INTERVIEW
Jenifer en interview
Alors qu’une quinzaine d’années, dans le registre de l’adolescence, fait plutôt penser à l’âge ingrat, celle de la jeune artiste que nous découvrions à l’époque dans la toute première édition de la Star Academy, rimerait plutôt avec un état de grâce… Jamais lassée, toujours aussi curieuse et passionnée, Jenifer – qui a su ne pas s’enfermer dans un effet de mode – semble ne céder qu’à ses envies et ses inspirations depuis ses débuts. De retour sur scène avec les morceaux de son dernier album Paradis secret, la belle méditerranéenne chante évidemment l’amour mais en osant le faire sur tous les tons. Car si l’esthétisme quelque peu vintage de ce dernier opus rappelle résolument les années 60 / 70, l’éclectisme musical quant à lui fait de folk, de pop, de funk, de rock, de soul, de puissance, de liberté et de tendresse, surprend et déroute tout autant qu’il séduit par son unité et la sincérité de sa proposition…
À Nice le 30 mars 2017 > Tournée annulée par la production
« Sans le public, je ne serais rien du tout, j’en ai vraiment conscience… »
Morgane Las Dit Peisson : Votre tournée va passer par Nice…
Jenifer : J’ai toujours un énorme pincement au cœur quand je viens jouer à Nice parce que c’est là que je suis née et que j’ai grandi alors ça me rappelle évidemment énormément de souvenirs d’enfance et d’adolescence. Et puis, j’ai toute une partie de ma famille qui va venir au concert et ça aussi, ça ajoute une saveur toute particulière. Toutes les dates d’une tournée sont importantes mais ce serait mentir que de dire que Nice n’a rien de spécial.
On finit par reconnaître des gens dans la salle après une quinzaine d’années de carrière ?
On reconnaît des visages et des sourires à force de tourner un peu partout en France et sincèrement, c’est bon de retrouver les gens dans le public, de voir qu’eux aussi ont grandi, changé, peut-être un peu vieilli (rires) mais c’est magique également d’en découvrir de nouveaux ! Avoir pu évoluer avec une partie d’entre eux, c’est, je crois, la plus belle des récompenses qu’on pouvait me faire…
L’air de rien ces 15 ans sont passés très vite…
Le temps défile c’est impressionnant ! On me le disait quand j’étais petite et bien sûr, comme tous les gamins, je ne m’en rendais pas compte mais en grandissant, j’ai compris ce que ça voulait dire ! (rires) Ça passe horriblement vite et je crois que ça s’est accentué avec l’arrivée de mes enfants. Tout va vite, la vie va vite et certainement encore plus aujourd’hui qu’il y a quelques décennies. C’est pour ça qu’il faut essayer de comprendre l’importance de prendre le temps de vivre et d’apprécier même les plus petites choses surtout dans ce monde qui va si mal… Personnellement, je sais que je suis une privilégiée et que j’ai une chance incroyable de pouvoir vivre de ma passion, alors je savoure chaque seconde qui passe.
15 années d’une carrière bien remplie…
Oui je n’aurais jamais osé imaginer tout ça il y a 15 ans ! (rires) J’ai vécu plein d’aventures complètement dingues, fait énormément de découvertes dans la musique et dans la comédie aussi. Je me suis toujours construite en fonction des rencontres que j’ai pu faire et c’est ça qui m’a aidé à grandir, à aller au bout de mes idées et de mes envies, voire même bien plus loin… Tous ces gens que j’ai croisés sur ma route m’ont donné cette chance là. Sans eux, je ne serais pas grand chose et sans le public, je ne serais rien du tout, j’en ai vraiment conscience. Ces personnes qui ont jalonné ces 15 années de vie m’ont vraiment aidée à grandir et surtout à me trouver…
15 ans en étant connue mais vous avez chanté quasiment dès la naissance ! À 10 ans, vous précédiez C. Jérôme sur scène ?
Honnêtement, c’était une première partie de première partie ! (rires) Vous savez en Corse, dans mon village, tout le monde se connait et je crois que j’amusais les adultes quand je tournais autour des musiciens lors des bals pour essayer de chanter avec eux ! (rires) Il se trouve que C. Jérôme est venu se produire au village – ce qui était un évènement – alors j’ai tenté ma chance en demandant la permission à Ange – le patron – et il m’a laissée chanter avant la première partie. Ce soir là, j’ai eu un trac monstre car il y avait trop de potes et de famille, c’était terrifiant ! Enfant, je ne chantais pas pour partager quelque chose mais juste égoïstement, pour mon plaisir à moi – ce qui est finalement normal quand on est petit – mais ma famille m’a un peu poussée à suivre cette voie car elle savait que même si ça se passsait bien à l’école, je m’y ennuyais profondément !
