INTERVIEW
Fabienne Carat en interview
Les millions de téléspectateurs quotidiens de Plus belle la vie connaissent évidemment très bien le visage de la pétillante Fabienne Carat qui donne vie, depuis bientôt 12 ans, au personnage de Samia. Mais contrairement aux interminables séries américaines où les acteurs finissent par se flétrir (pour ne pas dire croupir), les créateurs de cette saga marseillaise ont l’intelligence de laisser régulièrement leurs comédiens s’échapper pour mettre leur jeu au service d’autres rôles en télé, au cinéma ou sur les planches. Passionnée par tout le processus qui précède l’incarnation d’un « simple » personnage, Fabienne Carat a choisi de se lancer un défi de taille : façonner un spectacle rien qu’à elle ! Dans L’amour est dans le prêt, c’est donc seule que la jolie trentenaire nous parle de tout ce qui est inhérent à cette tranche d’âge qu’on regrette très certainement dès le passage à la suivante…
⇒ À Cagnes sur Mer le 03 mars 2017
⇒ À Avignon le 11 mars 2017
« Plus qu’incarner un personnage, j’aime proposer une évasion, une histoire… »
Morgane Las Dit Peisson : Vous êtes actuellement en plein tournage…
Fabienne Carat : Oui et je suis ravie car ça se passe très très bien ! En plus j’ai la chance d’avoir le rôle principal féminin aux côtés de mon acolyte Bernard Yerlès donc je dois reconnaître que les journées sont plutôt chargées en ce moment ! Par contre, le plus dur à supporter n’est pas le rythme mais les températures… (rires) On a pas mal de scènes en extérieur et j’avoue que même en intérieur, on n’arrive pas réellement à se réchauffer alors qu’il faut essayer de protéger au maximum sa voix en ne tombant pas malade ! L’avantage par contre, c’est qu’on brûle des calories en luttant contre le froid ! (rires)
La création et le développement d’un personnage de film demandent un travail différent de celui d’un personnage de série que l’on a le temps de plus approfondir ?
C’est vrai que dans une série comme Plus belle la vie, on crée un personnage que l’on pourra modeler au fil du temps alors que pour un téléfilm, on est obligé d’être plus rapide et d’avoir une vue d’ensemble directement, bien que le travail de préparation soit le même. Henri Guybet me disait – lors d’un tournage – que ce n’était pas à nous de nous mettre dans la peau du personnage mais au personnage d’entrer en nous pour se mêler à ce qu’on est et je pense que c’est encore plus vrai dans le cadre d’une série… Je le vois avec le personnage de Samia que j’endosse depuis bientôt douze ans, il aurait été impossible que je lui donne une forme définitive quand j’ai commencé. Je l’ai assimilé et façonné petit à petit avec ce que je suis devenue.
Être comédienne vient d’une envie de vivre plusieurs vies à la fois, un besoin de vivre plus intensément ?
Depuis petite, j’ai aimé le spectacle, le théâtre, les planches et en grandissant, je crois que j’ai aimé faire rire et provoquer des émotions. J’ai l’esprit d’équipe et je suis très attirée par tout ce qui est travaillé et usiné alors assez naturellement, les plateaux de tournage m’ont plu. Plus qu’un rôle en tant que tel, ce qui me passionne, c’est l’ensemble… Le rendu bien sûr mais aussi tous les préparatifs, des repérages aux recherches de costumes en passant par l’écriture des textes. Il y a un travail colossal avant que les téléspectateurs découvrent l’histoire qu’on a voulu leur raconter et je crois que très sincèrement, c’est cette magie là que j’aime par-dessus tout ! Sur scène, c’est exactement la même chose… Plus qu’incarner un personnage, j’aime proposer une évasion, une histoire mais c’est vrai qu’il y a sûrement là dessous un désir inconscient de vivre à 100% et puis, c’est jouissif de pouvoir faire vivre des petites parties de soi parfois très différentes les unes des autres. Bizarrement, les comédiens sont souvent pudiques, timides et n’osent pas exprimer certaines choses dans la vraie vie alors camper un personnage devient un moyen pour eux d’explorer les différentes facettes dont ils sont composés.
