COUPS DE COEUR

Joël Dicker en interview pour son nouveau roman « Un animal sauvage » paru chez Rosie & Wolfe

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« Je replonge toujours… » Joël Dicker

 


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Aujourd’hui à la tête de sa propre maison d’édition – Rosie & Wolfe -, Joël Dicker n’en a pas pour autant délaissé l’écriture… Auteur à succès de bestsellers écoulés à plus de 15 millions d’exemplaires à travers le monde (ses ouvrages ont en effet été traduits en 40 langues !), la réussite de l’écrivain suisse qui n’a même pas encore atteint la quarantaine donne le vertige ! Pourtant à la tête du thriller francophone le plus lu de ces 10 dernières années – La vérité sur l’affaire Harry Quebert -, Joël Dicker affiche une humilité et un calme quasi olympien qui pourrait presque laisser penser qu’il n’a pas bien saisi l’ampleur du phénomène qu’il est lui-même devenu… De retour, deux ans après son précédent ouvrage, avec Un animal sauvage, l’auteur nous plonge instantanément dans un thriller psychologique haletant où, jusqu’à la dernière page, toutes les hypothèses sont permises !

 

 

 

 


 

 

Joël Dicker en interview pour son roman Un animal sauvage

interview / littérature / lecture / roman / thriller

 

 


 

 

 

Morgane Las Dit Peisson : Le temps a passé vite depuis notre dernière rencontre pour L’affaire Alaska Sanders

Joël Dicker : Le temps passe à une vitesse folle mais le rapport qu’on entretient avec lui est différent dans l’écriture parce que quand on est en train d’écrire, on est pris par son texte et on est un peu décalé… C’est un peu comme s’il y avait la temporalité de la « vraie » vie et une seconde, celle du livre. C’est pour ça que les parutions des romans sont des marqueurs parfois brutaux puisque tout à coup, ils nous font réaliser que le temps a passé. Déjà deux ans que L’affaire Alaska Sanders est sorti, c’est fou !

 

Dès qu’un ouvrage est fini, on se relance instantanément dans le suivant ? 

À chaque fois, c’est la même histoire ! (rires) Quand je termine un livre, je me dis que plus jamais je n’écrirai mais je replonge toujours… C’est beaucoup de sacrifices parce que dès que je me remets dans un livre, il occupe ma tête, mon esprit, mon temps, il est partout, tout le temps. Et quand il est enfin fini, que je l’ai corrigé et relu maintes et maintes fois, je réalise la masse de travail que ça a représenté et je me dis que ce sera le dernier ! Puis, au bout de dix jours, ça revient, j’ai une idée qui surgit et qui m’obsède à nouveau ! (rires)

 

Qu’est-ce qui s’impose en premier ? Une trame, un personnage ?

Je crois que c’est plus l’envie de raconter une histoire… Malgré l’investissement personnel que ça demande, c’est un tel plaisir de retrouver ces sensations qu’on ne peut qu’y céder. Je comparerais presque ça à de la course à pied où l’on sait que le moment plaisant existe mais qu’il n’est pas immédiat… Il faut sortir, il fait peut-être moche ou froid, il faut se préparer, on est fatigué… Puis on se motive, on s’étire, c’est laborieux mais à un moment on est chaud, on prend le rythme et tout à coup, on se sent bien. Ce moment de grâce est tellement agréable qu’il valorise et justifie les souffrances ou le temps passé… Dans l’écriture, il y a un peu de ça, il y a tout ce travail et tous ces sacrifices, mais quand vous avez l’histoire et que vous êtes en vitesse de croisière, vous oubliez tout ! 

Moi, en plus, je n’ai pas de plan donc j’ai cette surprise qui m’attend au bout, comme une récompense. Je sais qu’à un moment donné, si je travaille bien, tous les points de la piste vont s’aligner et tout va se dérouler tout seul… Cette phase est un temps court car sur deux ans de travail, elle ne dure peut-être que trois ou quatre mois, mais c’est une période de pur bonheur et ça justifie tout le reste.