Comment arriver à vaincre ce trac chaque soir ?
Je crois qu’on arrive, non pas à le vaincre, mais à le supporter avant de monter sur scène car on sait pertinemment qu’une fois qu’on y sera, ce sera magique ! Quand j’y suis, je me sens portée car je ne m’y sens jamais seule grâce à mes musiciens, aux techniciens et au public bien sûr qui, comme moi, a besoin d’évasion. J’ai la sensation qu’à chaque concert, ça nous permet de créer une bulle unique, rien qu’à nous, le temps d’une soirée. Je sais que je ne me suis pas trompée de voie car, bien que ça fasse ça depuis des années, j’ai toujours le cœur qui bat la chamade ! Je suis continuellement excitée à l’idée de pouvoir échanger avec le public et qu’on s’offre, ensemble, un véritable moment de distraction. C’est, je crois aujourd’hui, ce côté-là qui me plait le plus quand je suis sur scène… M’éclater en musique, oublier et faire oublier tous les aléas du quotidien, c’est fantastique ! Quels que soient les soucis, qu’ils soient petits ou gros, on est tous là pour la même chose et c’est ce lien là, super fort, qui permet de faire abstraction de tout le reste. Je m’aperçois au fil des années, que j’ai vraiment besoin de ces rapports humains car même si j’ai évidemment besoin de me préparer avant de monter sur scène, j’évite soigneusement de m’isoler tant pour me rassurer que pour éviter de prendre tout ça trop au sérieux…
Faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux…
Absolument, c’est à mes yeux quelque chose de primordial. Je ne veux absolument pas intellectualiser la scène car même si ça exige un gros travail de préparation, il est essentiel qu’il y reste quelque chose d’instinctif. Comme dans la création d’ailleurs… Que ce soit dans les phases d’écriture ou de composition, il faut travailler avec sincérité même quand parfois ça fait mal de livrer ses mots et ses sentiments les plus personnels. C’est en étant spontané et honnête que l’on peut espérer toucher les gens, créer quelque chose de fédérateur et ainsi, ne plus être centré sur soi.
Aller sur scène, c’est assumer tout ce que l’on a écrit en se mettant complètement à nu…
C’est exactement ça et c’est ce qui est le plus fascinant dans ce métier car en passant de l’ombre d’un studio à l’exposition de la scène, on dévoile nos pensées les plus secrètes. Le fond reste toujours intime et c’est « l’habillage musical » qui, en changeant régulièrement, permet de me livrer plus facilement. J’ai eu des sonorités très différentes sur chacun de mes albums parce que je suis très curieuse et épicurienne dans ma vie de tous les jours et c’est vrai que quand je me retrouve sur scène, c’est un peu plus facile d’enfiler un costume différent à chaque fois pour ne pas avoir trop l’impression de tout dire de moi…
Des créations intimes mais pas solitaires…
En effet, je n’ai pas fait mon album Paradis secret toute seule, je l’ai conçu avec Frédéric Fortuny et Emmanuel Da Silva, un ami qui m’accompagne également sur scène. Je l’admire et l’aime énormément alors c’est extraordinaire pour moi de l’avoir à mes côtés. Tous les musiciens qui sont sur la tournée sont d’ailleurs ceux qui ont joué sur l’album et c’était important pour moi qu’ils aient vraiment de la place. On a fait de la musique ensemble pendant un an et demi et, en partant ensemble sur les routes, on retrouve réellement une dynamique de groupe, c’est quelque chose de magnifique !
