INTERVIEW
Ingrid Chauvin en interview
Bien qu’elle fasse partie des personnalités télévisées les plus connues et appréciées du grand public depuis une vingtaine d’années, la ravissante Ingrid Chauvin n’a pas pour autant oublié que c’est sur scène qu’elle est devenue comédienne. Après avoir regoûté, grâce à l’adaptation théâtrale d’Hibernatus, à ce plaisir si addictif et au rapport charnel avec les spectateurs, c’est avec enthousiasme que l’actrice s’est de nouveau attaquée aux planches. Dans Avanti !, aux côtés d’un Francis Huster à qui la comédie va décidément comme un gant, Ingrid Chauvin incarne une superbe actrice anglaise pleine de vie à qui, entre deux recherches de cercueils volés, le partenaire de scène aura bien du mal à résister.
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« Si je devais à l’avenir choisir entre la télé et la scène, je pense que c’est là que je ressentirais une véritable frustration… »
Morgane Las Dit Peisson : Vous êtes sur les routes actuellement avec la pièce Avanti !…
Ingrid Chauvin : C’est très agréable car lorsque l’on est en tournée, on a parfois la chance d’être assez tranquille en journée et ça nous permet de profiter un peu, de nous reposer, de découvrir – bien que trop rapidement – les villes dans lesquelles on est… Mais le stress ou plutôt le trac finit malheureusement toujours par remonter en fin de journée quand l’heure d’aller sur scène approche ! (rires) Ce qui est étrange, c’est que selon les soirs, ça peut s’accentuer bien que l’on connaisse parfaitement la pièce, ou bien s’atténuer au point qu’on le ressente à peine et qu’on profite à fond de la perspective de passer une heure et demie purement réjouissante ! Et puis, l’avantage que l’on a – tout particulièrement sur cette tournée – c’est que l’on est vraiment une équipe remplie de bienveillance. On s’entend réellement très bien et c’est très agréable !
En effet sur l’affiche, on vous voit avec Francis Huster mais il y a quatre autres comédiens à vos côtés…
Oui c’est bien de le préciser car même si on est conscient que c’est souvent plus facile de mettre l’accent sur quelques noms, on est avant tout une troupe et le succès qu’a connu la pièce pendant presque 100 représentations aux Bouffes Parisiens l’an dernier repose sur chacun d’entre nous. Pendant toute une année – avant d’attaquer cette tournée de 80 dates – on a tous vaqué à nos occupations mais on est tous super heureux de se retrouver pour vivre une tournée qui prend parfois des allures de colonie de vacances ! (rires)
Comment se prépare-t-on à partir en tournée marathon ?
Les termes sont bien choisis car quand on accepte de s’engager pour au moins 80 dates de tournée, on sait que l’on va devoir se conditionner tant physiquement que mentalement comme un sportif. Personnellement, la plus grande frustration pour moi en tant que jeune maman, c’est de me retrouver éloignée de mon bébé alors il m’arrive parfois de moins dormir que le reste de la troupe et de faire le choix de repartir très tôt le matin ou très tard le soir pour essayer de passer un maximum de temps chez moi.
