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Interview de Stephan Eicher pour Le Mensuel en 2013 – Album L’Envolée
STEPHAN EICHER
« C’est facile pour moi de ne pas refaire les mêmes choses car je m’ennuie très vite
et s’ennuyer dans la vie, pour moi, est un péché passible de l’Enfer ! »
Aérien, quasi lunaire et pourtant si réaliste… Stephan Eicher, en perpétuel voyage, aussi bien physique qu’intérieur,
n’aime pas les habitudes, exècre la routine même s’il avoue volontiers aujourd’hui qu’un port d‘attache est vital à l’équilibre d’un homme.
C’est dans un hôtel, évidemment, que c’est faite cette entrevue, lui qui aime ces lieux éphémères synonymes de passage et de rencontres, ces lieux mystérieux où l’on se rêve à être quelqu’un d’autre, à jouer un rôle le temps d’une nuit. Véritable artiste, plus qu’un simple chanteur, Stephan Eicher est un poète, un rêveur, un contemplatif… Il aurait pu être peintre, décorateur ou bien sculpteur, sa vision de la vie n’en aurait pas été différente. Curieux, insatiable et profondément optimiste, il n’a pas fini de nous surprendre !
Stephan Eicher : Ma vie aurait du se passer à Berne si j’avais écouté mes parents qui désiraient tant que je fasse un métier plus stable, mais quand j’ai commencé à faire de la musique, un nouveau monde s’est offert à moi ! Vivre à l’hôtel c’est un peu comme jouer dans une pièce de théâtre où chacun joue un rôle. Dans la vie normale, on finit toujours par avoir des habitudes alors que je ne pense pas que l’être humain soit fait pour en avoir. Avec
la routine, les choses deviennent moins séduisantes à mon gpût. Dans un hôtel, à l’inverse, chaque jour est une nouvelle vie, une nouvelle chance ou une nouvelle défaite. De nature, je suis quelqu’un de plutôt fainéant et de peu aventureux alors dans cette vie que je me suis inventée, je suis obligé de m’adapter tout le temps, autant pour le langage que pour retrouver mon lit ! (rires) J’aime bien ça, c’est passionnant de s’adapter à un nouveau quartier, à une nouvelle ville. Pour quelqu’un comme moi qui préfère rester au calme dans son coin, ça me force à me frotter à la vie !
Donc vous ne vous fixez jamais, vous êtes continuellement en déplacement ?
Il y a eu différentes phases mais « à cause » du succès, j’ai trop voyagé et même quand je n’étais pas en tournée j’avais pris l’habitude de vivre dans des hôtels… Là, vous n’êtes plus face à une vraie vérité. Quand je l’ai réalisé, j’ai été mal et c’est là que j’ai cherché mon premier appartement, à 35 ans. Ça devenait dangereux de ne vivre que dans cette pièce de théâtre, j’ai eu peur de me perdre là-dedans. Aujourd’hui ça ne présente plus de danger, j’ai trouvé l’équilibre parfait.
Il y a finalement toujours besoin d’avoir un endroit à soi ?
Oui et j’en avais besoin pour mes enfants ainsi que pour créer des studios d’enregistrement qui ont d’ailleurs plus l’air de bibliothèques ou d’ateliers de peintres ! (rires) J’ai la chance depuis quelques années de pouvoir créer là où je vis et où ma famille m’attend, c’est extrêmement agréable.
Vous voyagez beaucoup depuis plus de 30 ans maintenant et vous avez toujours cette même envie de découvrir de nouvelles choses ?
Plus qu’une soif d’apprendre, j’ai conservé une espèce de naïveté. Je peux par exemple retourner dans des situations que j’ai déjà vécues et leur redonner une nouvelle chance. Je suis naïf ou peut-être que j’oublie trop vite ! (rires) Je peux relire des livres avec un nouveau plaisir à chaque fois et je peux avoir de très longues amitiés qui continuent toujours à se développer. Je me suis souvent demandé d’où ça venait, j’ai cru que c’était une sorte d’envie de comprendre mais je crois en fait que c’est une forme de naïveté. Vous connaissez le poisson dans « Le monde de Némo » qui oublie tout, tout le temps ? Je suis un peu pareil ! (rires) Avec l’âge, désormais, j’essaye de lier tout ça… C’est notamment ce que j’ai fait avec ce dernier album « L’envolée », qui est truffé de liens surréalistes. C’est assez excitant de vivre la vie de cette façon là !
