COUPS DE COEUR
Alice Pol en interview pour ses polars « Coup de pelle » et « En eaux vives »
« Ce qui me passionne, ce sont les tréfonds de l’âme humaine… » Alice Pol
Bien qu’on la connaisse évidemment pour ses rôles au cinéma et qu’elle ait fait le déplacement à la Fnac de Cannes pendant le festival consacré au 7ème art, la pétillante Alice Pol n’est pas venue en tant que comédienne… À la tête de deux polars (Coup de pelle paru en mai 2023 et En eaux vives le 16 mai dernier), l’auteure y a façonné un personnage singulier, angoissé mais d’une fraîcheur folle qui n’est pas sans rappeler l’humour et la simplicité de sa créatrice. Dans un style énergique, rythmé et étonnamment drôle, Alice Pol dévoile les pensées de Charlie, une enquêtrice souvent en roue libre mais animée d’une volonté féroce de sauver son prochain, en compagnie d’une équipe improvisée dont elle se serait bien passée…
Alice Pol en interview pour ses romans Coup de pelle & En eaux vives
interview / littérature / lecture / roman / thriller
- En eaux vives : paru le 16 mai 2024 chez Robert Laffont / 304 pages / 20.00€ / ️Livre disponible ici !
- Coup de pelle : paru le 11 mai 2023 chez Robert Laffont / 324 pages / 20.00€ / ️Livre disponible ici !
Morgane Las Dit Peisson : À Cannes mais pas pour du cinéma, pour ton second roman… Tu écris depuis toujours, ça a été ton 1er mode d’expression ?
Alice Pol : C’est joliment dit et c’est vrai, ça a été mon tout premier mode d’expression. J’ai d’ailleurs retrouvé mon carnet intime en faisant du rangement (ce qui n’arrive pas si souvent…) mais en le relisant, je me suis aperçue que ce n’était pas exceptionnel ! (rires) Heureusement, j’ai progressé, j’ai écrit ma première pièce de théâtre à 18 ans et c’est grâce à elle que j’ai percé comme comédienne. L’écriture a toujours eu une place prépondérante aussi bien dans ma tête – pour y faire le tri (rires) – que dans ma vie artistique…
Deux polars sont parus…
Au départ, je n’avais pas vraiment de volonté d’en écrire. En fait je note régulièrement mes délires et je vais le plus loin possible sans me mettre de barrière. Je suis dans une liberté totale puis je « range » tout ça. Il n’y a jamais d’idée très concrète au début, c’est plutôt un « état ». Je laisse les choses me parvenir et c’est pourquoi c’est très compliqué pour moi de condenser ma pensée. Ensuite, je vois si des choses se raccordent et si oui, je commence à intellectualiser un peu plus et à retravailler l’ensemble, avec l’envie de semer les lecteurs sans qu’il y ait d’incohérences… Mon but, c’est de les empêcher de dormir – avec douceur et humour bien sûr – à force de leur faire émettre des hypothèses ! (rires)
Il y a les enquêtes mais avant tout, il y a ce personnage de Charlie…
C’est vrai que j’ai voulu que les gens soient immergés dans sa psyché à elle pour ressentir les choses comme elle, avoir peur comme elle, se questionner comme elle, trouver un truc bizarre et drôle comme elle.
C’est le fait d’incarner des personnages qui t’a poussée à la façonner ainsi ?
C’est réellement l’amour des mots qui a précédé cet intérêt pour les protagonistes. Jeune, c’était compliqué à l’école pour moi en dehors de la dissertation, de la poésie et de la lecture qui étaient de vrais moments de liberté et d’évasion. En réalité, quand j’ai découvert le pouvoir des mots, je ne m’en suis plus jamais passé. Même quand j’ai pris des cours de théâtre par exemple, c’était avant tout pour la beauté des mots, des monologues, des dialogues. Je pense que le jeu n’est arrivé que grâce à ça…
Un personnage criblé d’angoisses mais qui a énormément d’humour… Dès les premières pages d’En eaux vives, elle est en sérieuse difficulté mais arrive à nous faire rire…
Ça me fait très plaisir parce que c’est vraiment comme ça je la ressens cette Charlie… Je crois qu’elle voit la comédie dans le drame et le drame dans la comédie, c’est à dire qu’elle n’est jamais au bon endroit. Elle ne peut pas s’empêcher d’imaginer les pires situations et de créer de la tragédie quand tout va bien mais elle fait également l’inverse ! Pour tenir le coup dans les pires moments, elle voit le comique de la situation… C’est comme si son cerveau tentait de se réguler en permanence. Je crois que sur ça, elle est un peu comme moi, il y a un trop plein dans sa tête et ça part un peu dans tous les sens. Une dame m’a dit qu’elle trouvait que Charlie pensait tout ce qu’on aurait honte d’imaginer et c’est ça qui est jouissif dans la lecture ! (rires)
C’est aussi une fausse solitaire que la vie rattrape en permanence…
Exactement, elle avait cherché à s’isoler en montagne dans Coup de pelle mais ça n’a pas duré longtemps ! (rires) Sans être misanthrope, elle a du mal avec la vie sociale, c’est compliqué pour elle de se sentir à l’aise avec un groupe mais, malgré tous ses efforts, la vie la poursuit ! Alors qu’elle n’a pas spécialement envie de passer trop de temps avec Marc (son binôme), celui-ci lui flanque dans les pattes sa fille adolescente, qui adore Charlie et qui la colle un peu trop à son goût ! (rires) Elle a la sensation que tout le monde empiète et prend trop de place… Le voisin, le vieux monsieur – Boniface – qui se passionne pour les enquêtes et qu’elle hésite à faire entrer dans sa vie parce qu’il est âgé et qu’elle a peur de souffrir le jour où il mourra… En fait, ce n’est pas qu’elle n’aime pas les autres, c’est qu’elle angoisse à l’idée de s’y attacher.
