Dominique A
en interview
« Écrire, c’est mon premier plaisir ! »
Sa récente Victoire de la Musique en tant qu’artiste interprète masculin de l’année, plus qu’une simple récompense, est porteuse d’espoir pour un genre musical trop peu reconnu, encore à l’heure actuelle, par les principaux médias. Mais Dominique A, tout comme Arthur H ou Miossec, eux aussi considéré comme les bâtisseurs de la nouvelle scène française, n’est pas prêt à s’égarer vers des tendances plus commerciales pour faire décoller des ventes d’albums. Ni «chansons françaises», ni «chansons à texte», ni «variétés», ses compositions depuis plus de vingt ans sont tout simplement des chansons, des textes à travers lesquels il parle de lui, de nous, de la vie sans s’inquiéter de savoir dans quel rayon les disquaires vont pouvoir le proposer. Et puisqu’avec les années qui passent nous ne sommes jamais tout à fait les mêmes que la veille, l’artiste a brouillé les pistes sur un dernier et neuvième album, «Vers les lueurs», plus rock que jamais et véritable reflet de ce qu’il propose sur scène.
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Morgane L : Après une vingtaine d’années de carrière, que représente une récompense telle qu’une Victoire de la Musique ?
Dominique A : En terme de récompense, ça représente un petit peu un Graal si ce n’est que je n’avais pas postulé pour, à la base. C’est une forme d’aboutissement, non pas de carrière parce qu’une carrière ne se résume pas aux gratifications, mais disons que c’était inespéré, inattendu. J’espérais juste un jour être nominé aux Victoires de la Musique pour avoir l’occasion d’y jouer, de me faire connaître par des gens, de relancer un peu la vente de mes albums. Mais finalement, le fait d’être distingué comme ça, de cette manière là, c’est tout de même très important ! Ça donne peut-être un statut un peu différent, ça amplifie un petit peu les choses… Ça permet de modifier un peu le regard que les gens peuvent avoir sur votre production et c’est surtout ça qui m’importe, ça ouvre des perspectives, les gens vont peut-être écouter un peu plus ce que je fais aujourd’hui. Dans l’ensemble, cette cérémonie aura permis au répertoire que j’ai d’avoir un coup de projecteur de première importance.
Ça mettra peut-être en lumière un style musical qui n’a pas toujours été assez médiatisé ?
Peut-être… Mais en même temps je me méfie un peu de la médiatisation… Puisque ça a déjà créé des réactions du genre « comment ce type non reconnu du grand public accède t-il à cette distinction ? », ça peut aussi créer l’effet inverse ! Dans l’immédiat je dirais que oui, car ça donne de l’espoir aux gens. Des musiciens me disent que ça leur donne le moral pour continuer dans l’espoir que ce qu’ils font ne reste pas au second plan. J’espère juste que ce n’est pas un cas isolé juste rattaché à mon histoire et à mon parcours qui finalement ne serait pas représentatif de ce qui va se passer par la suite… Mais c’est encore un peu tôt pour le dire. Surtout que finalement les Victoires ont été assez peu suivies avec à cause des restrictions relatives au caractère un peu élitiste qu’elles renvoient… Je trouve ça idiot mais c’est comme ça ! (rires) Seul l’avenir nous dira ce qui se produira…
Pour l’instant, vous manquez de médiatisation. Mais plus de médiatisation ne deviendrait-elle pas un danger ? Serait-ce toujours le même courant musical, la même profondeur, la même indépendance s’il se retrouvait au centre de toutes les attentions ?
Je ne sais pas… Le courant musical dont vous parlez provient de gens qui mettent davantage en avant ce qu’ils font plutôt que leurs petites personnes. Je pense que la médiatisation ne changerait pas grand-chose à ce niveau là. Mais pour parler de mon cas précis, je considère que je fais de la musique et de la chanson tout à fait abordables donc le fait d’aller vers les gens ne m’est pas du tout problématique. J’essaye d’avoir un public de plus en plus nombreux sans pour autant transiger sur ce que je fais. Une fois que la chose est faite, le fait d’aller ensuite vers le plus grand nombre ne change rien au travail réalisé. Je crois qu’il y a tout un pan de la musique en France qui a été, non pas sacrifié, mais trop exposé auprès des médias spécialisés et qui n’a pas reçu un écho démesuré auprès du grand public notamment dans ma génération des années 90. Peu de gens de cette époque ont explosé alors je crois que tout éclairage devient le bienvenu pour ne pas que les choses déclinent.
Mais pourquoi, si les gens adhérent et si le public est présent lors des tournées, on ne vous voit et ne vous entend pas plus à la télé et à la radio ?