L’appel de la scène oblige à faire des concessions…
Oui l’éloignement est sincèrement la chose la plus compliquée à gérer, la fatigue et le rythme ne sont rien à côté de ça… Et malgré ça, je ne peux pas m’empêcher d’aller sur scène, de partir sur les routes… J’ai l’immense chance d’être une actrice populaire et je ne passerais pour rien au monde à côté de toutes ces rencontres avec un public qui m’est si cher. Les gens me disent qu’ils sont heureux de me voir « en vrai » et pour moi, c’est exactement pareil ! Je peux discuter avec eux, passer un moment en leur compagnie à la fin de la pièce et ça fait beaucoup de bien. J’ai une relation très privilégiée avec eux alors c’est agréable d’avoir l’occasion d’aller au-delà de l’écran…
C’est vrai qu’on vous connaît bien, vous rentrez régulièrement chez nous par le biais de la télé mais ce contact charnel et immédiat avec le public doit parfois vous manquer…
La télé a un pouvoir extraordinaire qui fait que même si on n’a jamais eu l’occasion de croiser le regard d’une personne, celle-ci nous considère parfois presque comme un membre de sa famille tant il nous voit dans son salon ! (rires) Et du coup, ce qui est génial aussi, c’est que quand on est un comédien populaire en télé et que l’on joue au théâtre, une partie du public qui nous apprécie fait l’effort de venir nous voir même s’il pense que le théâtre n’est pas fait pour lui ou qu’il n’a jamais eu l’occasion d’y aller avant… Et là, on a très souvent de belles surprises… C’est extraordinaire de se dire qu’on a peut-être fait découvrir un Art, une passion à quelqu’un… Souvent des fans me confient qu’Avanti ! est leur première fois au théâtre et qu’ils ont adoré alors là, je me dis que notre travail a été utile…
Le théâtre souffre encore d’une image un peu vieillotte ou pire, inaccessible…
Tout à fait, le théâtre apparaît – pour ceux qui n’ont jamais eu la chance ou l’occasion d’y goûter – comme quelque chose d’un peu lointain et inabordable alors qu’il existe des pièces tout aussi magnifiquement bien écrites que drôles. C’est d’ailleurs le cas d’Avanti ! qui est amusante et romantique à la fois, qui est agréable à voir, qui fait rêver, qui fait rire et qui peut également émouvoir… Cette pièce est un joli partage avec les gens et on le voit bien quand ils ressortent de la salle, ils sont heureux d’être venus.
Évidemment, vos personnages à Francis Huster et vous sont très opposés mais risquent fort de se rapprocher, et bien que l’intrigue de départ soit très drôle, on n’est pas dans une comédie lourde ou caricaturale et le jeu a quelque chose de presque cinématographique…
C’est exactement ça… C’est d’ailleurs une pièce que l’on appréhende parfois de jouer dans des salles trop grandes parce qu’elle a des moments très intimistes, des tableaux très tendres et romantiques qui ressemblent plus à des scènes de film de cinéma qu’à des scènes de boulevard. Les décors aussi accentuent énormément cet aspect tant ils sont élégants… On est embarqué à Rome – la ville romantique par excellence -, on est entouré de somptueuses lumières, de jolies musiques et ça apporte réellement une modernité dans le traitement de la pièce. Et bien que ça revête des allures très sentimentales, on danse et on rit beaucoup en grande partie grâce au personnage de Baldo qui va jouer le rôle d’entremetteur en usant de tous les stratagèmes possibles et imaginables pour rapprocher nos deux personnages… (rires) Le tout donne en effet une pièce très atypique…
Avanti ! est une pièce qui parle évidemment d’amour mais aussi des choix de vie et des regrets que l’on peut avoir…
Avanti ! est vraiment une pièce pour les gens qui sont amoureux de l’amour mais c’est vrai qu’elle ne s’arrête pas là… Elle nous permet à tous de nous poser beaucoup de questions sur nous et nos parcours… Faut-il rêver sa vie ou vivre ses rêves ? Faut-il laisser passer l’amour de sa vie quand on le rencontre ou faut-il tout quitter pour lui quand on a déjà un mari, une femme et des enfants ? Faut-il être raisonnable ou se risquer à vivre l’amour avec un grand A ? Ce sont de vraies questions existentielles qu’énormément de couples se sont posées et qui sont transposables à la vie en général… Doit-on par exemple oser quitter un emploi sûr pour tenter de vivre de sa passion ? La vie n’est faite que de choix assumés et d’actes manqués et c’est de ça dont il est question dans Avanti ! C’est une pièce qui aborde des thèmes profonds et importants grâce à la rencontre de ces deux personnages littéralement opposés qui vont essayer de prendre « la » bonne décision, si tant est qu’il y en ait une… (rires)
Derrière l’évidente drôlerie du sujet de départ, c’est une pièce qui parle à tout le monde…
C’est son véritable point fort car derrière les questions qu’elle pose, tout le monde se reconnaît ou retrouve une période de sa vie… Certains en sortant de la salle se disent qu’il est grand temps pour eux de tout plaquer tandis que d’autres sont confortés dans l’idée qu’ils ont eu raison de choisir de rester… Il n’y a pas de recette miracle ni de solution idéale, il n’y a que celle qui convient à chacun et ça fait du bien aux gens aussi, je pense, de ne pas être face à une pièce moralisatrice.
