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Carole Bouquet en interview pour parler de son vin « Sangue d’Oro »

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« Sangue d’Oro est violent et doux à la fois… » Carole Bouquet

 


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Ce n’est ni pour une pièce de théâtre ni pour un film que nous avons eu l’occasion d’échanger longuement avec Carole Bouquet… Venue tout spécialement à Saint-Raphaël pour rencontrer Arnaud Schmitd et découvrir son épicerie fine Taste Gourmets, la comédienne et vigneronne en a profité pour offrir une dégustation à quelques amateurs de crus d’exception. Tombée amoureuse de Pantelleria (surnommée « l’île du Vent »), elle y a façonné un « Passito » rare (en moyenne 5000 bouteilles par an), liquoreux à 14 degrés – sans aucun ajout de sucre ou d’alcool -, cultivé à la main et « à l’ancienne », sans grand renfort de traitements. Fruit de trois vendanges, d’un travail de longue haleine et d’une terre rude, Sangue d’Oro, dans sa robe chaude et étincelante, se savoure idéalement à l’apéritif.

 

 

 


 

 

Carole Bouquet en interview chez Taste Gourmand à Saint-Raphaël pour présenter son vin Sangue d’Oro

interview / œnologie

Sangue d’Oro est disponible à la vente chez :

 

 


 

 

Vous rencontrer chez Taste Gourmet et non au théâtre est inattendu…

On aurait en effet pu se voir au théâtre pour Bérénice mais je suis ravie que ça se fasse chez un caviste pour boire un verre de Sangue d’Oro ! (rires) Ça me fait un bien fou de parler de cette autre passion lorsque la scène me manque trop. D’autant que quand je joue et quand je tourne, j’évite soigneusement le vin bien que, malheureusement, les dialogues ne soient plus aussi géniaux que ceux d’Audiard ! En revanche, pour Racine, il vaut mieux être sobre et en pleine forme ! (rires) Ce que n’étaient pas toujours mes camarades de jeu… J’aurais adoré aller dîner après le spectacle, il n’y a rien de plus agréable, quand une pièce se passe si bien, que de savourer ça en troupe mais, pour assurer le lendemain, l’âge apprend à devenir raisonnable…

 

 

Comédienne évidemment, mais également propriétaire d’un domaine viticole à Pantelleria…

Me lancer dans la culture de la vigne a été le fruit du hasard. Avant tout, c’est cette terre qui m’a fascinée. J’ai loué des maisons pendant très longtemps à Pantelleria où je prenais une petite route en terre à travers la montagne, pour rejoindre le lac.

Il y avait de nombreuses minuscules habitations en pierre, très rudimentaires. Généralement, elles comprenaient une cuisine extérieure, une pièce pour le cochon, une autre pour les cuves et les familles n’y venaient que l’été pour ramasser les câpres en dormant dehors. Ça ressemblait à ce que l’on pouvait voir dans Riz amer de De Santis, avec les enfants accrochés aux arbres dans les linges.

J’étais amoureuse de cette terre et je suis tombée sur une toute petite maison où il était marqué « vendesi ». Je suis allée voir une amie architecte qui s’est passionnée pour les « dammusi », ces constructions si typiques et uniques de Pantelleria. « L’art de la construction en pierre sèche » a d’ailleurs été inscrit, en 2018, au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO.

Elle m’a déconseillé d’acheter car il n’y avait ni électricité, ni eau (qui arrive par camions), ni chance de pouvoir avoir des autorisations de travaux…

L’année d’après, sans lui dire, je suis tout de même allée acquérir cette « maison » parce que ça me donnait un petit bout de terre en Italie et que quelque part, je pouvais dire que j’étais italienne, ça me créait une racine… Et petit à petit, d’un hectare, on est passé à deux et maintenant, j’ai 4 maisons qui ressemblaient à la première, avec son sol en terre et son cochonnier. À l’achat, ça ne coûte évidemment pas grand-chose mais la transformation, c’est une autre histoire car tout est compliqué à acheminer !  (rires) Je ne suis pas certaine que ce soit un bon plan immobilier mais j’aime cet endroit par-dessus tout…

 

 

Acheter à des Siciliens…

Il y a eu des scènes épiques ! Pour tout vous dire, j’ai acheté à 74 personnes différentes car tout était en indivision ! J’ai même dû, pour passer d’une parcelle à une autre, acheter un olivier qui est certainement l’olivier le plus cher du monde ! (rires) Le notaire s’est d’ailleurs vexé quand je lui ai dit qu’il avait tendance à profiter de la situation… Il faut savoir qu’ils s’offusquent facilement sur l’île de Pantelleria mais qu’en même temps, ils sont merveilleux puisque c’est grâce à eux que j’ai pu faire du vin.

