INTERVIEW

Benoît Solès en interview

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À l’heure où les sociétés de services à la personne et les coachs en tout genre déferlent sur notre quotidien avec la promesse de nous le soulager, tenir le haut du pavé pour se différencier deviendrait plus ardu qu’on ne se l’imagine… Car désormais dans ce domaine, tout ou presque existe ! Du ménage aux cours de soutien scolaire en passant par le jardinage, les courses, les gardes d’enfants ou de chiens et la cuisine étoilée, tous vos désirs peuvent être assouvis pour qu’enfin, plus aucune des corvées qui vous empoisonnent l’existence chaque jour puissent continuer à vous martyriser. Mais si tout semble pouvoir être maîtrisé de main de maître dans l’univers ménager, il est encore un domaine qui – Dieu merci – résiste encore et toujours… Enfin résistait jusqu’à ce qu’un certain Eric Vence ne s’en mêle. Entrepreneur et plutôt créatif, il s’est engouffré dans l’une des seules activités où la concurrence ne fait pas encore rage : la rupture pour autrui et à domicile ! Il fallait y penser, certes, mais on peut reconnaître que cette idée plutôt originale correspond en tout point avec le leitmotiv de la fainéantise et de la lâcheté qui nous caractérise de mieux en mieux… Missionné par Hyppolite, le briseur de ménage professionnel s’apprête donc à rompre avec la fiancée de ce dernier qui a préféré opter pour la douceur de la procuration que pour la violence des crises de larmes et de la vaisselle volante ! Mais à peine arrivé sur son éphémère lieu de travail, Eric reconnaît dans les traits de Gaëlle (la future ex d’Hyppolite), celle-là même qui l’avait quitté sept ans auparavant et ce, sans aucune explication…


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À La Ciotat le 10 février 2018


« Je crois par-dessus tout à la générosité… »


 

Vous serez le 25 juillet aux Nuits Auréliennes de Fréjus avec la pièce Rupture à domicile

Benoît Solès : Les lieux comme le Théâtre Romain de Fréjus sont exceptionnels de par leur beauté, leur grandeur, leur histoire et, bien que ça donne lieu à un plaisir incroyable pour l’acteur, ça revêt aussi des allures de challenge. À Paris, on joue dans un splendide théâtre de 300 places alors qu’à Fréjus, il me semble qu’on est sur une moyenne de 800 personnes, en plein air alors c’est à la fois impressionnant et très motivant ! C’est réellement un rendez-vous qu’on attend avec impatience…

Jouer en extérieur s’accompagne de pas mal de contraintes…

C’est vrai que nous devons porter la voix différemment afin que les gens puissent bien nous entendre mais ce qui est le plus compliqué en plein air, c’est tout ce que l’on ne peut pas maîtriser comme le vent par exemple. S’il faut lutter contre lui, même avec la meilleure voix du monde, ça devient très compliqué mais on s’aperçoit à chaque fois que ces théâtres romains avaient déjà été pensés, à l’époque, pour que l’acoustique soit convenable. À Epidaure, par exemple, il y a 3000 ou 4000 places mais on peut se faire entendre rien qu’en chuchotant, c’est complètement dingue !

Ça ajoute un peu de piquant de ne pas être dans une salle fermée ?

Chaque représentation est toujours unique mais c’est vrai que c’est très particulier pour nous de nous produire en extérieur avec une ambiance aussi estivale et festive. Ce sont des dates qui nous marquent énormément, on se souvient très bien de nos passages dans des lieux en plein air comme au festival Les Nuits de Robinson à Mandelieu ou au Fort de la Bayarde à Carqueiranne qui est véritablement spectaculaire. Pour nous, jouer dehors c’est se sentir connectés à la nature, aux éléments, c’est du challenge, du plaisir et beaucoup d’excitation !