Le binôme Steve Suissa / Francis Huster est très fusionnel et très habitué à travailler à quatre mains…
Je dois avouer que j’ai eu beaucoup de chance avec ces deux là car j’avais déjà eu l’occasion de travailler avec Steve Suissa sur la pièce Hibernatus du coup, je faisais un petit peu partie, quelque part, de sa « famille » théâtrale mais c’est vrai que si on ne les connaît pas du tout, on peut peut-être être un peu décontenancé par leur relation, leur franchise et leur complicité bien qu’ils aient l’intelligence de ne jamais faire sentir aux nouveaux venus qu’ils sont exclus ou inférieurs. Au contraire, ils arrivent à faire de leur tandem un atout et honnêtement, c’est très amusant de les observer tous les deux ! Ils évoluent un peu comme un petit couple père / fils dont le rôle du père n’est pas toujours assuré par celui que l’on croit ! (rires) Il existe une grande générosité et une telle bienveillance entre eux deux que ça finit toujours par éclabousser leurs partenaires. Et puis, je crois que ça a fait beaucoup de bien à Francis de jouer de nouveau dans une pièce chorale, lui qui s’est pas mal consacré ces dernières années à des projets scéniques plus solitaires… On ressent véritablement – que ce soit en tant que public ou en tant que partenaires – le plaisir qu’il prend dans Avanti !
On vous voit très régulièrement dans des projets télé depuis des années mais quand on a goûté à l’effervescence de la scène et au contact avec le public, prend-on toujours autant de plaisir devant la caméra ?
J’ai la chance de pouvoir cumuler les deux activités et pour moi, c’est réellement une source extraordinaire de bonheur ! Si je devais à l’avenir choisir entre la télé et la scène, je pense que c’est là que je ressentirais une véritable frustration… Car même si c’est vrai qu’il se passe quelque chose de magique au théâtre quand on est en compagnie du public, les deux jeux, pour moi, se complètent à merveille et ce sont presque, à mes yeux, non pas deux métiers mais deux exercices différents tant le travail de préparation et l’approche sont différents…
L’un nourrit constamment l’autre ?
Oui complètement et ça fait un bien fou ! Le jeu pour la caméra offre plus de nuances et de véracité au jeu de scène tandis que ce dernier apporte plus d’immédiateté et d’efficacité au premier… Je regrette d’ailleurs un tout petit peu de m’en être privée pendant toutes ces années où je n’ai pas osé revenir sur les planches. On m’a proposé de superbes pièces mais j’avais un trac monstre, je ne m’en sentais plus capable alors que c’était pourtant au théâtre que j’avais débuté ! Mais quand on est jeune, on est presque inconscient et les premières années je crois que je ne réalisais pas tout à fait le danger que représentait le fait de jouer chaque soir en direct, sans filet ! (rires) En tous cas, heureusement que je me suis décidée à remettre le pied à l’étrier car le plaisir que je ressens sur scène est incomparable et j’ai désormais l’impression que je ne pourrais plus m’en passer même s’il est hors de question que je délaisse la télévision… C’est mon univers, c’est là que les gens m’ont découverte et il y a encore plein de choses à faire, je suis toujours aussi gourmande alors je vais prier pour pouvoir continuer à faire les deux le plus longtemps possible ! (rires)
Et contrairement à ce que l’on pouvait entendre il y a quelques années, il y a de très beaux projets qui ne peuvent se faire d’ailleurs qu’en télé…
C’est tout à fait vrai, la télé nous permet d’aborder des thématiques et d’approfondir des sujets que le cinéma ne pourrait pas accueillir. Il ne faut pas cracher sur la télé même si elle n’est pas toujours bien vue par une partie des gens de cinéma qu’on finit d’ailleurs souvent par retrouver à un moment ou à un autre dans le petit écran… (rires) Il y a de très jolis rôles en télé et j’ai eu la chance jusque là d’en endosser beaucoup, de vivre des moments extraordinaires et de connaître de beaux succès. La télévision est un média incroyable qui permet de rassembler un nombre vertigineux de personnes devant un seul et même projet, le temps d’une soirée et il n’y a qu’elle qui en soit capable. Je m’estime très chanceuse d’avoir fait autant de séries et de téléfilms qui ont marqué les gens… Pourvu que ça dure ! (rires)
Revenir au théâtre a dû demander un sérieux courage…
Oui et le pire dans tout ça, c’est que chaque soir, quoi qu’on fasse et malgré l’expérience, le trac revient ! (rires) Il y a toujours une petite pression et c’est extraordinaire d’être nourri par ça. On a le palpitant qui carbure, on a envie de donner le meilleur aux gens qui se sont déplacés pour nous voir, on angoisse un peu et c’est cette petite montée d’adrénaline qui fait qu’on réitère et qu’on remonte sur scène à chaque fois. C’est étrange ce besoin de se faire un petit peu de « mal » pour se faire autant de bien par la suite ! (rires) Bizarrement, je crois que le trac et l’envie de jouer sont indissociables. C’est d’ailleurs encore plus flagrant en tournée où l’on débarque chaque soir dans une nouvelle ville, une nouvelle salle et où l’on découvre un nouveau public… Les ondes, les atmosphères sont différentes et à chaque représentation, on doit apprendre à jongler avec ça mais aussi avec nos propres émotions et nos propres humeurs de la journée… C’est grâce à ça qu’il n’y a jamais aucune monotonie qui s’installe lorsque l’on joue le même texte.