 

Mais le vin n’était pas le projet initial…

Je n’y avais pas du tout pensé en achetant ces terres. Il y a des vignes, des câpres, des oliviers et tout doit être taillé comme de grands bonsaïs, à un mètre du sol maximum. C’est un travail monstrueux car en plus, ils sont plantés à 500 mètres d’altitude sur des terrasses de pierres noires volcaniques – de l’obsidienne – et lorsqu’ils sont trop importants, on les descend sur une autre terrasse pour ne pas que le vent bouffe les olives.

C’est la même chose pour les vignes qui sont taillées en gobelet et qui sont, de surcroît, recouvertes de feuilles pour les protéger du soleil… On est accroupi en permanence à Pantelleria. Pour les câpres, c’est pareil, et ça se ramasse tous les deux jours !

 

Le Passito de Pantelleria est le fruit d’un processus particulier…

En plus des conditions climatiques singulières, il y a en effet trois périodes de vendanges. La première se fait début août. On met la récolte par terre et on la retourne tous les deux jours pour faire du malaga, en plein soleil. C’est fastidieux donc il faut trouver des gens qui acceptent encore de le faire. Ça explique peut-être pourquoi je n’avais pas spécialement décidé de faire du vin… Je voulais surtout remettre cette terre en état où tout, dessus, était abandonné.

 

 

Le vin est une source de revenus pour les habitants de l’île ?

Étrangement, la seule chose qui fonctionne très bien à Pantelleria, c’est la coopérative de câpres. Impossible de réussir à leur en faire marcher une de vin et c’est à cause de ça qu’ils ont perdu 80% des terres viticoles…

Les gros domaines siciliens achètent ces raisins une misère et, les viticulteurs, à force de ne pas pouvoir vivre de leur travail, laissent leurs vignes à l’abandon… J’ai essayé pendant presque 20 ans de les rassembler, je les ai même emmenés à Bordeaux pour leur montrer comment fonctionnent les grands châteaux et les plus petits domaines, avec un prix établi permettant à chacun de vivre dignement.

 

Des raisins qui se vendent et s’exportent…

C’est un AOC mais les Siciliens peuvent en effet l’exporter. Tout au début, j’ai fait comme tout le monde, je vendais mon raisin. Au bout de 10 ans environ, je me suis dit que je pouvais faire du vin pour moi. J’ai confié la production à quelqu’un de l’île mais je ne l’ai pas aimée. Puisque le vin me passionne et que j’adore me tenir informée de ce qu’il se passe dans le monde viticole en échangeant avec des sommeliers et des cavistes, je n’ai pas abandonné. J’ai voulu revenir avec un œnologue pour qu’on travaille à des assemblages tous ensemble mais j’ai dû faire face à un refus total ! Qu’à cela ne tienne, j’ai décrété que je ne laisserais pas tomber pour autant. Évidemment, je n’ai pas reçu beaucoup d’encouragements au départ mais j’ai appris le métier et surtout, je me suis bien entourée.

Le problème suivant a été de construire le chai parce qu’il fallait que ça se fasse à un endroit où jadis il y en avait déjà eu un et qu’il en reste au moins une pierre… Donc je n’ai pas choisi le lieu, qui n’est pas très grand, ni très facile d’accès puisqu’accroché à la montagne mais, en finalité, on a réussi ! On a obtenu le droit de vinifier à peu près une heure avant qu’on ait besoin de le faire ! (rires) Ça n’a pas toujours été de tout repos, mais ça fait partie de l’histoire de Sangue d’Oro

 

 

Quand on voit cette belle bouteille et son nectar doré, on ne peut pas soupçonner le travail que ça a exigé…

Sangue d’Oro a demandé de déplacer des montagnes et quand on est en Sicile, ça prend tout son sens. Ce sont des gens extraordinaires mais à Pantelleria, c’est pire qu’en Sicile. Comme le dit Lampedusa dans Le Guépard : « Il faut que tout change pour que rien ne change ». Et c’est exactement ainsi que ça se passe sur place. Ils sont incroyablement têtus ! (rires) Malgré tout, j’ai eu la chance de tomber sur un monsieur adorable – Nunzio – à qui j’avais acheté le premier hectare et qui est parti avec moi dans l’aventure.