Et puis, il y a l’aspect purement enfantin et l’envie de se déguiser, de jouer à être une princesse, un pompier ou une chanteuse… Henri Guybet justement me disait qu’à travers toute sa carrière d’acteur, il avait eu l’occasion de faire quasiment tous les métiers du monde y compris les plus insolites ! (rires) Ce côté caméléon et ce travail de recherches sont très plaisants…
En grandissant, on a peut-être tendance à perdre une curiosité et une fraicheur que l’acteur, lui, sait conserver et qui lui permet de nourrir ses rôles…
Ce que vous dites est vrai, on est un peu resté comme des gamins curieux… On est en général tête en l’air, on oublie souvent nos rendez-vous, on perd toujours quelque chose… (rires) Je ne sais pas si c’est parce qu’on est extrêmement concentré sur notre rôle mais il y a toujours une part de la personnalité du comédien qui reste très aérienne… C’est à la fois amusant et très rassurant de s’apercevoir qu’on est tous pareils ! (rires)
On vous avait vue sur scène en duo avec Alil Vardar dans 10 ans de mariage, désormais on vous y retrouve seule… C’était une envie de toujours ou au fil des expériences, vous avez senti que vous pouviez le faire ?
Autant la scène a toujours été un désir profond chez moi, autant y aller seule ne m’avait pas effleuré l’esprit ! (rires) On m’avait déjà proposé des textes il y a une dizaine d’années de ça pour que je les interprète en one man mais à l’époque, c’était inconcevable tant c’était effrayant et étrange ! Et puis, effectivement, avec les années et les expériences de la vie, on a envie de se lancer de nouveaux défis et d’aller encore plus loin… J’aime me booster, me déstabiliser, me jeter dans le vide alors l’idée a fini par faire son chemin et me séduire…
Dans le registre des défis, il y a eu celui de Danse avec les stars…
Il était de taille en effet ! (rires) En me lançant dans l’émission, je crois que je suis allée aux confins de ma peur ! Quoi que j’ai peut-être encore repoussé les limites le soir de la première de mon seul en scène ! (rires) Cette fois-là, j’ai compris ce que ça faisait d’être paralysée par la crainte… On ne fait évidemment pas ces métiers pour souffrir mais c’est dingue ce qu’on peut parfois ressentir quand on est sur le point de monter sur scène… On a l’impression de ne pas être vraiment dans notre corps, de planer, de ne rien entendre, de ne plus rien comprendre… Avec Danse avec les stars, c’était encore différent car il a fallu que j’apprenne quelque chose que je n’avais jamais fait, que je comprenne comment fonctionnait cette mémoire entre la tête et le corps, que j’accepte la douleur, que j’admette le principe de l’élimination et puis il y a eu après tout ça, la tournée donc je me suis faite de belles poussées d’adrénaline ! (rires)
Le fait que ce soit votre projet rien qu’à vous ne doit pas aider à se détendre…
Quand on était à deux sur scène avec Alil Vardar, même si bien sûr je voulais que les gens ressortent heureux de la salle, je n’avais pas la pression du contenu de la pièce… Cette fois-ci, avec Le bonheur est dans le prêt, tout repose sur mes épaules, c’est mon bébé, mon texte, mes propos, mon jeu et je n’ai personne à qui me raccrocher ! C’est là que je réalise que c’est tout de même un métier de maso ! (rires) Mais sincèrement, même si on se fait du mal pour arriver jusqu’au public, celui-ci nous le rend au centuple quand il est présent dans la salle pour partager ce moment avec nous. Rien ne vaut cette bouffée d’amour que les gens nous donnent ni cette liberté d’expression que la scène nous offre ! Certes, on écrit des textes et on se met en scène mais on peut à n’importe quel moment choisir d’interagir avec le public sans déranger un autre acteur ou trahir les mots d’un auteur et ça, c’est sublime…
