INTERVIEW
Pascal Bernardin
producteur français du spectacle
À Nice le 02 mai 2014
À Toulon le 03 mai 2014
« Ils ont fait quelque chose que l’on n’avait jamais vu auparavant en mettant vingt danseurs sur une même scène et en donnant un aspect festif à la danse irlandaise… »{youtube width= »810″ height= »480″}e_37Vh_0EZ4{/youtube}
Né d’un hasard heureux, le spectacle Riverdance, n’a cessé, depuis vingt ans désormais, de parcourir les routes du monde entier depuis sa création.
Imaginés en 1994 par deux irlandais à l’occasion de l’Eurovision de Dublin, ces quelques minutes de show ont tant séduit les téléspectateurs qu’il leur a été impossible de ne pas poursuivre l’aventure. Un projet original et ambitieux qui, malgré son aspect traditionnel, n’avait jamais existé avant ce concours de chant européen et qui, en vingt ans à peine, a su s’imposer comme un show aussi incontournable qu’intemporel…
Morgane L : Le spectacle Riverdance est né à la télévision, grâce à l’Eurovision, il y a désormais vingt ans cette année…
Pascal Bernardin : Oui et l’histoire de ce spectacle est merveilleuse ! Deux producteurs, Moya Doherty et John Mc Colgan, ont été chargés de faire un passage à l’Eurovision, à Dublin en 1994. Ils pensaient faire un simple intermède musical appelé Riverdance et ont eu l’idée de demander à Bill Whelam de faire une musique de sept minutes. Ils ont ensuite demandé à Michael Flatley, qui, à l’époque, était champion du monde de claquettes, de les aider à monter une chorégraphie. Avec lui a travaillé Jean Butler, une jeune fille rousse, irlandaise et excellente danseuse. Ensemble, ils ont fait quelque chose que l’on n’avait jamais vu auparavant en mettant vingt danseurs sur une même scène et en donnant un aspect festif à la danse irlandaise.
La danse, en Irlande, était quelque chose qu’on se transmettait de famille en famille, quelque chose que l’on n’apprenait pas dans les écoles et tout à coup, ils ont eu cette idée extraordinaire de les mettre sur scène, un peu comme à Broadway, en alignant tous les uns à côté des autres.
Ce soir-là, en direct de Dublin, le monde entier découvrait à la fois la capitale irlandaise à la télévision et ce projet dingue avec une musique sublime et entraînante accompagnée de vingt danseurs qui tapaient le sol comme des fous et qui sautillaient en l’air ! Les gens ont trouvé ça si extraordinaire que Moya et Mc Colgan ont eu l’idée d’en faire spectacle dès l’année suivante.
C’est ainsi qu’est né le spectacle Riverdance. Le duo de créateurs a confié la musique à Bill Whelam et la chorégraphie à Michael Flatley avant de choisir vingt-cinq danseurs. Malgré le succès rencontré lors de l’Eurovision, l’équipe était un peu inquiète à cette époque là à l’idée de faire un spectacle entier basé uniquement sur la danse irlandaise, alors elle a ajouté quelques danses russes, du flamenco et de la claquette américaine pour offrir plus de nuances.
Et pour mettre tout ça en valeur, plutôt que de passer une bande son, ils ont pris le parti d’intégrer un orchestre « live » pour jouer cette sublime musique traditionnelle revisitée par Bill Whelam et enrichie par les chants de jeunes filles irlandaises aux voix extraordinaires, pures et haut perchées qui viennent de temps en temps briser le rythme effréné de ces danses irlandaises. Tout cet ensemble a donné vie à un spectacle très beau et très pur, qui vous ouvre le cœur de l’Irlande grâce à sa musique, sa danse et ses incursions dans d’autres domaines comme la claquette américaine. C’est peut-être ça qui explique qu’il peut rester six mois à Londres ou aux Etats-Unis sans aucun temps mort. Trois troupes ont d’ailleurs été créées pour permettre à Riverdance de faire le tour du monde.
Michael Flatley a ensuite quitté la compagnie et créé ses propres troupes, Lord of the Dance. Ce genre de production a été copié des dizaines de fois mais n’a jamais, en tous cas jusqu’à aujourd’hui, été égalé. Vingt ans après, Riverdance possède toujours trois troupes qui tournent dans le monde entier et qui ont atteint les vingt-cinq millions de spectateurs. Il y a encore un mois à peine, l’une d’entre elles était d’ailleurs en Chine.
Donc ces troupes n’ont finalement en réalité rien de traditionnel ?
En effet, pas du tout ! (rires) Ce qu’il y a de traditionnel par contre dans le spectacle, ce sont certaines rondes qui donnent un genre « danses au coin de feu ». La claquette traditionnelle irlandaise avec des chaussons équipés d’un fer au bout pour claquer le sol, ça s’est toujours fait aussi mais associer les deux ensemble, avant Riverdance, ça ne s’était jamais vu. Il parait que les gens se montraient quelques pas de Comté en Comté mais ça n’avait rien de festif. C’est véritablement le show de l’Eurovision qui a créé ce style de spectacle.
