CONCERT
Dany Brillant en interview pour son nouvel album et sa tournée « Seventies »
« Ce qui m’anime, c’est de m’exprimer ! » Dany Brillant
Imaginé – selon ses dires – tel un cheval de Troie, le tout nouvel album de Dany Brillant ne ressemble qu’en apparence à ce qu’il a proposé dans les précédents. Alors que la photo, le titre, les couleurs et la musique pourraient laisser penser qu’il s’est lancé dans des reprises des plus grands tubes des années 70, l’auteur-compositeur-interprète surprend par ses propos. Avec Seventies, il cache littéralement son jeu en dévoilant des thèmes intimes et profonds – la disparition de son frère ou sa vision de la religion – et en brossant un portrait peu glorieux d’une société dirigée par les GAFA. Le meilleur exemple parmi ces chansons conçues comme des pochettes surprises : Je voudrais bien rester toujours fidèle. Entre son intitulé et le sourire charmeur du chanteur, celui qui n’écoute pas les paroles sera persuadé qu’il y évoque une vulgaire tromperie alors qu’il y expose la difficulté, dans le monde d’aujourd’hui, de rester fidèle à soi-même, à ses valeurs et à ses convictions. Une nouvelle création (qu’on retrouvera sur les routes en 2025) qui questionne, émeut, amuse, bouscule…
Dany Brillant en interview pour son pour son nouvel album Seventies et sa tournée de concerts
interview / album / concert / tournée
- nouvel album Seventies paru le 27 septembre 2024
- en concert le 04 septembre 2025 / 20:00 / Aix-en-Provence / Pasino Grand / Infos et billetterie ici !
Un rôle dans le film d’Alexandre Arcady Le Petit Blond de de la Casbah l’an dernier et un concert hommage aux Harkis et aux Pieds-Noirs à Nice en septembre… C’est important pour toi de participer à ce devoir de mémoire ?
Dany Brillant : C’est vrai que la génération qui est arrivée dans les années 60 est en train de vieillir, voire de disparaître donc c’est essentiel de faire en sorte que ce passé ne parte pas définitivement avec eux. Soit les enfants (dont je fais partie) honorent la mémoire de leurs parents, soit ils décident de s’assimiler et d’oublier toute cette culture, la cuisine, la façon de parler ou encore l’accent.
D’ailleurs, ça a été la première chose que nos aînés ont essayé de gommer en arrivant en France et on ne le retrouve bien souvent que dans quelques films ou documentaires. Heureusement, la cuisine existe toujours (rires) et même s’ils ne retourneront jamais en Algérie ou en Tunisie puisque la France est devenue leur pays, la souffrance restera présente… C’est le cas de toutes les personnes déplacées ou chassées, il y a une mélancolie… Ma mère, par exemple, l’a encore et ça ne la quittera jamais… Je n’ai pas assez de souvenirs, mais à écouter cette génération qui en parle avec des sanglots dans la voix, la Tunisie était un petit paradis…
Ton paradis à toi, c’était les années 70 si l’on en croit ton nouvel album Seventies…
Dany Brillant : Je ne peux pas dire que c’est la plus belle période de ma vie, mais c’est en tous cas celle de mon enfance et je crois que ça a été une chance d’être un gamin dans les années 70, car j’avais le sentiment que les gens étaient heureux. Je ne peux pas m’empêcher de comparer ça avec aujourd’hui et je regrette un peu qu’on n’ait plus cette insouciance et cette légèreté qui se ressentaient d’ailleurs dans les chansons (auxquelles j’étais déjà très sensible), dans le cinéma, dans la liberté, dans la jeunesse, dans les colonies de vacances, dans la mode… Il y avait une création et un foisonnement qu’on retrouve dans toutes ces couleurs vives et dans le flower power…
On plonge dans les 70’s dès le titre Je voudrais bien rester toujours fidèle qui, jusque dans le clip, est criblé d’autodérision…
Dany Brillant : Vu la période qu’on traverse avec ces guerres partout et cette tension permanente, j’ai eu envie d’un peu de véritable humour… Celui qui a disparu, à la Coluche ou Le Luron, celui qu’on ne se permet plus. Aujourd’hui, c’est le ricanement qu’on tolère, mais le vrai rire, qui vient de loin, qui vient de l’âme, s’efface de plus en plus. Dans ce clip, en effet, je me fous un peu de ma gueule et ça fait du bien ! (rires) Il y a du Amicalement vôtre que j’adorais regarder quand j’étais petit, avec Tony Curtis et Roger Moore qui ne se prenaient pas non plus au sérieux !
Dans le texte, tu parles de soumission ou de rébellion, de la vie qui passe et des concessions qu’on fait pour rentrer dans le moule… C’est difficile pour tout le monde de savoir qui on est vraiment, mais est-ce pire quand on est artiste et soumis au regard du public ?