Je pense que ça vient un peu des « à priori » des gens… Ça vient des programmateurs radio et quelquefois même des labels eux-mêmes. J’ai remarqué que parfois les labels anticipent sur les désirs des programmateurs radio et vont au-delà de ce que ces derniers leurs demanderaient… D’où un certain « formatage » ! Du coup, ce genre de chansons ne peut pas aller directement et facilement vers les gens et se retrouve forcément destiné à un petit public. Le plus gros du problème est là. Je pense qu’il y a aussi une question d’image et les gens qui gèrent les gros médias type télé ont peur de ce qui ne ressemble pas à un « bon client » ! Quelqu’un qui ne serait pas capable de faire le show à l’écran ne les intéresse pas beaucoup. Ce facteur là pèse énormément dans la balance et dans mon cas, c’est assez flagrant. J’ai toujours été un peu en retrait par rapport à ça, je fais toujours la gueule sur les photos, ce n’est pas engageant pour un programmateur télé ! (rires) Et puis au-delà de ça, il y a peut être aussi une confiscation par la variété sur les ondes. Mais le plus gros du problème, je crois, reste les « a priori » en fait. On part du principe que ça ne marchera pas, que les gens n’en voudront pas et du coup, on ne passe pas. Moi, je ne considère pas que j’ai été sous-exposé car j’ai toujours eu une certaine presse qui m’a bien suivi et des stations comme France Inter. Je n’ai pas vraiment souffert d’une absence d’exposition mais c’est vrai que pour accéder à certains autres médias, ça reste « Mission Impossible », ce n’est même pas la croix et la bannière, c’est juste que les portes sont définitivement fermées.
On ne vous verra pas demain chez Arthur donc ?
Ben non ! (rires) Mais le truc aussi, c’est que moi-même je n’y postule pas alors il y a vraiment très peu de chance ! Ça vous étonne, je sais… (rires) Mais je suis passé chez Drucker quand même !
C’est dommage, ça nous changerait de certains autres qui passent en boucle…
Oui mais les téléspectateurs ont-ils tellement envie d’avoir autre chose ? C’est une question qu’on peut se poser au-delà de savoir comment ils réagiraient si on leur proposait autre chose. Et pour les gens tout ce qui est prise de tête, c’est mauvais… Alors moi qui suis proche de la prise de tête, ce n’est pas gagné… (rires)
Vous avez été déclaré comme « fondateur de la nouvelle scène française » mais vous, vous le ressentez comment ? J’ai vu que vous n’aimiez pas vous « ranger » dans la « chanson à texte », ce n’est pas non plus de la variété française, alors qu’est-ce que du « Dominique A » ?
Pour moi, je fais de la chanson, tout simplement. Après le « à texte » m’a toujours fait rire parce que c’est un mal français. Le fait de faire des chansons c’est d’être dans « l’entre-deux », dans une sorte de bâtardise entre le texte et la musique. Quand j’entends « chanson à texte » j’ai l’impression que je loupe complètement le truc et que la musique a été laissée de côté. Ce qui m’intéresse, au contraire, c’est le point de jonction entre les deux. Je n’attache pas beaucoup d’importance aux définitions, je considère que je fais de la chanson et voilà. Avec de la pop rock dedans parce qu’on est nourri de ça mais je ne perds plus mon temps à essayer de définir un terme ou un genre.
Il vaut mieux créer, c’est mieux…
Oui, oui c’est beaucoup plus intéressant !
Par contre on sent toujours un goût du « juste mot », ça vient d’où ? De lectures quand vous étiez plus jeune, d’un imaginaire en particulier ?
Ça vient d’un genre d’ennui d’enfant… Pour m’occuper, j’ai développé un imaginaire parce que j’avais du temps à tuer. J’étais fils unique, je n’avais pas de frère ou de petite sœur pour m’empêcher de laisser courir mon imagination… (rires) Ça ne m’a jamais quitté. Hier, par exemple, je me suis remis à rêvasser et c’était comme au premier jour. C’est un besoin impérieux. À partir du moment où une histoire commence à se créer, une suite d’accords arrive et m’inspire des mots, et ça m’entraîne inconsciemment à aller jusqu’au bout du truc. En fait, je dois avouer que je suis assez paresseux et finalement je me retrouve à travailler sans même m’en rendre compte ! Souvent, quand j’ai une idée, je me dis que je la travaillerais le lendemain mais quand l’idée est vraiment là, j’ai si peur de la perdre, que je la pousse à son terme. Je finis la plupart du temps une chanson sans même m’en rendre compte ! Ce sont vraiment les moments que je préfère. J’aime qu’une chanson arrive sans rien avoir demandé, j’aime ressentir cette espèce de créativité qui me parcourt… C’est rassurant et excitant ! En ce moment je suis en tournée alors on ne travaille que sur du « vieux matériel », on n’est pas dans la création, on est dans une forme d’énergie avec les gens. Ce n’est pas un contexte très créatif mais si la création repointe le bout de son nez, ça fait un bien fou !