Bien que la communication se fasse sur un seul nom, il y a toute une équipe…
Exactement ! Avec moi, j’ai des super musiciens, des rockeurs qui ont tourné avec Johnny Halliday alors c’est le confort absolu ! J’en ai toujours eu de très bons mais ceux-là ayant participé à l’élaboration de l’album, ils se sentent encore plus concernés par ce qu’on donne au public chaque soir et c’est génial ! Avant d’enregistrer, on leur a envoyé des maquettes et sincèrement, ils avaient le choix d’accepter comme de refuser car ils ne courent pas après le cachet alors les avoir eu sur l’album – et désormais sur la tournée – prouve qu’ils avaient envie de s’investir autant que moi…
Paradis secret sonne très sixties, seventies et est d’une très grande richesse instrumentale avec des synthés, des cordes, des cuivres bien que la voix soit beaucoup plus présente et nuancée…
C’est vrai que je me suis énormément amusée avec ma voix ! On a commencé à faire l’album dans une chambre comme des adolescents, sans aucun calcul. Et puis, surtout, je ne voulais pas faire un album « de plus », j’avais juiste envie de proposer des choses… On l’a conçu très naturellement, presque sans se rendre compte que ça allait devenir un disque comme on l’aurait fait avec un premier. Frédéric et Emmanuel m’ont énormément encouragée à laisser de l’espace aux mots et à chanter comme je le sentais en m’adaptant à la musique qu’il y avait autour de moi. Paradis secret m’a réellement permis de chanter différemment et de façon extrêmement malléable. Je n’avais jamais chanté comme ça auparavant…
La voix est mise en valeur mais ne « bouffe » pas la musique…
C’était très important pour moi. Dès le départ, on était tout le temps derrière le mixeur, on voulait que rien ne soit aseptisé, que tout soit perceptible et surtout que tous les participants – dont la chanteuse – aient leur place. Je n’avais pas envie de me mettre plus en avant, l’essentiel était qu’il y ait vraiment un équilibre, une homogénéité. C’est un beau compliment que vous me faites, ça me fait vraiment plaisir car c’est réellement dans cet esprit que Paradis secret est né…
Paradis secret parle toujours d’amour mais pas comme avant et pas non plus comme les autres…
Je crois que c’est le thème inépuisable par excellence et pour me renouveler, je n’ai eu finalement qu’à chercher l’inspiration dans mes propres expériences, dans celles vécues par mes amis ou dans mon imaginaire. J’adore écouter les histoires des gens et automatiquement, elles finissent par m’inspirer. Et puis, l’âge aussi joue un rôle important dans l’écriture… On n’a pas les mêmes pensées ni les mêmes aspirations qu’à 19 ans. On grandit, on mûrit, on comprend les choses différemment alors ça permet de ne pas se répéter au fil des années.
Il y a une unité un peu vintage dans l’album bien que musicalement, Mourir dans tes yeux et Aujourd’hui n’aient rien à voir…
Il y a, dans cet album, tout l’éclectisme que peut proposer la pop avec du rock, de la folk, de la soul, un peu de funk et de disco et, effectivement, un esthétisme des années 60, 70. Je tenais énormément autant à cette unité qu’à cette variété et ça n’aurait pas été possible si mon équipe n’avait pas entendu mes désirs et mes idées…
Et il y a une richesse et une liberté vocale…
Oui je crois que j’assume davantage ma voix et mes choix quitte à prendre des risques. J’en ai pris un dans cet album car il va à l’encontre du style actuel. C’est toujours délicat quand on s’attaque à ce genre d’esthétisme mais je ne voulais aucune limite ni de son ni de style. Il fallait que j’aille là-dedans pour pouvoir assumer à 100% mon projet et c’est ce que j’ai fait. Quitte à peut-être vendre moins de disques… Mais je tenais à être honnête et intègre avec ce que je proposais.
Dans tous les cas, la vente de disques aujourd’hui n’est plus réellement le témoin d’une réussite…
Oui il y a maintenant une facilité d’accès à la musique qui est – pour ceux qui ont connu autre chose – aussi perturbante qu’extraordinaire. Moi-même j’ai des abonnements sur les plateformes de téléchargement légal pour pouvoir découvrir plein d’artistes en tout genre mais même si ça propose une immense ouverture sur la création, je trouve ça malheureux de voir mourir le disque… J’adore l’objet en soi, j’adore acheter des albums et je ne dois pas être la seule puisque l’on commence à revoir des vinyles ! Et malgré ça, on vient d’apprendre que la Fnac n’allait plus vendre de disques en magasin… Cette nouvelle m’a vraiment choquée…
Sur Paradis secret, il y a un très joli morceau en corse, Un surrisu hè natu…
C’est une très belle chanson d’amour écrite par Jean-Philippe Martini. C’est un ami à moi qui chante dans le groupe corse Voce Ventu dont je suis absolument fan ! (rires) Il compose et joue merveilleusement bien de la guitare et un jour, j’ai entendu cette chanson alors je lui ai demandé s’il n’avait pas envie de me l’offrir… (rires) On a fait jouer les cordes par Bruno Bertoli qui est un chef d’orchestre extraordinaire. Ce titre c’est mon clin d’œil à la Corse. Je ne l’avais encore jamais fait alors que, tout comme Nice, cette île est mon berceau et mon refuge.
