INTERVIEW

Andréa Bescond et Éric Métayer en interview

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Après avoir conquis le public dans les salles de spectacles avec son seul en scène Les chatouilles ou la danse de la colère, Andréa Bescond s’est lancée dans son adaptation cinématographique en compagnie de sa moitié, Éric Métayer… Deux ans et demi de travail auront été nécessaires pour que le film Les chatouilles voie le jour et porte en lui autant de réalisme que d’espoir afin de faire prendre conscience de l’ampleur de la pédocriminalité dans notre pays – 1 enfant sur 5 subit des violences sexuelles – mais aussi de prouver à ces victimes, grâce à cet exemple concret, qu’aussi tortueux que puisse être le chemin, il n’est pas impossible de réapprendre à vivre après ça…

 

Andréa Bescond & Éric Métayer pour « Les Chatouilles » au cinéma le 14 novembre

 


« On ne voulait pas faire un film manichéen ni d’une tristesse infinie… »


Morgane Las Dit Peisson : Festival de Cannes pluvieux, festival heureux…

Andréa Bescond : Complètement ! (rires) Ce serait compliqué de ne pas être heureux en ce moment étant donné l’accueil que l’on a reçu avec notre film Les Chatouilles… On n’avait aucun plan défini en ce lançant dans ce projet alors se retrouver à monter les fameuses marches, c’est extrêmement émouvant car on prend dans la figure toute l’envergure de l’évènement, c’est assez incroyable à vivre !

Éric Métayer : Et bizarrement, voir les photos du casting du film sur le tapis rouge m’a fait prendre conscience de la beauté et de l’ampleur du projet… On avait tellement la tête dans le travail qu’on ne réalisait pas vraiment ce qu’on était en train de façonner…

Un film adapté du spectacle du même nom…

Andréa : Comme tout le monde, j’ai à un moment fantasmé que le spectacle serait un succès, qu’il aurait un Molière, qu’il deviendrait un film, que Karin Viard jouerait le rôle et qu’il serait présenté à Cannes… Mais ce n’était qu’un rêve, une utopie alors que tout se soit passé exactement comme ça, a presque quelque chose d’irréel et de miraculeux !

Un film est un travail colossal…

Andréa : Oh que oui ! (rires) Je ne m’imaginais pas un instant qu’un film exigeait une masse aussi importante de travail et pourtant, avec Éric, on est réellement des bosseurs… Il y a des milliers de petits détails à penser et à peaufiner sans cesse, c’est inimaginable ! Heureusement qu’on a été très bien épaulés par les équipes techniques… Grâce à l’investissement de tous, tout s’est passé avec une surprenante fluidité

Éric : On s’imagine souvent que le cinéma est un univers impitoyable mais on a en effet eu l’immense chance d’être entourés par des gens profondément humains et investis, que ce soit au jeu, à la technique ou à la production.

Un film, c’est une somme de choix…

Andréa : Contrairement au spectacle, il y a un moment où, même si c’est nous qui créons l’image, celle-ci s’impose à nous, impose un rythme et c’est le film qu’on réalise qui finit par nous réaliser… Des scènes magnifiques et superbement jouées peuvent se retrouver coupées parce que le film ne les « accepte » pas…

Éric : C’est curieux car quand on débute un film, on pense que l’image va traduire ce que l’on imagine alors qu’à un moment, c’est elle qui prend le dessus et nous « oblige » à nous mettre au service du film…

Les Chatouilles c’est votre propre histoire, une histoire que vous racontiez chaque jour…

Andréa : Au début du spectacle, j’avoue que je ne réalisais pas bien dans quoi je me lançais mais en effet, à force de le jouer six fois par semaine pendant six mois, j’ai fini par perdre pied dans cette douleur du passé et ce déni à qui je prêtais à nouveau vie chaque jour… Il est arrivé un moment où c’est devenu extrêmement violent pour moi et coïncidence, ça a été la période pendant laquelle on m’a attribué le Molière… J’étais tellement mal que je n’y ai pris quasiment aucun plaisir sur le moment… Ce n’est que lorsque j’ai assumé de révéler que ce que je jouais était mon propre parcours, que tout s’est aligné et apaisé dans mon esprit…