 

 

Une écriture qui débute tôt le matin…

Je me lève tôt entre autres parce que je me teste… Si à 4 heures du matin, même fatigué, je me demande ce qui va se passer dans l’histoire ce jour-là, c’est que je suis sur la bonne voie. Pas nécessairement sur la piste du succès puisqu’on ne peut pas le prédire, mais sur celle d’un plaisir que parfois, comme tout le monde, il m’arrive d’oublier. Un roman, c’est généralement deux ans de travail donc prendre plaisir à le faire est essentiel. Même si un livre venait à ne pas marcher, personne ne pourrait me reprendre ce bonheur-là…

 

Vous disiez ne pas avoir de plan d’action, ça signifie qu’il n’y a pas de fil conducteur et que, comme dans l’œuvre pirandellienne, les personnages prennent le pouvoir ?

(rires) C’est un peu ça ! Comme dans la vraie vie, je n’ai aucune idée de ce qui va se passer donc l’histoire se construit peu à peu… Bien sûr, je suis aux commandes mais elle m’échappe toujours, prend des détours ou une direction que je n’avais pas anticipée.

Quant aux personnages, ils vivent à un moment donné une vie propre qui se manifeste en dehors du temps d’écriture. C’est personnel mais je crois qu’un personnage réussi, c’est un personnage qui m’accompagne et auquel je pense quand je n’écris pas. S’il « me suit » en rendez-vous ou en vacances par exemple, c’est qu’il existe vraiment, comme s’il vivait en parallèle ou en tous cas à travers moi… À l’inverse, quand je réalise que j’en ai oublié un pendant un moment, c’est qu’il n’est pas utile à l’histoire et que je dois le « licencier » ! (rires) 

 

 

Le succès et les millions de lecteurs arrivent à ne pas influer sur l’écriture ?

Ces chiffres sont impressionnants mais un peu abstraits… Comparé à un artiste qui se produit dans des salles, je ne peux pas voir tous les gens qui lisent mes romans. J’ai la chance d’en rencontrer quelques-uns en librairie, ça peut aller de 300 à 900 personnes et c’est déjà beaucoup mais ça reste des proportions quantifiables, loin du gigantisme des ventes… Cette distance qui s’installe est certainement salutaire car quand je retourne à ma table de travail à Genève, chez moi, face à moi-même, loin de tout ce succès, j’arrive à me détacher de ces chiffres pour me concentrer uniquement sur l’essentiel : « qu’est-ce que je vais faire maintenant ? »…

Il y a toujours ce questionnement et ce doute qui me nourrissent et me poussent à avancer, en espérant à chaque fois être dans la bonne direction…

 

L’histoire d’Un animal sauvage se passe, comme pour L’énigme de la chambre 622, chez « vous », à Genève…

Écrire sur Genève était d’abord un piège car c’est la ville de ma réalité et il fallait que j’en fasse une ville de fiction. C’est une difficulté que j’ai surmontée depuis 622 et c’est même devenu un amusement. C’est un petit clin d’œil et j’aime bien raconter l’endroit où je vis. En revanche, je ne sais pas planter un décor dans un lieu que je ne connais pas du tout car j’aurais peur que ce soit artificiel. Quand je parle des États-Unis, je ne m’attaque qu’à la partie que je connais bien pour y avoir passé beaucoup de temps. Quand j’écris, j’y retourne par l’esprit et c’est sympathique aussi. 