Dany Brillant : La société ne nous aide en effet pas à cultiver nos particularités, mais quand on est artiste, on est obligé d’entretenir son originalité, car il est impossible de durer des années en ne faisant que suivre des modes. Les vraies belles carrières n’arrivent qu’à des mecs qui ne ressemblent à personne comme Johnny Hallyday, Joe Dassin ou Claude François qui, même après leur mort, perdurent. Ils avaient un son à eux, un style et une personnalité parfois décriés par une intelligentsia qui n’accordait pas de crédit à leurs messages. Malgré tout, ils ont persévéré.
L’Histoire nous prouve que ceux dont on se rappelle sont les artistes populaires, qui collaient à leur époque sans avoir les faveurs des journalistes ou des gens du métier…
Ayant grandi en observant tous ces modèles, je n’en ai jamais rien eu à faire d’être dans l’air du temps. J’ai continué sur ma voie, parfois c’est passé, parfois pas, mais l’essentiel c’est d’être là et d’avoir toujours envie de faire de nouvelles propositions. À mes yeux, c’est la plus belle victoire sur la « moutonnerie » ambiante ! (rires) La dernière fois, j’étais sur Spotify et j’ai regardé ma « page »… J’ai alors réalisé le chemin parcouru et c’est fou de se dire que mon œuvre est inscrite dans l’éternité et que, quand je ne serai plus de ce monde, mes chansons me survivront ! C’est la preuve qu’il faut cultiver sa différence. Il n’y a qu’un Charles Aznavour, un Francis Cabrel, un Goldman, un Obispo, un Bruel…
Un nouvel album – Seventies – qui sort le 27 septembre et qui s’accompagne toujours de cette petite dose de trac ?
Dany Brillant : Bizarrement non, pas cette fois-ci et c’est très étrange… Peut-être que j’appréhende moins la « sanction » puisqu’on sait aujourd’hui, qu’on ne peut plus se fier aux ventes physiques. Le disque est devenu une carte de visite pour une tournée alors qu’avant, on était vraiment comme des chevaux de course ! (rires) Il y avait le Top 50, les scores, les classements, mais ce n’était pas une vie non plus…
C’est la première fois que ça m’arrive et je ne dis pas que je m’en moque, mais je ne me sens pas stressé, je suis plus serein et ça fait du bien… En fait, je pense que c’est la maturité… J’ai pris de la distance, je n’ai rien à prouver, j’ai fait 15 albums et j’ai juste envie de m’exprimer.
Le fait aussi d’être sur un opus plus intime et personnel permet sûrement de se délester du superflu…
Dany Brillant : Oui, je crois que Seventies est très thérapeutique, car j’y aborde des thèmes qui me tiennent à cœur et j’y rends hommage à certains de mes proches. Merci Maman est évidemment dédiée à ma mère qui me l’avait commandée ! (rires) Après avoir vu passer celles sur ma fille, ma femme et mon père, elle désirait avoir sa chanson ! (rires) La mère, c’est le fondement de tout donc c’était important de la remercier de s’être battue pour nous…
Et puis, je l’ai écrite dans un contexte très spécial, quand mon frère était malade… J’ai eu envie de parler de mes proches, sûrement parce que je trouve que la famille est une valeur très seventies.
J’entends maintenant que les noyaux sont explosés, que les gens ne mangent pas ensemble et regardent des séries dans leurs chambres alors que quand j’étais jeune, c’est tout bête, mais il n’y avait qu’une télé. Le soir, on se réunissait à table pour échanger, se raconter sa journée et regarder quelque chose, ensemble. Pour moi, c’est ça l’image de la famille dans les années 70. Beaucoup de films – comme dans le cinéma de Claude Sautet – avaient pour thème ce microcosme avant que celui-ci n’éclate en vol et se fissure. J’avais besoin de revenir à ce socle rassurant, à cette base qui donne assez de force pour affronter la vie.
Je valide complètement le texte de Je préférais comme on s’aimait avant…
Dany Brillant : Je suis persuadé qu’il n’y a rien de plus beau que la vraie rencontre, celle qui nous surprend et qui crée un storytelling. On se souviendra toujours des regards qui se sont croisés pour la première fois et c’est magnifique ! Sur des applis de rencontres, on détaille la « marchandise » et on choisit sur catalogue ? C’est affreux, il n’y a plus de rêve, pas de romantisme… C’est ça qui me gêne là-dedans, cette absence de coup de foudre, de hasard…
Les relations se consomment et se comptabilisent…
Dany Brillant : J’en parle aussi dans la chanson Internet et c’est vrai que tout le monde a une pression folle ! Le nombre de contacts, de likes, de vues… Les gens ont en permanence le nez rivé sur le compteur, même sans rien avoir à « vendre » ! Quand on était jeunes et qu’on voulait voir nos copains, il y avait une démarche à faire et un petit suspense à la clef ! (rires) Il fallait se déplacer, passer à l’improviste, tomber sur les parents, négocier… Ça se méritait d’aller faire un tour ! (rires) Et surtout, on ne savait pas ce que l’autre avait fait avant, on avait des trucs à se raconter, on était dans l’instant et on ne se scrutait pas par réseaux interposés pour se comparer. En plus de l’altération de la qualité des échanges, nos outils font naître la jalousie, la frustration et, parfois, la violence…
Dans Seventies, il y a un regard assez acéré sur la société, contrebalancé par une musique tellement joyeuse qu’elle nous laisse penser que tout peut encore s’arranger…
Dany Brillant : Écoute, je suis désespérément optimiste et je prends toujours comme base 68. C’était une révolution contre le patriarcat, le général de Gaulle et la société de consommation parce que les gens – les jeunes en premier lieu -, n’en pouvaient plus. Je pense qu’un jour, nous aussi, on se révoltera car on étouffe de plus en plus. En revanche, on s’en prendra à un pouvoir qu’on a nous-mêmes créé… La vraie puissance en place aujourd’hui, c’est Google, Apple ou Facebook… C’est ce qui décide de ce qu’on commande à manger, de qui on va épouser, c’est ce qui nous incite à ne plus bouger parce qu’on a accès à tout depuis chez nous… C’est oppressant et stressant alors que ce sont quand même les soixante-huitards de la Silicon Valley qui ont inventé Internet en rêvant de partager librement des connaissances avec le monde entier… L’outil nous a tellement dépassés qu’il nous a rendus addicts, voire esclaves… Un jour, ça va péter, c’est sûr.