Une sorte de deuil du passé…

Andréa : C’est un peu ça… Du coup, lors du tournage du film, j’étais à une autre étape de ma réparation et j’ai plus « interprété » que vécu ce personnage d’Odette. Et puis, le fait de travailler à quatre mains, avec Éric, sur l’écriture a apporté un autre éclairage, un regard d’homme et une sensibilité masculine quiont permis de « re-créer » autour de mon histoire et ainsi d’établir une certaine mise à distance. Je n’oserais pas vous mentir en disant que je n’ai pas, par moments, été submergée mais ça passait assez rapidement…

Faire jouer à une petite fille votre histoire…

Andréa : On s’est posé beaucoup de questions autour de ça car le but ultime, c’était de ne pas traumatiser cette enfant…

Éric : Les parents de Cyrille Mairesse ont été extraordinaires car ils ont accepté la décision de leur fille et l’ont soutenue tout au long du tournage. Et puis, même si on sait ou l’on devine ce qu’elle subit, la magie du cinéma fait qu’on ne le voit pas. Au théâtre, ça aurait été beaucoup plus compliqué d’obtenir la violence souhaitée sans que la jeune comédienne n’en pâtisse. À l’écran, on joue sur des prises de vue, des contre-champs, des regards et c’est l’imaginaire du spectateur qui fait le reste…

Andréa : Cyrille a d’ailleurs été formidable du haut de ses neuf ans car si elle a tenu à interpréter ce rôle, c’était pour aider les enfants… Elle nous a brandi ça comme étendard et je peux vous garantir qu’on a tous été scotchés ! (rires)

Un sujet grave, la pédophilie, et pourtant des gens ont ri pendant la projection…

Éric : C’est très touchant car ça veut dire qu’on a réussi à faire un film vrai et vivant. Il y a, comme dans la vie réelle, de la douleur, du rire, de la passion… On ne voulait pas faire un film manichéen ni d’une tristesse infinie, juste un film qui parle de la vie telle qu’elle est avec ses bons et ses mauvais côtés.

Andréa : C’est sûr qu’on ne peut pas rire du viol mais le parcours d’Odette ou la maladresse humaine peuvent, à certains moments, faire rire jaune ou rire franchement… On a mis dans Les Chatouilles de l’onirisme car on voulait que le film s’achève sur quelque chose de solaire et sur l’espoir d’aller mieux.

Aller mieux exige un investissement personneL…

Andréa : Exactement ! On ne peut pas aller mieux – quoi qu’on ait vécu – tout à coup, ce serait trop beau ! (rires) On prône beaucoup, de nos jours, la capacité de résilience de l’être humain mais c’est à mes yeux un terme grandiloquent. Ça exige un travail de chaque instant… Ça s’intègre petit-à-petit et on finit par « embrasser » ce trauma qui nous a rendus malheureux si longtemps… Il faut beaucoup d’indulgence, à un moment, envers soi-même pour avancer… À travers ce film, on a également voulu montrer le temps nécessaire à tout processus de réparation, tous ces moments où l’on chute et où l’on se relève…

Témoigner en dansant…

Andréa : C’est tout le paradoxe… Il y a un manque d’amour propre terrible qui dure des années, une détestation extrême de soi et de son corps et bizarrement, c’est par la danse que j’ai trouvé le moyen de m’exprimer… Ça a été un éxutoire et sûrement une façon inconsciente de récupérer un corps qu’on m’avait volé et souillé en le rendant beau artistiquement.

La condamnation…

Andréa : Quand notre « bourreau » est reconnu coupable, ça ajoute une pierre à l’édifice de la reconstruction mais malheureusement, ça ne constitue pas la réparation… J’encourage évidemment toutes les victimes à porter plainte pour elles mais aussi pour protéger les autres, mais il ne faut surtout pas qu’elles attendent d’un procès une réparation totale…

Ça a été courageux, en temps qu’époux, d’inciter Andréa à en parler…

Éric : Ça aurait pu en effet paraître plus simple de mettre un mouchoir sur son passé en lui faisant croire qu’avec moi, tout allait s’arranger mais ça n’aurait pas été viable sur le long terme… À la naissance, on a ce besoin instinctif de crier pour dégager les voies respiratoires et je reste persuadé que c’est l’exemple à suivre dès qu’on a quelque chose de coincer en travers de la gorge…

Andréa : Sans lui, je crois que rien de tout ça n’aurait été possible…

© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peissonpendant le Festival de Cannes 2018 • Photos P. Beletre Min

 

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Interview parue dans les éditions n°397 #1, #2 et #3 du mois de novembre 2018

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