Quand vous créez, vous créez en français. Pourquoi, contrairement à d’autres, êtes-vous tant attaché à la langue française ?
Quand j’ai commencé, j’étais tout petit, j’avais 6 ou 7 ans, je ne parlais que français et j’ai continué. C’est tout bête. Ce n’est pas plus compliqué que ça. Ça ne me semblerait pas naturel du tout d’écrire dans une autre langue, pas plus en anglais qu’en chinois. Je connais un peu mieux l’anglais que le chinois mais ça resterait une
aberration ! (rires)
Plus personne ne s’impose vraiment comme une différence à force puisque tout le monde s’acharne un peu à chanter en anglais…
C’est dû en partie au fait que les temps aient changé, il y a eu Internet… Un groupe français n’est plus un groupe français dans le sens où avant, il pouvait sortir un disque en français dans l’hexagone. Désormais, il le sort sur Internet et potentiellement, ça modifie énormément le rapport à la langue. Les artistes ont cette envie de faire de la musique pour le monde entier dans une langue universelle. Pour moi c’est une erreur, mais chacun fait les erreurs qu’il veut ! (rires)
Vous avez créé dix albums qui vous ont vu grandir, mûrir, changer… Quelles choses ont changé en 20 ans ?
Je crois que fondamentalement ce que je fais n’a pas beaucoup bougé. Le fond n’a pas bougé en tous cas. La forme s’est un peu modifiée parce que j’ai pris un peu de bouteille, parce qu’en terme de chant la voix a inévitablement changé, parce que je fais beaucoup de concerts hors micro et que ça m’a boosté les cordes vocales. Mais j’ai toujours l’impression de marcher dans les pas du premier disque, même si c’est clair qu’aujourd’hui je n’ai plus envie de refaire les mêmes choses de la même façon. Ce qui a vraiment évolué aussi, c’est que je n’ai plus peur de travailler avec les gens ! Je suis même au contraire en recherche de ça même si je ressens toujours ce besoin de revenir à la maison et de retravailler en solitaire des phases d’écriture… Ces moments là, je ne les partage pas. Quand j’écris une chanson, il n’y a pas à côté de moi quelqu’un pour m’aider à la finir. Et je n’y tiens pas… Écrire, c’est mon premier plaisir ! Mais les fondamentaux n’ont pas bougé pour moi. La recherche d’une chanson à la fois très épurée et sophistiquée est là depuis le départ et je continue sur cette lancée là.
Le dernier album « Vers les lueurs » est, je trouve un petit peu différent des précédents, au niveau musical, il est un peu plus énergique… D’où vient ce changement ?
Ça vient du fait qu’il a été enregistré dans les conditions du live. Le groupe de base a enregistré dans une seule et même pièce et on retrouve cette énergie du groupe rock. C’est plus intense. Il n’est pas le fruit de pistes que l’on additionne les unes aux autres, il y a cette magie du jeu en commun qui modifie le son. C’était l’un des grands axes de cet enregistrement, on voulait réussir à capter ça.
Et alors sur scène, à Nice et à Marseille, qu’allons-nous découvrir ?
C’est finalement un concert très rock, très électrique. On joue à la fois des nouveaux morceaux mais ceux des précédents albums sont aussi représentés donc ce n’est pas du tout un concert « d’accompagnement » du disque. Au-delà de ça, on est un groupe de rock, c’est très physique, pas du tout atmosphérique ! Il y a des moments très calmes, très assagis mais ils sont peu nombreux ! (rires) Le concert s’appuie aussi énormément sur les lumières que l’on a voulues assez sophistiquées avec des jeux vraiment très beaux et travaillés. Pour moi, ça représente trente à quarante pour cent de la réussite du concert. Après je ne vais pas faire non plus le bateleur, les gens viennent s’ils veulent. Mais les gens sont souvent agréablement surpris par l’effort physique du groupe sur scène. Ils s’attendent en général à un concert assez posé alors que même si on n’est pas dans la caricature et qu’on ne massacre pas les choses, il y a un réel investissement physique. Ce n’est pas un concert « pépère » ! (rires)
En parlant de lumière, dans votre titre « Rendez-nous la lumière » vous dites que « Le monde était si beau et nous l’avons gâché »… Alors selon vous, le monde a été beau un jour ?
Peut être à l’époque des dinosaures ? (
rires) Oui, je pense qu’il a dû être beau… Mais certainement avant l’homme et on peut se demander si le monde n’a pas été plus accueillant… Pas pour l’homme mais plutôt plus accueillant tout court quand l’homme n’y était pas… Je ne sais pas mais en tous cas, la question est posée !
DOMINIQUE A EN CONCERT À NICE LE 03 AVRIL 2013
Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson pour Le Mensuel
Interview à paraître dans Le Mensuel n°336 d’Avril 2013
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