L’album vous a obligée à mettre The Voice un peu de côté…
J’aurais fait les choses à moitié si j’avais continué The Voice sur cette nouvelle saison et ce n’est pas dans mon habitude ou pire, je l’aurais fait d’une manière très mécanique et franchement, je respecte trop les participants et les téléspectateurs pour prendre ça à la légère. J’ai beau aimer plein de choses, il arrive des moments où il faut faire des choix. J’avais besoin de temps pour la tournée et la promo du film Faut pas lui dire mais surtout pour mes enfants.
The Voice permet de « nourrir » les jeunes participants mais pas seulement…
C’est vrai, c’est une expérience géniale à vivre car quand on est derrière eux et qu’on leur propose des titres, qu’on les aide à s’épanouir et à approfondir ce qu’ils font et ce qu’ils sont, qu’on les porte et qu’on les accompagne jusqu’au bout, c’est peut-être une chance pour eux mais il faut reconnaître que c’en est une pour nous aussi, les « coachs ». C’est réellement quelque chose dont on ressort grandi…
Vous ne cessez de travailler votre voix au point d’avoir fait de la voxographie pour Tous en scène…
C’est une pure merveille à faire ! J’avais déjà eu l’occasion de prêter ma voix à Maya et pour le coup, c’était un vrai défi car pour lui donner une toute petite voix aiguë, il a fallu que je fasse appel à mes talents de comédienne ! (rires) Pour Tous en scène, ça s’est passé sur deux jours – autant dire que ça a été intense – et je me suis beaucoup amusée. C’est un régal de doubler des dessins animés car ça fait appel au jeu d’acteur, à la justesse de la voix, à la réactivité mais aussi à notre âme d’enfant. Et puis, on apprend énormément en même temps..
Du coup on joue aussi physiquement ?
Oui on joue, c’est ce qui est dingue ! On ne peut pas vraiment s’empêcher d’avoir une certaine gestuelle si on veut que la voix soit crédible. Quand on arrive en studio, on a une barre, un casque, un micro, un grand écran cinéma face à nous avec les dessins animés et on doit être synchro avec le texte qui défile. Ce n’est pas le plus évident, c’est un coup à prendre, mais j’ai eu la chance d’avoir énormément de liberté. À la lecture, j’ai trouvé que des mots ne collaient pas et j’ai pu proposer des petites retouches. Il y a eu une vraie notion d’équipe et ça a été un moment très plaisant.
Et au cinéma, on vous a retrouvée dans Faut pas lui dire parmi les têtes d’affiche…
Ça aussi, ça a été génial, ça a été une très belle aventure humaine. J’ai rencontré des nanas qui sont des amies aujourd’hui… C’est le premier long-métrage de Solange Cicurel qui est une femme très brillante, une avocate qui défend le droit des femmes et qui est criblée de talent ! Quand elle a songé à moi pour son personnage, je l’ai rencontrée et j’ai complètement craqué sur le personnage ! J’ai ensuite fait la découverte de Camille Chamoux et Tania Garbarsky avec qui je me suis très bien entendue dès la première lecture. Même si on a beaucoup bossé, on s’est marrées pendant un mois et demi de tournage au point d’être contentes de se lever à 6 heures du matin ! Ça ne m’était jamais arrivé ! (rires)
Et désormais il y a la tournée qui a débuté il y a quelques jours…
Elle a commencé à Montpellier et dès la première semaine, ça a été intense ! Ça ne fait que monter, prendre de l’ampleur et de la force, j’en suis ravie ! J’appréhendais un peu car ça faisait trois ans que je n’étais pas remontée sur une scène, j’étais ensevelie de doutes, j’avais un peu peur du « qu’en dira t-on » mais maintenant que ça s’est super bien passé, je n’ai plus qu’une envie : continuer ! (rires)
© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson • Photo Yann Orhan
Interview n°1012 parue dans Le Mensuel de mars 2017 n°379 éditions #1 et #2
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