants au tempérament sombre, solitaire et taciturne, Bernard Pivot, quant à lui, a toujours cassé ces codes en brouillant les pistes… Pendant presque 30 ans, sur un petit écran aujourd’hui dominé par des programmes pratiquant le nivellement par le bas, il a su, avec une grande simplicité et une certaine pédagogie, (re)donner le goût de la lecture mais aussi de la culture en général à des millions de français fidèles aux émissions Bouillon de culture et Apostrophes. En ce moment sur scène, pour la seconde fois de sa carrière, c’est avec le texte Au secours les mots m’ont mangé ! que ce désormais jeune comédien a choisi de retrouver un public qui, tout autant que lui, semble avoir pris plaisir à ce récent exercice. Racontant l’histoire d’un écrivain éprouvant la même passion dévorante que lui pour les mots, c’est avec énormément de finesse, de justesse et d’humour qu’il expose la vie de ces mots qui, bien souvent, conditionnent la nôtre. Pour exemple, la complexité et l’illogisme de la prononciation du mot « femme » qui, dès l’enfance, laisse à entendre à son personnage que les choses risquent fort d’être compliquées avec le sexe opposé…


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« AU SECOURS LES MOTS M’ONT MANGÉ ! »

 À Antibes au Théâtre Anthéa les 05 et 06 octobre 2018

 


« C’est sincèrement un grand bonheur que d’avoir découvert le plaisir de faire rire… »


 

Morgane Las Dit Peisson : Vous êtes monté sur scène la première fois en 2012…

Bernard Pivot : Oui, c’était une idée de Jean-Michel Ribes qui dirige le Théâtre du Rond-Point à Paris. Il a estimé que, lisant très bien les textes des autres dans Apostrophes et Bouillon de Culture, je pouvais en faire autant avec les miens alors il m’a confié une salle pendant huit jours, fait venir du public et m’a dit de me débrouiller ! (rires) C’est ce que j’ai fait, j’ai apporté mes textes pour les lire sur scène, le public a pris du plaisir et moi aussi, tout simplement…

C’est un exercice différent de celui de la télé…

Je me suis aperçu en goûtant à la scène que ce que j’y faisais était à l’opposé de mon métier d’animateur de télévision. Lorsque je parlais devant trois millions de téléspectateurs, c’était très bien mais je ne les voyais pas et ne pouvais pas savoir ce qu’ils en avaient pensé à la fin alors qu’au théâtre, les gens sont beaucoup moins nombreux mais je les vois, je les entends réagir, rire et applaudir. Il y a un contact quasiment charnel qui s’instaure avec le public, j’en ai fait la découverte sur le tard de ma vie mais je ne regrette pas car c’est extrêmement agréable ! 

Sur scène, vous ne faites pas que lire des textes, vous les interprétez…

Ah mais oui, je joue ! (rires) Avec le premier texte, Souvenirs d’un gratteur de têtes, c’était moins le cas car c’était une toute nouvelle aventure pour moi mais, avec le second, écrit spécialement pour la scène – Au secours ! Les mots m’ont mangé -, le jeu s’est imposé de plus en plus naturellement ! Même si j’ai le texte sous les yeux, parce que je n’ai pas une mémoire formidable (rires), je joue vraiment, enfin j’essaye de jouer en tous cas (rires), sans pour autant me prendre pour un acteur professionnel ! C’est un texte qui demande qu’on fasse des mimiques, des gestes et qu’on se balade sur scène. Je me sens bien en sa compagnie…

Être sans filet ne vous a pas angoissé ?

La première fois, comme toutes les premières fois, c’est étrange et un peu déstabilisant mais j’ai toujours adoré le risque et puis, j’ai fait pendant 28 ans des émissions en direct alors je crois que ça a été une excellente formation. Le fait de venir sur scène ne me perturbe pas beaucoup et je trouve vraiment qu’il y a plus de plaisir à gagner que de risques à courir.

Au secours les mot m’ont mangé ! raconte l’histoire d’un écrivain… 

Oui, c’est l’histoire d’un auteur. Ça débute à sa naissance alors même qu’il regrette de ne pas encore savoir parler et le public va le suivre jusqu’à sa comparution devant Dieu qui, quant à lui, va le confondre avec Patrick Modiano. Dans mon spectacle, mon écrivain a le prix Goncourt, il est agrégé de lettres et meurt à la fin, donc ce n’est pas moi du tout ! (rires) Par contre, j’apparais tout de même dans l’histoire car j’ai intégré une scène où il est l’invité d’Apostrophes.

Que vous procure le rire des gens dans la salle ?

Entendre les rires est la chose la plus importante pour moi ! Les applaudissements sont évidemment très agréables, d’autant que je faisais une émission dans laquelle – contrairement à celles que l’on voit aujourd’hui où la réaction du public est frelatée – on n’applaudissait pas… Alors, s’il y a une chose qu’on ne peut pas trafiquer, c’est le rire du public. Soit les rires sont spontanés, soit ils n’existent pas et c’est sincèrement un grand bonheur que d’avoir découvert le plaisir de faire rire.  

Vous êtes amoureux des mots…

Je suis tombé amoureux des mots par hasard pendant la guerre. J’étais dans un petit village du Beaujolais où je n’avais pas de livres à ma disposition si ce n’est un Petit Larousse et un choix des Fables de La Fontaine. J’ai donc lu un dictionnaire bien avant d’ouvrir un roman et je suis tombé littéralement amoureux des mots avant de découvrir qu’ils pouvaient donner vie à des histoires.

Comme les personnages de Pirandello, vos mots semblent avoir une vie propre…

J’ai toujours considéré que les mots étaient des êtres vivants. Je reste persuadé qu’ils ne sont pas figés dans un dictionnaire mais qu’ils ont en effet une vie propre. Ils naissent à une époque précise, certains, malheureusement, disparaissent mais la plupart demeurent toute leur vie en usage. En tous cas, ils sont présents dans le dictionnaire et vivent à travers notre bouche, notre tête, notre cœur puisqu’on les écrit, qu’on les parle et qu’on les chante. C’est pourquoi je pense qu’à travers leur orthographe et leur sens, il faut les respecter

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© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson • Photo DR

Interview parue dans Le Mensuel d’avril 2017 n°380 éditions #1 et #2

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