Et puis ce sont des lieux très souvent chargés d’Histoire…

Il y a le poids de cette Histoire, c’est vrai… Quand on joue du Shakespeare par exemple, ce cadre fait écho à la pièce et amplifie son lyrisme et sa dramaturgie. Là, en ce qui concerne Rupture à domicile, c’est exactement le contraire… Il s’agit d’une comédie contemporaine, un boulevard moderne et romantique alors on doit presque faire oublier ce cadre prestigieux pour donner l’illusion que nous sommes vraiment dans un salon d’appartement. Toutefois, bien que la pièce, a priori, ne profite pas du cadre et de son âme, nous, nous en profitons ! (rires)

Dans Rupture à domicile, on retrouve le fameux triangle amoureux si caractéristique des pièces de boulevard avec une histoire innovante en trame de fond…

C’est vrai que c’est compliqué d’être original avec cette thématique plutôt traditionnelle pourtant, Tristan Petitgirard – l’auteur – y est arrivé en partant d’un axe très original : une agence de rupture… Ça peut paraître complètement irréaliste et pourtant il s’est inspiré de notre quotidien et de notre propension à mettre de côté et déléguer tout ce qui nous ennuie ou nous perturbe… Pourquoi ne pas payer quelqu’un pour rompre à notre place après tout ? (rires) Par contre, c’est vrai que le point de départ de l’histoire, le trio amoureux, représente quant à lui un schéma plutôt classique rappelant « le mari, la femme et l’amant ».

On s’est amusé – notamment avec mon personnage qui est le plus burlesque des trois – à assumer cet « héritage » des comédies de boulevard en rendant hommage à des acteurs mythiques qui ont fait les grandes heures du théâtre populaire comme Michel Roux ou Jacqueline Maillan. Tristan Petitgirard a eu l’audace de mélanger ces codes à ceux de la comédie romantique tout en agrémentant l’ensemble d’un léger suspens. Et c’est ce qui donne, je crois, beaucoup de force à la pièce car si l’on rit d’un côté, on se demande tout de même lequel des deux hommes va l’emporter. Ça crée entre les protagonistes une tension, voire même parfois une sorte de cruauté qui donne lieu à une pièce riche comportant des scènes tantôt drôles, tantôt émouvantes ou très acides…

Cette variété permet de ne pas tomber dans la caricature…

Dans la conduite de l’intrigue, il y a en effet de nombreux retournements de situation, un vrai culot dramaturgique et surtout, une fine observation psychologique qui permettent, bien que cette situation soit un peu cocasse, à tout le monde de s’identifier. C’est pour ça que les gens rient. Ils se projettent car ils connaissent le même genre de petits tracas que nos personnages dans leur vie de couple.

C’est la magie du théâtre, on rit de ce qui nous ferait souffrir dans la vraie vie…

C’est d’ailleurs la fonction principale du théâtre ! Que ce soit dans le drame, la tragédie ou bien la comédie, il y a toujours ce pouvoir cathartique. On rit de ce personnage qui ment, de celui qui va se prendre un pot de fleur sur la tête, de ceux qui se trahissent… Étrangement, on s’en délecte quand on n’est pas concerné, ça a presque quelque chose de jubilatoire ! (rires)

Rupture à domicile a réussi à faire d’un sujet « simpliste » une comédie intelligente qui observe nos déviances…

Tragédies ou comédies, anciennes ou contemporaines, les bonnes pièces de théâtre doivent donner aux gens ce qu’ils aiment et j’ai la sensation que Rupture à domicile en fait partie… Certains seront plus sensibles au divertissement, d’autres auront une tendance à déceler ce qu’il y a de plus cruel tandis que certains autres verront tous ces aspects dans leur intégralité… Il y a toutes ces subtilités là en tous cas dans le texte de Tristan. Il a un véritable talent d’auteur, il sait monter des situations qui se font et se défont sans cesse et en prime, il est un excellent dialoguiste puisque ses répliques font mouche à chaque fois. Si nous, sur scène, nous remplissons aussi notre part du marché, ces nombreux ingrédients font que le public passe un bon moment.

Entre les dates parisiennes et celles de tournée, vos partenaires alternent… On retrouve Hélène Seurazet et Anne Plantey du côté des femmes, Olivier Sitruk et Jean-Baptiste Martin du côté des hommes…

Comme tous mes camarades ont heureusement beaucoup de talent, ce n’est jamais source de stress que de les voir alterner, c’est au contraire un véritable enrichissement ! Olivier a joué au moins 200 fois avec moi tandis que Jean-Baptiste a démarré, quant à lui, il y a quelques semaines alors évidemment, au tout début, j’ai été plus attentif à sa partition mais il avait tellement bien travaillé son jeu qu’il a su se glisser dans la mise en scène tout en y ajoutant sa propre personnalité. Ça a vraiment apporté une fraîcheur qui a rendu la transition très agréable.