Pour moi, un bon décor de roman qui apportera de la crédibilité à votre fiction doit être empreint de l’atmosphère des lieux… 

 

 

Les décors sont réels contrairement aux personnages…

En effet, aucun de mes personnages n’est la reproduction de gens que j’ai connus, ils naissent tous dans mon esprit mais inconsciemment, forcément, ils doivent tous posséder quelque chose des différentes rencontres que j’ai faites et expériences que j’ai vécues…

S’ils sont réalistes, c’est peut-être à cause de ça mais je crois surtout que c’est parce qu’ils sont proches de nous. Ce sont des personnages qui, au fond, sont très ordinaires, avec tout l’extraordinaire que ça comporte : des secrets, des envies, des fantasmes, des regrets. Ils racontent quelque chose de nous et je crois que c’est cette connexion qui les rend réels aux yeux du lecteur. Plus que la description que j’en fais à l’écriture, un personnage de roman est juste lorsque le lecteur se reconnaît en lui… 

 

 

Un animal sauvage a encore une fois quelque chose, peut-être par ses flash-back permanents, de cinématographique. En lisant, les scènes s’imposent…

Je souris parce qu’on me dit souvent que mes livres sont cinématographiques mais alors qu’on vit dans un monde où l’image est omniprésente, seul un de mes romans a été transposé à l’écran… En réalité, l’adaptation est très difficile. En lisant, on voit probablement très vite toutes les images pourtant, je décris à peine les personnages et très peu les lieux… Aujourd’hui les lecteurs sont très habitués à l’image donc ça leur vient naturellement. En revanche, en production, ce serait plus complexe… Un animal sauvage débute avec trois prismes : un braquage à Genève qui commence, le chronomètre est enclenché pour 7 minutes et paf ! On est 20 jours avant, on rencontre Sophie qui boit un café à 6h du matin à la fenêtre de sa cuisine. Depuis la haie, son voisin l’observe sans qu’elle ne le sache et en même temps, arrive en voiture dans la ville un personnage qui va mettre le feu aux poudres. C’est, je crois, relativement clair quand on le lit ou qu’on le raconte mais à filmer, c’est une autre affaire ! (rires)

 

Chaque lecteur devient un petit réalisateur…

L’humain aime créer et je crois que c’est ça qui me passionne ! Si je vous dis de penser à un couple qui fait son jogging en bord de mer, vous allez instantanément avoir une scène en tête alors qu’une autre personne imaginera autre chose. Ce couple sera quadra et courra en plein après-midi sous le soleil du Midi pour l’un ; tandis qu’il sera octogénaire, sous la pluie bretonne et à la tombée de la nuit pour l’autre ! (rires) Notre cerveau est un outil extraordinaire et la lecture favorise le développement de son imaginaire de façon absolue, ce qu’aucun autre médium – télévision, cinéma, téléphone – ne permettra jamais…

 

 

Échanger avec vos lecteurs et confronter vos points de vue vous surprend toujours ?

Sincèrement oui ! Je suis toujours surpris et heureux de voir qu’ils s’approprient un de mes livres et de découvrir les images et les impressions que la lecture leur génère car quand ils l’ont dans les mains, plus rien ne m’appartient. Mais ce qui me frappe le plus, au-delà de leur interprétation, c’est de voir à quel point j’ai la chance d’avoir un lectorat très large, de tous âges et de tous profils. Il y a des gens qui lisent beaucoup (presque un livre par jour !), d’autres moins, il y a des gens qui ont fait des études et d’autres pas, mais il y a aussi des origines, des convictions et même des religions très variées et pourtant, tous se retrouvent à apprécier le même roman… Je trouve ça dingue ! 

C’est la vraie force de la littérature… Elle nous permet – dans un monde où l’on aime bien se détester et où l’on a beaucoup de mal à supporter nos différences – de nous retrouver et de nous comprendre.

 

Lecteur, auteur mais aussi éditeur à travers Rosie & Wolfe…

Ça se passe toujours aussi bien et j’en suis ravi car ça me permet d’être encore plus proche de mes lecteurs en leur proposant certes mes ouvrages mais surtout d’autres romans pour lesquels j’ai eu des coups de cœur. J’aime beaucoup cette facette de mon métier !

© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson à Cultura Mandelieu pour Le Mensuel / Photos Anoush Abrar & Marine Mossot / mai 2024

 

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