Aller seule sur scène maintenant, c’était aussi y aller avec un bagage et des choses à dire…
Complètement ! Je crois que c’est pour ça que je n’aurais jamais pu le faire à 18 ans… D’ailleurs, je ne me suis jamais sentie humoriste, je n’ai pas recherché le rire à tout prix… J’ai juste voulu raconter une histoire, détendre et distraire les gens, partager mes expériences et certaines de mes visions de la vie avec eux. Dans L’amour est dans le prêt, je parle des préoccupations qui commencent à se faire sentir à la trentaine, du couple, de l’aboutissement que représente un achat immobilier et du long et sinueux parcours que représente, entre autre, la demande de prêt ! Je parle de toutes ces étapes – comme la rencontre du notaire pour le contrat de mariage – auxquelles on ne s’attend pas spécialement quand on rêve tout simplement d’une vie à deux ! (rires) J’en parle librement, sans tabou, j’explique des choses vraies qui parlent à beaucoup et qui instruiront peut-être un peu les plus jeunes dans la salle. C’est l’histoire d’une femme de 35 ans dans la société actuelle et c’est certain que je n’aurais jamais pu raconter tout ça à 20 ans.
Le titre du spectacle n’est pas sans rappeler une émission de télé…
Le jeu de mots était tentant et puis, cette émission L’amour est dans le pré reflète bien aussi les difficultés que l’on peut rencontrer dans la société d’aujourd’hui… Avant tout, ça parle de solitude, d’isolement, ça parle de la recherche de sa moitié, d’une quête du bonheur, de la condition des agriculteurs, de la désertification du monde rural… Il ne faut pas croire que le but de ce programme est de se moquer des gens qui y participent car au contraire, il est très bienveillant. Les hommes et les femmes qui recherchent leur âme sœur au travers de cette émission télé mettent littéralement leur égo de côté, n’hésitent pas à faire preuve d’autodérision et finalement, nous ressemblent beaucoup à nous qui allons sur scène. Comme eux, on se moque de nous avant de rire des autres et comme eux, on se met à nu, on se donne… Ce qui me touche particulièrement dans L’amour est dans le pré, c’est que les gens sont vrais et ne sont pas dans le calcul de leur image.
Ce doit être magique de s’apercevoir depuis la scène que des gens se reconnaissent dans ce que l’on a écrit…
Il y a ce que l’on dit à travers notre texte et que l’on a envie de transmettre mais au delà de ça, il y a une magie, une sympathie, une alchimie qui se crée avec le public et qu’on ne peut ni prévoir, ni imaginer au moment où l’on est seul face à sa feuille. Voir une salle rire de ce qu’on dit sur scène est merveilleux car c’est vrai, c’est pur, ce n’est pas trafiqué ni calculé. Et d’ailleurs, bien qu’évidemment on ne sauve aucune vie en allant faire le zouave sur scène, c’est stimulant de réaliser qu’on arrive à faire oublier, le temps d’une soirée, leurs tracas quotidiens aux gens. Dans un autre registre, au début, quand on faisait des actions avec des associations comme Rêves ou Cé ke du bonheur, qu’on recevait des enfants aux studios de Plus belle la vie pour qu’ils passent la journée avec nous ou qu’on allait les voir dans les hôpitaux, je ne comprenais pas pourquoi il était important et utile que j’y participe… Je ne voyais pas ce que j’avais de plus qui pouvait aider ou soulager ces petits bouts jusqu’à ce que je voie leurs visages s’éclairer ! Ça prouve qu’on n’est vraiment maîtres de rien, on ne peut que donner tout ce qu’on est et tout ce qu’on a en espérant pouvoir atteindre et toucher un maximum de gens.
© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson • Photo Bestimage Coadic Guirec et Dominique Jacovides
Interview n°993 parue dans Le Mensuel de février 2017 n°378 éditions #1 et #2
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