Et avec tout ça, Dieu a besoin des hommes pour qu’ils arrêtent de tout gâcher…
Dany Brillant : C’est ça ! Rien ne sert de prier Dieu en permanence si on passe notre vie à tout foutre en l’air ! Il se moque de nos supplications et elles ne sont pas un remède magique. Je suis très croyant, mais selon moi, Dieu a créé un monde en nous choisissant comme partenaires afin qu’on accomplisse notre part, qu’on avance, qu’on en prenne soin et qu’on le fasse évoluer.
Bien sûr en cas de décès ou de maladie, la prière aide à tenir le coup, mais si Dieu a décidé que c’était fini, c’est fini. Pour mon frère, j’ai prié en permanence, mais il est quand même parti… J’ai une vision « active » de la spiritualité, car j’estime que l’homme n’est pas asservi à la religion, mais qu’il a un rôle à jouer. Croire ce n’est pas contempler, méditer sur du vide, quémander et attendre qu’un miracle se produise.
Dire ce qu’on pense est un des seuls avantages quand on avance en âge…
Dany Brillant : Complètement ! (rires) Quand on vieillit, on réalise qu’on ne craint pas grand-chose à exposer publiquement ses convictions, et tant mieux parce que c’est vraiment jubilatoire de pouvoir l’ouvrir ! Qu’est-ce qu’on risque ? De déplaire à quelqu’un ? Ce sera toujours le cas de toute façon.
Je m’en fous de plaire, ce qui m’anime c’est de m’exprimer, de communiquer. Après, c’est vrai qu’on est dans un monde où l’on cherche le consensuel et où l’on atténue les propos, ne serait-ce que pour passer à la télé. C’est en partie pour ça que je trouve le cinéma de moins en moins bon. Avant, on avait des films magnifiques de Claude Sautet, de Chabrol ou de Truffaut, de grands artistes qui faisaient des œuvres. Maintenant, on n’a plus que des comédies à la con pour que ce soit « vendable » aux chaînes de télé qui veulent des productions grand public et passe-partout.
Donc le message et l’artistique baissent, car il ne faut pas que ça fasse de vague.
Quand j’étais jeune, je souhaitais évidemment avoir du succès, avec mon truc à moi, sans avoir une personnalité d’emprunt. J’ai chanté pendant des années la légèreté et la joie de vivre, mais désormais, j’aimerais capter le public pour d’autres idées. Ça me ferait plaisir bien que je ne sache pas si c’est ce qu’il attend de moi… On verra bien !
Seventies n’est léger qu’en apparence, car les textes sont profonds, critiques et actuels…
Dany Brillant : Je voulais vraiment qu’il y ait du fond, que ce soit un album plus sociétal que les précédents. Pour la musique, je me suis inspiré des univers de James Brown et Aretha Franklin parce que c’était gai. Même si ces grands artistes de soul chantaient pour défendre les droits civiques des Noirs qui étaient extrêmement maltraités dans les années 60 aux États-Unis, ils le faisaient de façon festive. Ce que j’en ai retenu, c’est qu’il faut apprendre à danser sur ses problèmes si on veut les combattre.
Un album conçu comme une pochette surprise…
Dany Brillant : Je l’ai imaginé comme un cheval de Troie en effet. On rentre avec dans la citadelle et une fois à l’intérieur, on diffuse les messages… Je souhaite que Seventies touche les gens et qu’il leur parle, mais dans tous les cas, je suis heureux de l’avoir fait. L’écriture a été très fluide et rapide, comme si les mots avaient mûri en moi, comme si c’était le bon moment. Parfois, tout s’aligne et ce sont les chansons qui te cherchent plus que tu ne cherches l’inspiration. C’est très pirandellien, mais j’adore cette idée que tout rêve a besoin d’un rêveur…
© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson pour Le Mensuel / Photos Thomas Braut
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