Et il y a une magie au théâtre qui fait que sur scène on oublie tout…
C’est incroyable mais c’est vrai que quand on se lance et qu’on se met dans la peau de son personnage, on n’est plus nous-mêmes et le temps n’est plus le même non plus. C’est une bulle d’évasion et de bien-être autant pour nous acteurs que pour le public d’ailleurs. Une femme qui venait d’apprendre une très douloureuse nouvelle dans la journée est venue dernièrement nous voir après une représentation pour nous remercier de lui avoir permis de penser à autre chose pendant une heure et demie. Je suis bien placée pour savoir que ces petites parenthèses de bonheur sont extrêmement précieuses…
En parlant de parenthèses heureuses, vous êtes devenue la marraine de l’association Mécénat Chirurgie Cardiaque cette année…
Je venais d’inaugurer le robot chirurgical pédiatrique à l’Hôpital Necker donc ma « mission » était arrivée à son terme lorsque Mécénat Chirurgie Cardiaque m’a approchée. Spontanément, j’ai failli refuser par peur de ne pas avoir le temps et la force de m’investir pleinement mais une fraction de secondes plus tard, quand j’ai pensé à ces petits bouts de chou qui ont tellement besoin d’aide et de soins, je n’ai pas pu faire autrement que me lancer. Je suis heureuse de pouvoir participer à un si beau et si utile projet aux côtés de gens comme Francine Leca qui a lancé cette association il y a vingt ans. Savoir que des enfants sont sauvés dans le monde entier, « réparés » et peuvent vivre grâce aux médecins, aux bénévoles et aux familles d’accueil, ça n’a pas de prix, c’est fabuleux !
Vous n’avez pas seulement prêté votre nom à l’association…
Non et c’est pour ça que même si ça me déchire le cœur, je suis obligée de refuser beaucoup de choses… Quand on s’engage dans un projet, quand on choisit de le soutenir, il faut être conscient que ça exige du temps, de l’attention et des efforts alors il est humainement impossible de s’engager sur tous les fronts ! On aimerait pouvoir dire oui à tout mais on est contraint de faire des choix en fonction de ce qui nous tient personnellement à cœur… J’ai suivi pendant deux ans et demi le travail de l’Hôpital Necker, j’ai tenu à rester jusqu’au bout des choses et j’en suis ravie car j’ai eu la sensation de faire, à ma mesure bien sûr, quelque chose d’utile. Quand on a tourné le clip Cœur à cœur avec Anaïs Delva pour soutenir Mécénat Chirurgie Cardiaque, on a vu une petite puce qui s’est faite opérer et qui a failli mourir et c’est dans ces moments là qu’on réalise combien il est important de donner un peu de soi. Ça vaut le coup de se battre et de s’investir pour la vie d’un enfant qu’une famille attend à l’autre bout du monde…
© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson • Photo Pascal Ito et Evelyne Desaux
Interview n°994 parue dans Le Mensuel de février 2017 n°378 éditions #1 et #2
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