Lorsque l’on est dans la salle, on doit ressentir les vibrations de la scène…
Ah ça…! C’est extrêmement fort dans la salle ! (rires) Le succès de Riverdance s’explique avant tout par son aspect hyper traditionnel car, contrairement à ce que l’on pourrait croire, la tradition nous intéresse tous… C’est le retour à notre terre, à nos racines… Le tout sur une musique extraordinaire qui donne un côté hyper moderne et quand tous se mettent à danser ensemble la danse celtique, ça crée quelque chose de bizarre, ça provoque de sacrées vibrations et ça libère une énergie de fous ! Lors du final, très souvent, je regarde les gens dans la salle en train de faire des standings ovations en permanence ! C’est plus fort qu’eux, ils sont pris par une force intérieure et se lèvent ! Le succès de ce spectacle est vraiment incroyable surtout si l’on se souvient qu’au départ, il est né d’un pur hasard. Cela aurait pu rester un intermède télévisuel exceptionnel et ne jamais devenir un spectacle de cette envergure. Il y a plein de shows ethniques dans le monde mais j’ai rarement vu quelque chose d’aussi efficace que ça.
Et le plus extraordinaire c’est que ce n’est pas vieillot du tout. Riverdance a beau avoir vingt ans aujourd’hui et être très traditionnel, il est extrêmement moderne et contemporain… Ça explique qu’il attire autant toutes les générations ?
C’est moderne et traditionnel à la fois, exactement, et c’est ça qui est beau. Le côté traditionnel dans ce spectacle ressort énormément avec la présence d’un type qui joue de la cornemuse, qui, entre nous soit dit, est un instrument extrêmement difficile à maîtriser. Je me souviendrais toujours des débuts à Bercy… Il était là, au début du spectacle, en train de s’avancer seul sur scène… Il a coincé sous son bras ce drôle d’engin et commencé à sortir des sons prodigieusement difficiles… Tout le monde a cru que ça n’allait pas durer plus d’une trentaine de secondes alors qu’il a pris la scène pendant six minutes ! (rires) Là, les gens ont compris qu’ils étaient dans un spectacle musical, qu’on parlait à leurs tripes. Et je peux vous dire que quand le mec arrive à la fin de son morceau, au bout de six minutes, il a le droit à une standing ovation parce que c’est sublime. Grâce à ce mec là, dès le début du spectacle, ils vous font entrer dans leur univers.
Riverdance aura vingt ans le 30 avril 2014, est-il resté fidèle à sa création ?
Ils ont un peu changé les costumes mais sinon, dans les grandes lignes, c’est le même spectacle. La structure s’est améliorée, certains décors ont un peu changé, certains éclairages aussi, mais on a toujours la même musique et les mêmes danses même si cette dernière mouture est peut-être une des plus belles. C’est ça qui est le plus étonnant, ils ont été capables de garder la tradition de leur spectacle en conservant une certaine rigueur. Les danseurs s’échauffent toujours une heure et demie avant la représentation et s’entraînent à nouveau après le spectacle grâce a des captains qui gardent la compagnie. Ils savent travailler à la manière anglo-saxonne… C’est très encadré et ça pousse les artistes à donner le meilleur d’eux-mêmes. C’est en grande partie ce travail continu qui a permis d’offrir un spectacle qui n’a jamais vieilli. Les gens qui l’ont déjà vu reviennent et ceux qui le découvrent reçoivent le même coup de pied aux fesses, la même émotion que ceux qui l’avaient vu pour la première fois à l’époque de sa création ! (rires)
Y aura-t-il des surprises sur cette tournée ?
Non. A part l’anniversaire le 30, il ne devrait pas y avoir de surprise. Les anglo-saxons ne font jamais de surprises ! (rires) Dans les troupes françaises, on a tendance à faire des gags, pas les anglo-saxons. Je n’ai même jamais vu les anglo-saxons fêter une dernière représentation ! La seule chose que j’ai vu un jour, c’est Bruce Springsteen, à Los Angeles, inviter sa femme à venir danser sur scène dans un grand stade à la dernière de sa tournée. C’était merveilleux mais je crois que c’est la seule fois où j’ai vu un artiste anglo-saxon faire une entorse.
Vous êtes le producteur français du spectacle depuis le début de Riverdance ?