Avec l’expérience, on s’est aperçu que chaque trio a une harmonie, une humeur et une énergie différentes qui, à leur tour, rencontrent celles d’un public qui est nouveau, par définition, chaque soir. C’est pour ça que bien que le texte soit toujours identique, chaque représentation est quant à elle unique… C’est le secret pour ne pas s’ennuyer après plus de 270 représentations ! (rires)

Mais malgré l’expérience, le trac ne part jamais complètement ?

Non et quelque part, je crois que c’est une sensation plutôt saine… Même si je connais bien la pièce, au moment de monter sur scène, il y a toujours une petite appréhension car je me demande constamment si tout va bien se passer et si les gens vont rire… C’est ça que je trouve merveilleux au théâtre, rien n’est jamais acquis. D’ailleurs, le public adore que ça ne le soit pas, il est très friand des petits « accidents » du direct comme les gaffes, les fous rires ou les improvisations. Ça renforce sa perception de la temporalité du théâtre et le caractère exceptionnel d’une représentation.

Vous oscillez régulièrement entre rôles comiques et dramatiques…

C’est vrai que les trois derniers rôles marquants que j’ai joués différaient énormément. L’une des trois pièces était du théâtre contemporain très noir, psychologique et dur où un père racontait comment il avait tué ses enfants tandis que pour la seconde – Rupture à Domicile – je suis vraiment allé chercher le clown qui était en moi ! Mon personnage va au bout du mensonge, de la lâcheté et du ridicule uniquement parce qu’il ne veut pas abandonner la partie ! (rires) C’est un exercice où, en tant qu’acteur, il faut se lâcher complètement alors même si ce n’est finalement pas aussi simple qu’il n’y paraît, c’est très amusant ! Ça oblige à se plonger à 100% dedans en oubliant littéralement sa propre image. La troisième pièce dans laquelle j’ai joué dernièrement était Cyrano de Bergerac. C’est un grand rôle classique qui exige une large palette de compétences pour passer d’un rôle très dramatique à quelque chose d’un peu plus lyrique et héroïque…

Le fait d’avoir incarné des personnages très différents m’a permis d’avoir un peu toutes les couleurs… Dans le choix de mes rôles, je suis d’ailleurs avant tout poussé par la nouveauté. J’aime essayer ce que je n’ai encore jamais fait et c’est pour ça que j’avais demandé à Tristan de pouvoir jouer Hyppolite…

Les acteurs ont cette capacité d’introspection que le commun des mortels n’a pas forcément… Il faut être profondément amoureux de l’espèce humaine pour désirer la décortiquer ainsi…

C’est très juste ce que vous dites… Souvent pour devenir comédien, beaucoup de personnes nous disent qu’il faut avoir une grande confiance en soi ou avoir la capacité d’être un fanfaron alors que c’est totalement le contraire ! Évidemment il faut avoir le « courage » de se montrer et de se mettre en danger mais ce qui fait d’un homme un comédien, c’est cette ultra fragilité, cette sensibilité qui le rend avide de psychologie et qui lui donne tant envie de comprendre l’attitude d’un autre personnage que celui qu’il est lui-même dans sa vie de tous les jours. Par conséquent, le comédien va se mélanger à cet autre qu’il va tenter de comprendre… C’est en effet exactement le contraire d’une personne qui monte sur une table pour raconter une blague en étant très confiant…

Cette vision du comédien rappelle votre engagement politique… La plus grande similitude entre la vie politique et le spectacle, c’est d’ailleurs cette passion de l’autre, cette envie de servir l’autre…

C’est vrai que dans ce domaine là aussi, il y a souvent la même méprise. Certains pensent que les politiques sont « assoiffés de pouvoir » – une poignée l’est, je ne dis pas le contraire – toutefois, à mon échelle dans le 3ème arrondissement de Paris, il s’agit plus de donner de son temps pour le bien commun. Quand je me suis engagé en politique, j’étais arrivé à un moment de ma vie où j’avais besoin de faire quelque chose d’autre que la comédie. Je cherchais un engagement, une cause associative ou humanitaire et suite à une rencontre, je me suis lancé pour réfléchir à des projets culturels. Puis, assez naturellement, j’ai fini par être élu dans mon arrondissement et je ne le regrette pas un instant car c’est un truc hyper intéressant et enrichissant. On retrouve bien sûr une certaine notion de représentation mais ce qui prime, c’est véritablement le travail pour la communauté.

