INTERVIEW
Jonathan Lambert en interview
Son parcours « inversé » d’humoriste qui l’a conduit de la télé vers la scène à presque 35 ans et la folie qui émane de ses personnages souvent effrayants pourraient laisser imaginer que Jonathan Lambert ne serait pas tout à fait « normal », si tant est que quelqu’un le soit en ce bas monde… Mais calme, posé, intelligent et cultivé, l’homme qui se cache derrière le baveux et pervers Damien Baizé n’a fort heureusement pour lui que peu de points communs avec les êtres tordus qu’il imagine depuis des années ! Passionné par ces conventions de normalité et surtout d’anormalité, ses spectacles sont certes des exutoires mais également des études du cas « humain ». Capable parfois du meilleur et bien souvent du pire, ce dernier ne peut être vu de façon manichéenne… Impossible en effet, lorsque l’on voit aux infos un tueur en série, un pédophile ou un extrêmiste de ne pas se demander ce qui, un jour, a pu transformer un être naïf et innocent en véritable monstre. Se posant cette même question au sujet des dictateurs à qui leurs concitoyens ont laissé atteindre les sommets du pouvoir, le comédien nous livre – dans un Looking for Kim aussi hilarant que documenté -, des portraits d’hommes aussi épouvantables que ridicules qui, avant de se métamorphoser, pouvaient tout aussi bien être peintres que cordonniers ou fans de Walt Disney…
Jonathan Lambert dans « Looking For Kim » à Antibes les 17 & 18 avril
« C’est important pour moi de ne pas prendre le public pour un con… »
Morgane Las Dit Peisson : Le spectacle s’intitule Looking for Kim et la tournée Dictatour…
Jonathan Lambert : Ça représente un peu tout l’enjeu et tout le défi de ce spectacle… J’avais envie de partir d’un thème très noir pour l’emmener vers un rire collectif. C’était important pour moi que l’on réussisse à rire ensemble de ce qui me semble fou, ubuesque et délirant dans la mégalomanie de types qui ont réussi à devenir des dictateurs alors pour y parvenir, j’ai choisi une sémantique un peu pop… Looking for Kim aurait pu être le titre d’un album et Dictatour celui d’une tournée de groupe de rock… Il y a une grande part de show dans tout ce qui gravite autour d’un dictateur. Le look, l’accroche, le portrait, la communication et le culte de la personnalité témoignent, selon moi, d’un goût prononcé pour la mise en scène et c’est ce rapport là qui m’a tout de suite intéressé. Je le dis en préambule du spectacle, une dictature, c’est un one-man-show qui a mal tourné ! (rires)
Étudier ces personnages n’est pas anodin…
Évidemment, il ne s’agissait pas de démontrer que ces gens là étaient des salauds – je crois que tout le monde le sait -, mais plus de rechercher des petites anecdotes très révélatrices de leur personnalité… Quand on apprend que Ceausescu a fait raser 30 églises pour construire sa propriété et en faire le deuxième plus grand bâtiment au monde avec 1100 pièces au total, on réalise la véritable démesure de ces hommes et on ne peut pratiquement plus qu’en sourire tellement c’est fou et idiot ! Ces petites histoires reflètent notre grande Histoire mais je ne voulais en aucun cas sombrer dans un cours magistral ! Se foutre de leur gueule et être irrespectueux est, je crois, la moindre des choses pour les remettre à leur vraie place…
Vous semblez être captivé par ce que l’espèce humaine a de pire…
Je me suis toujours intéressé aux personnalités marginales et bizarres mais qui, en même temps, s’avèrent être très quotidiennes… Ce monsieur ou cette madame tout-le-monde qui un jour vacille m’interpelle car il n’est que le reflet de l’espèce humaine dans son ensemble. On a tous en nous une part de souffrance, de noirceur ou de déviance maîtrisée et je crois qu’à travers tous les personnages que j’ai pu faire, j’ai toujours été à la recherche d’une certaine compréhension de cet instant où quelque chose bifurque…
Jusque là ces personnages étaient inventés, là ils sont réels…
C’est vrai qu’auparavant je les imaginais mais je crois que décortiquer des personnages réels qui dépassent l’entendement était inévitable à cause de la folie et du monstrueux qu’ils dégagent. J’ai une sorte de fascination du pire que des dictateurs peuvent pleinement assouvir ! (rires) Ils croient détenir le pouvoir mais en réalité c’est le pouvoir qui les tient. Ce ne sont à l’origine que des petits chefs qui grandissent et qui, au fur et à mesure du pouvoir qu’on leur donne, se laissent dominer par lui et finissent par devenir des autocrates.
En télé, votre apparence était littéralement transformée, ce qui est impossible sur scène…
Dans les émissions auxquelles j’ai participé, j’ai en effet eu la chance d’être métamorphosé à chaque fois grâce aux costumes, aux maquillages et aux accessoires et c’est vrai que sur scène, on n’a pas le temps de s’adonner à cette transformation alors ça oblige à écrire différemment. Même si le traitement est similaire et que certains personnages peuvent exister aux deux endroits, la création d’un sketch filmé et l’élaboration d’un spectacle d’une heure et demi n’ont rien à voir. D’ailleurs, c’est flagrant avec Looking for Kim tant il est compliqué d’en isoler une vanne ou un extrait puisqu’il s’agit d’un récit. J’aime essayer de m’adapter aux conditions que m’imposent les différents projets, qu’ils soient cinématographiques, humoristiques, théâtraux ou télévisés, car ce sont toujours des expériences enrichissantes. Et puis, c’est important pour moi de ne pas prendre le public pour un con en lui proposant toujours la même chose…
© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson • Photos Sven Etcheverry
Interview parue dans les éditions n°391 #1, #2 et #3 du mois d’avril 2018
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