Oui, j’ai eu la chance inouïe de suivre toutes les saisons françaises de Riverdance depuis 1998. J’ai été contacté par la compagnie concurrente, Lord of the Dance, à la même époque. J’ai fait les deux spectacles, j’ai pu les défendre l’un et l’autre alors que dans tous les autres pays, les deux producteurs s’affrontent. J’ai défendu l’original, Riverdance, qui est à mes yeux le plus beau et le plus vrai, mais aussi celui de Michael Flatley, Lord of the Dance. Ce dernier est plus « variétés », et peut-être encore plus speed. Ça fonctionne très bien, les gens aiment bien et certains ne font pas la différence. Pourtant, il y en a une quand même. Riverdance est un peu plus lent, plus riche et je dois avouer qu’il reste mon favori. On n’a pas à rougir de ces deux spectacles qui font à eux deux plus d’un million et demi de spectateurs en France.
La première fois qu’on vous a contacté pour la tournée française de Riverdance, vous aviez déjà un intérêt pour ce genre de spectacle ?
Pas vraiment, je n’avais pas eu l’occasion de m’y intéresser. A l’époque, j’avais travaillé avec Rory Gallagher, un très bon guitariste de rock à l’origine du groupe Taste. Après son décès, son frère m’a appelé en 1997 pour me dire qu’il existait un spectacle sublime qui s’appelait Riverdance et qu’il fallait que je le découvre absolument. J’ai mis au moins huit mois à me décider avant d’aller le voir. Et heureusement que j’ai fait le déplacement ! (rires) Je me suis aperçu tout de suite que c’était un truc de fou ! Selon moi, pour produire des spectacles, il faut avoir envie de les vendre donc il faut les aimer. Là on parle de spectacles d’une qualité irréprochable, c’est avantage indéniable !
Ces deux spectacles là, Riverdance et Lord of the Dance, je les aime énormément. Bien sûr, il arrive que je défende des spectacles que j’aime un peu moins, mais en général, j’essaie d’aimer ceux qu’on présente en France. C’est quand même beaucoup plus plaisant que d’essayer de vendre quelque chose qu’on n’aime pas ! (rires) C’est pour ça que je fais très peu de chanson française… Je n’ai rien contre mais ce n’est pas ma tasse de thé à l’origine, ce n’est pas mon univers. J’aime bien le rock, la danse et je fais également beaucoup de spectacles familiaux. Actuellement, je m’occupe du spectacle Violetta pour lequel on prépare une tournée en France en décembre prochain. C’est une petite comédie musicale, c’est bien fait, on en a pour son argent et ça plait aux enfants. Ma petite fille de neuf ans m’a d’ailleurs demandé si dans la vraie vie Violetta était fâchée avec Tartina ? (rires) Je n’ai pas su quoi dire…
Riverdance a donc une troupe qui tourne en Europe, mais pourquoi un tel spectacle, un peu « hors mode », a-t-il autant de succès partout où il passe ?
Ça ne se démode justement pas parce que ce genre de spectacle n’appartient pas à une mode. Et puis je pense sincèrement que la musique de Riverdance y est pour beaucoup dans la réussite en salle. Les irlandais sont tout de même assez forts dans le domaine, eux qui sont à la base du rock et de la musique actuelle. Et Bill Whelam, qui a écrit Riverdance en est la preuve ! C’est un génie ! Il a adapté de la musique irlandaise traditionnelle pour en faire un trésor de modernité. Plus qu’un simple spectacle de danse, c’est un véritable show ethnique qui prend vie sur scène grâce aux trois ingrédients magiques que sont la danse, le chant et la musique. C’est un spectacle vivant incroyable surtout que la musique de Riverdance est faite en live.
Il y a même une suite à Riverdance que je suis allé voir cet hiver et qu’on va sans doute monter à Paris. Ils ont écrit un nouveau spectacle assez marrant qui est actuellement en tournée américaine. C’est différent, plus moderne, moins « pur ». C’est un joli spectacle populaire qui montre de la danse irlandaise dans différents univers. C’est assez original.
On a donc tous les ingrédients des comédies musicales dans ces spectacles ? La mise en scène, les décors, les costumes…
Oui et d’ailleurs, Riverdance, en plus d’offrir un spectacle visuel, propose un peu l’histoire des irlandais qui ont quitté leur pays pour fuir la famine et la pauvreté. Il parait d’ailleurs que la claquette américaine provient d’irlandais qui auraient fréquenté des blacks américains. Il y a un numéro dans le show qui l’explique un peu, quand la troupe entière avec quarante personnes au total, entre sur scène pour montrer son arrivée dans le nouveau monde. Ils se mettent tous à chanter une chanson qui, comme un Negro Spiritual, est extraordinaire. Ils ne dansent pas, ils sont juste là, immobiles et ils chantent, c’est très émouvant. Il ne reste que quatre millions d’habitants en Irlande aujourd’hui sur les quarante millions d’irlandais disséminés partout dans le monde. C’est un peuple qui a toujours beaucoup souffert et qui n’a jamais cessé de partir.
Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson pour Le Mensuel
Dates de tournée ici
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