Ce qui vous caractérise, c’est votre gourmandise, votre envie de vivre plusieurs vies à la fois…

Oui je crois que j’ai développé une forme de boulimie à ce niveau là ! (rires) Je crois que même si c’est bien d’avoir envie d’autant de choses, c’est sûrement lié à une certaine forme d’angoisse… Le sage s’assoit et regarde les oiseaux alors que moi, j’ai la bougeotte ! (rires) Je veux essayer des tas de choses, j’ai besoin d’expérimenter tout le temps et du coup, les journées sont éternellement trop courtes… J’ai la rage de ne pas pouvoir voyager plus, écrire plus ou lire plus…

Vous écrivez d’ailleurs pour le magazine Transfuge…

Exactement ! (rires) Encore une fois, j’ai trouvé ça intéressant alors je me suis lancé ! J’aime aller voir d’autres spectacles pour en parler sans pour autant me prendre pour un critique. Je veux que mes chroniques soient passeuses d’enthousiasme.

Vous avez également écrit la pièce Appelez-moi Tennessee…

C’est une espèce d’hommage à Tennessee Williams… J’en avais écrites deux avant celle-ci mais, bien qu’elles aient intéressé des directeurs et des metteurs en scène, elles n’ont jamais été montées. Faire aboutir ce type de projet est toujours très compliqué mais c’est un type d’écriture qui me plait beaucoup. Je suis un auteur débutant, ça va de soi mais ma facette de comédien m’aide énormément. Si le sujet de fond est bon, l’auteur sait comment les dynamiques se perpétuent ou s’éteignent, il faut qu’il y ait une forme de suspens et que les personnages soient croustillants.

Et vous avez également un restaurant…

Oui ! (rires) Dit à la suite comme ça, je réalise vraiment que je ne m’arrête jamais ! C’est un petit bar italien Place des Vosges à Paris. C’était un rêve pour moi… L’endroit va d’ailleurs évoluer car j’ai envie de l’agrandir. Naturellement, je ne tiens pas le bar mais j’ai aimé créer ce lieu d’échange. Dans la même lignée, j’ai par la suite mis sur pied un lieu de réception, Le 24, à deux pas…

La première fonction d’un restaurant est de faire plaisir et d’offrir de la détente… Là, encore, on retrouve cette volonté de faire plaisir aux autres…

Vous avez raison… Au-delà du restaurant, je pense très régulièrement à ça, dans mon métier d’acteur notamment. Je vois beaucoup d’écoles de théâtre dans lesquelles il faut réfléchir beaucoup, s’enrichir tout le temps et s’ennuyer souvent… On apprend aux jeunes acteurs qu’il faut que ce soit long, ardu et compliqué. Je respecte beaucoup ceci bien sûr mais je crois par-dessus tout à la générosité. J’aime me donner, montrer mon énergie et donner, c’est vrai, du plaisir aux gens et ce n’est pas tellement différent, effectivement, dans l’univers gastronomique. C’est extrêmement important de faire preuve de générosité !

Olivia Ruiz nous disait qu’il faut avoir la capacité de s’oublier sur scène car c’était un véritablement acte d’amour…

C’est exactement ça et c’est assez beau d’ailleurs d’avoir cette espèce d’état paradoxal où l’on est à la fois dans le contrôle – puisqu’on respecte le texte et la mise en scène – dans le don de soi… Une fois les piliers d’une pièce assimilés, on a étrangement l’impression de vivre au présent une situation complètement inconnue. Diderot l’a d’ailleurs très bien décrit dans le Paradoxe sur le comédien, on sait pourquoi on le fait mais on s’y perd un peu en prime…

Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson • Photos Michel Blanc, Nicolas Bruant


Interview parue dans les éditions #1 et #2 du mois de février 2018

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