Il s’est dit que j’étais complètement folle, mais j’étais si enthousiaste qu’il m’a suivie ! Grâce à lui, j’ai pu – bien que les jeunes ne veuillent plus travailler la terre sur l’île -, rencontrer son petit-fils qui l’a accompagné, dès ses 5 ans, tous les étés.

Aujourd’hui, il a 28 ans et c’est lui qui s’occupe de mes vignes, même si Nunzio vient presque tous les jours voir ce qu’il se passe dans le chai.

 

 

 

Être une femme dans un milieu d’hommes, sur une île en Sicile ?

C’est étrangement très facile d’être une femme à Pantelleria. Pour vous donner une idée de la mentalité là-bas, les femmes gardent leur nom de famille lorsqu’elles se marient et comme c’est encore très rural, elles gèrent et dirigent tout à la maison. Elles sont immensément respectées.

En ce qui me concerne, c’était plus une question de légitimité par rapport aux gens de métier. La présence et le soutien de Nunzio ont beaucoup aidé au début, puis ils ont goûté le vin et ça a fait le reste !

 

La passion du vin…

J’ai découvert le vin à l’âge de 21 ans avec un Haut-Brion alors qu’avant ça, je n’aimais pas du tout en boire. Le jour où le père de mon fils aîné m’a offert cette bouteille, ça a vraiment été comme une illumination ! De là, j’ai commencé à m’y intéresser, à en consommer et à parler avec des sommeliers et des œnologues. J’ai débuté de façon obsessionnelle par du Bordeaux et petit à petit, j’ai fait tout le tour de la France et de l’Europe, puis j’ai testé les vins du monde. Je me suis formée en goûtant et en échangeant énormément avec des passionnés.

 

Le palais s’éduque constamment ?

Ah oui, j’apprends en permanence. Je connais encore très mal les productions de certains pays comme l’Australie et je commence à peine à me familiariser avec celles de l’Afrique du Sud… Ce sont des territoires tellement vastes que le travail d’apprentissage est colossal !

 

 

Le vin est synonyme de rencontres…

Ce n’est que ça et d’ailleurs, j’aimerais rendre hommage, parmi toutes ces belles rencontres, à la Maison Guigal que j’apprécie énormément et dont les propriétaires sont devenus des amis. Je suis très admirative de leur travail car le jour où je suis allée chez eux, j’ai pris conscience de la difficulté avec laquelle était cultivée la vigne ! Chez moi, à côté, c’est de la rigolade ! (rires)

À Pantelleria, ce qui est compliqué, c’est que tous les trajets se font à pied et les récoltes à la main. Il n’y a pas de tracteurs car on ne peut pas passer à cause de la pierre volcanique, des oliviers et des câpriers logés entre les vignes.

Un travail en plusieurs étapes…

On entame les vendanges « vertes » début août pour obtenir un raisin frais. Une partie part en fermentation tandis qu’une autre (dont on parlait tout à l’heure) sèche au soleil pendant un mois afin d’en faire du malaga. Ensuite, des femmes vont, à l’automne, égrapper ces fruits en dehors de leurs cuisines, car il ne faut surtout pas d’odeurs d’oignon ou d’ail. En hiver, on rajoute ça dans les cuves.

Entre deux, il y a la « passolatta », qui résulte d’une vendange début septembre et qui donne un raisin à moitié sec. On va le presser et l’ajouter dans les cuves pour une ultime étape de fermentation.

 

 

Un travail de longue haleine pour un résultat naturel…

On ne traite pratiquement pas nos vignes mais je n’utiliserais pas le mot « bio » car ça ne m’intéresse pas. C’est une mode de dire que l’on fait un vin « nature » mais j’ai clairement du mal à comprendre à quoi ça correspond… Ça me fait un peu le même effet que le vin « orange »…