Je ne veux pas qu’elle te ressemble absolument mais je trouve que vous avez toutes les deux la même liberté de ton…
Ce n’est pas faux ! (rires) En revanche, je trouve qu’elle se tient mieux que moi ! (rires) Elle, c’est dans sa tête que ça divague, que c’est sans fioriture et de l’extérieur, elle ne laisse pas grand-chose paraître… Tandis que moi, avec l’âge, j’ai l’impression que ça s’empire ! (rires) Et en même temps, c’est l’avantage des années qui passent ! Quand tu es jeune, tu te retiens tout le temps, tu complexes pour rien, tu fais attention, tu donnes le change… C’est une perte de temps ! Je suis de plus en plus sans filtre, je m’en aperçois mais je dois reconnaître que c’est libérateur.
Charlie a compris qu’il n’y avait pas de temps à perdre alors elle est pressée de tout, de réfléchir et d’enquêter donc toute personne qui vient se mettre en travers de son chemin en la distrayant, ça l’énerve ! Pourtant, bizarrement, elle ne fait jamais la gueule mais elle a hâte, intérieurement, que ça se termine… (rires)
Une écriture très moderne, fluide, directe et qui se met rapidement en bouche…
Je pense que c’est encore plus vrai dans le 2ème, En eaux vives. J’ai compris que ce qui compte le plus, c’est la singularité, l’instinct d’écriture. Bien sûr, il faut corriger des choses mais si tu retravailles trop ton style, tu inhibes ta création. J’essaye de continuer à écouter ce que mon cœur et mon corps me dictent et ça donne en effet sûrement un phrasé qui ressemble un peu au mien.
Dès Coup de pelle, ton 1er roman, Charlie était un personnage abouti…
C’est ce que mon attachée de presse chez Robert Laffont m’a dit, elle la trouvait « maturée ». Je pense que Charlie est une somme de réflexions, de choses de la vie, d’observations de gens ou de rôles que j’ai croisés… Comme si tout s’était retrouvé catalysé à cet endroit. Je ne sais pas comment ça s’est déroulé mais à un moment, un peu comme par magie, Charlie a pris vie… Et maintenant qu’elle est là, je ne veux plus cesser d’écrire car j’ai bien compris que c’est comme un muscle. Plus tu écris, plus c’est facile et naturel, plus ton personnage est crédible… C’est comme la mémoire, à force d’apprendre des textes, elle se développe et ça te demande de moins en moins d’effort.
Un intérêt particulier pour le suspense ou plus pour la complexité de l’âme humaine ?
J’aime bien les séries et les films policiers mais ce qui me passionne vraiment, ce sont en effet les tréfonds de l’âme humaine et le polar permet de les étudier… Je suis fascinée par les enquêteurs et de manière plus générale, par tous ces gens qui épousent le malheur des autres que ce soit dans le milieu médical, social ou dans le domaine des secours. Je me suis toujours demandé comment ils faisaient pour couper le soir en rentrant chez eux, comment ils se régulaient et se « nettoyaient » de l’horreur, de la souffrance et de l’injustice rencontrées dans la journée…
Charlie, avec son tempérament un peu singulier et décalé me permet cette réflexion sur l’humanité et sur la noirceur de certaines âmes. L’aspect psychologique me passionne beaucoup plus que l’hémoglobine ou les données scientifiques. Ce qui m’intéresse, c’est comment détecter le mensonge, aller voir derrière les apparences, comprendre ce qui peut faire basculer une existence…
© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson à la Fnac de Cannes pour Le Mensuel / Photo Julien Vallon / juin 2024
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