Vous ne refaites jamais les mêmes choses. On a vu des instruments plutôt électroniques, ensuite plus classiques, puis des plus rares, vous avez fait un album symphonique, des musiques de films… C’est une volonté de faire les choses différemment ?
Non c’est le poisson qui a oublié ! (rires)
La vie est trop courte pour se permettre de s’ennuyer…
Voilà aussi pourquoi on va en Enfer ! (rires) Oui la vie est trop courte mais j’aime bien aussi attendre un métro qui n’arrive jamais pour rester à observer… Je suis heureux d’avoir des moments de vide total. Les gens pensent que je m’ennuie alors que pas du tout, j’en profite. Il y a vraiment des moments où je vis en « double vitesse ».
Le dernier album, « L’envolée », sorti en octobre dernier, a quoi, selon vous, de différent ?
Selon moi, quelque chose d’important, la forme. Dans la musique que je fais, il y a quelque chose de superficiel, dans le sens où l’on peut l’écouter au restaurant, à la maison, dans le train ou en discutant. Ce n’est pas une musique contemporaine où il faut resté concentré. Ma musique est un peu comme un meuble dans une pièce, elle accompagne, elle est là. Dans ce cas précis, je trouve que la forme a sa raison d’être.
Dans « L’envolée », la forme prend l’aspect de chansons très courtes, ce que je n’avais encore jamais fait. On a tout sauf le temps aujourd’hui alors je me suis dit qu’il fallait réduire mes chansons pour qu’elle se calquent plus au mode de vie d’aujourd’hui et que les gens puissent en écouter plusieurs dans la même journée ! Mais je ne supportais pas la forme que l’on entend tout à la radio par exemple et qui a toujours la même rythmique : le pied et la caisse claire en 2-4, 2-4 alors j’ai commencé à modifier ces choses là et ça m’a énormément amusé ! Il y a des moments où c’est très baroque, j’ai mis des cordes et travaillé la mélodie. Mais ce qui est agréable, c’est que je peux encore faire un autre disque puisqu’il y a encore des envies que je n’ai pas satisfaites.
J’ai chanté pour beaucoup de gens sur les précédents albums, j’ai vraiment ouvert mon coeur à beaucoup des gens car j’avais envie de chanter pour le monde. Et maintenant, j’ai le désir d’avoir l’impression de chanter pour une unique personne. Ça, c’est nouveau pour moi.
Dans « L’envolée », il apparaît un côté positif, je pense au titre « Le sourire ». Il faut prendre la vie du bon côté malgré toutes les difficultés ?
Je pense que oui. Tout est si sombre autour de nous comme les médias essayent de nous le montrer… Tout a été remplacé, le cinéma, la musique, les livres… Comme tout le monde, je suis tout le temps sur mon téléphone pour y lire les nouvelles du monde qui nous apprennent en continu des chocs, des atrocités, des injustices et on ne peut pas y résister. C’est comme une nouvelle forme de pornographie, on sait que ce n’est pas beau à regarder mais on ne peut pas s’en empêcher. Les artistes doivent être là pour faire le contrepoids. C’est notre devoir d’ajouter un peu de sourire et de lumière dans cette obscurité, c’est vital.
Vous y arrivez dans la vie de tous les jours ?
J’ai un jeu pour le faire ! J’essaye de faire rire chaque chauffeur de taxi parisien qui me conduit ! Je cours le risque qu’il s’arrête pour me jeter dehors mais dans 80% des cas, mon plan fonctionne. C’est un jeu qui m’amuse beaucoup. Dans cette pièce noire, c’est réconfortant d’arriver à allumer quelques lumières…
On ressent dans cet album, peut-être pas un pardon, mais une volonté de compréhension de l’humain…
Si ! C’est joli l’idée de pardon aussi. Même si je ne suis pas persuadé que Dieu a été ce qu’on se représente, un homme avec une grosse barbe blanche qui choisit le bien et le mal, j’aime bien cette idée un peu forte…
« L’envolée », c’est redonner espoir à l’espèce humaine tout en conservant un espoir en l’espèce humaine ?
C’est exactement ça ! C’est ce pourquoi je me lève le matin. La nuit on pardonne avant que tout ne recommence le jour… C’est très joliment dit…
Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson
Interview parue dans l’édition n°337 de Mai 2013
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