J’utilise très peu de traitements tout simplement parce que Pantelleria s’appelle « l’île du Vent » et qu’à cause et grâce à lui, j’ai certes un mistral souvent ennuyeux, mais un mistral qui permet de balayer beaucoup de maladies. Je pourrais surfer sur cette vague du bio mais je n’ai pas envie de faire les démarches. C’est de la bureaucratie dont je n’ai pas besoin car si on lit l’étiquette de Sangue d’Oro, on comprend comment il est fait. Et puis, « l’alberello pantesco » (la taille de la vigne en gobelet) a été reconnu comme patrimoine mondial de l’Humanité, ça a plus de sens qu’une labellisation…

Chaque terre a son vin…

C’est ça qui est passionnant ! Ce serait ennuyeux à mourir si on faisait le même vin partout ! (rires) Chaque vin est en effet le reflet de sa terre, de sa géographie, de son exposition. Le Sangue d’Oro puise sa richesse dans la fleur d’oranger de Sicile – la Zagara -, dans les citronniers, dans les abricotiers, les pêchés, les câpriers et les oliviers qui côtoient les vignes qui le produisent. Ce vin ressemble au paysage qu’on voit et d’ailleurs, on boit aussi avec les yeux, d’où « Sangue d’Oro ».

Le nom m’est venu en deux secondes, ça a été une évidence. C’est un travail tellement archaïque et difficile que ça m’a fait penser au sang que fait couler cette terre et en même temps, ce vin a la couleur de l’or, de l’Orient et du soleil dont lui comme moi avons besoin. Dans la prononciation de « sangue », il y a quelque chose de plus fort que dans le mot « sang » en français.

J’aime ce nom Sangue d’Oro car il est comme le breuvage qu’il renferme : violent et doux à la fois.

 

 

L’AOC « Passito di Pantelleria » est un muscat d’Alexandrie…

Oui c’est un vin liquoreux à 14 degrés auquel on n’a ajouté aucun alcool ni aucun sucre, contrairement au malvasia et à d’autres vins doux. Le Sangue d’Oro n’est que le résultat pur de ces fameuses trois vendanges, du climat et de la manière dont poussent ses vignes.

 

Comment décririez-vous le Sangue d’Oro ?

Pour moi, ça ressemble à un rêve… Comment vous dire ? Je n’ai pas l’impression de boire du vin et pourtant, c’en est. Je l’adore à l’apéritif car je trouve que c’est le meilleur moment pour le déguster. Je l’ai conçu de façon tellement équilibrée, qu’il est beaucoup moins doux que les autres Passito. En Italie, l’apéritif ne se résume pas à trois olives ! On y mange du parmesan, de la charcuterie, du gorgonzola donc il fallait un vin qui s’accorde avec tout ça, qui n’altère pas les goûts et qui ne soit pas écœurant. Certains sont tentés de boire le Sangue d’Oro pour accompagner le dessert, mais je trouve que c’est trop tard et que – c’est mon opinion – il va ajouter du sucre sur du sucre. Ça me semble dommage…

 

 

Environ 5000 bouteilles par an…

On pourrait en faire plus, mais dernièrement j’en ai même fait moins car on a travaillé les parcelles les plus difficiles et les plus anciennes, dont celles qui possèdent des vignes centenaires.

À l’origine, j’en vendais dans le monde entier, à Singapour, en Amérique, à Hong-Kong, mais j’ai rapidement réalisé que je n’avais pas besoin de ça. Ce qui m’intéresse, c’est l’Italie, la France, la Suisse, la Belgique et, même si on peut monter à 8000 bouteilles, il ne faut pas risquer de dénaturer ce vin si extraordinaire. Se lancer dans plus de production avec le problème de la main-d’œuvre obligerait à bâcler le travail.

 

Un vin rare que l’on ne trouve que dans des boutiques spécialisées comme chez « Taste Gourmet » à Saint-Raphaël…

Oui, j’ai choisi des distributeurs qui eux-mêmes travaillent avec des cavistes et des boutiques comme ici, tous triés sur le volet. Je suis en symbiose avec eux et je m’en occupe énormément parce qu‘il faut que le Sangue d’Oro soit au bon endroit pour qu’il soit découvert et compris. Et puis j’aime, comme chez Taste Gourmet avec Arnaud Schmitd, rencontrer les gens qui le proposent à leurs clients, mais aussi ceux qui l’achètent. C’est merveilleux de pouvoir parler avec eux de ma passion pour le vin !

© Propos recueillis chez Taste Gourmand à Saint-Raphaël par Morgane Las Dit Peisson pour Le Mensuel / Photos DR – Christian Kettiger

 

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