CINÉMA
Emmett Till ou l’insoutenable injustice du meurtre d’un adolescent noir
« Emmett Till » de Chinonye Chukwu
cinéma / biopic / drame
- 08 février 2023 / sortie nationale en salle / avec Danielle Deadwyler, Jalyn Hall, Whoopi Goldberg
« Emmett Till » : Le visage d’une révolution
Moins connu en Europe que Rosa Parks ou Martin Luther King, Emmett Till n’en est pas moins une figure emblématique du Mouvement Américain des Droits Civiques et de l’égalité entre Blancs et Noirs aux Etats-Unis. Le film Emmett Till, le visage d’une révolution sort en salle le 08 février pour (re)révéler son histoire tragique au plus grand nombre.
Si seulement Emmett n’avait été victime que de cette injustice de reconnaissance médiatique… ! Car c’est bien la mort de cet adolescent noir, sauvagement torturé par deux hommes blancs, qui en a fait un des visages du racisme anti-noirs dans les Etats-Unis des années 50.
Un visage, c’est peu dire, puisqu’après son lynchage, sa mère Mamie Till-Bobley s’est battue pour que le cercueil de son fils soit réouvert des jours durant et que soit révélé le supplice de son enfant. Plus de 50 000 personnes ont pu découvrir, horrifiés, le visage de l’adolescent méconnaissable, battu à mort pour avoir prétendument dragué, sifflé peut-être, une femme blanche dans l’État du Mississippi. Parmi eux, plusieurs journalistes et photographes immortalisèrent l’horreur pour l’exposer aux yeux du monde.
Loin d’être un film sensationnel, haranguant les foules en « profitant » de la violence des faits, Emmett Till, le visage d’une révolution aborde cette tragédie en se faisant écho du combat d’une mère. Dépassant son propre drame, la jeune femme se saisit du pouvoir des images pour mobiliser les esprits. Corps et âme, elle se lancera dans une bataille quasi sans espoir : faire condamner des hommes blancs pour le meurtre d’un enfant noir. Le procès n’est qu’une sombre farce, les coupables intégralement blanchis. Mais une prise de conscience semble naître : quelques mois après la mort d’Emmett, Rosa Parks refusera de s’asseoir dans le compartiment réservé aux Noirs dans un bus de Montgomery ; en 1963, Martin Luther King prononce son mémorable discours I Have a Dream le jour « anniversaire » du meurtre de l’enfant. Aujourd’hui encore, l’histoire d’Emmett Till redevient d’actualité lors d’évènements opposant Noirs et Blancs aux Etats-Unis, la plaie étant toujours béante…
Ainsi, le film écrit et dirigé par la réalisatrice nigériane-américaine Chinonye Chukwu, est plus une œuvre sur Mamie Till qu’un biopic sur Emmett. La cinéaste a été révélée avec son film Clemency sorti en 2019, dans lequel elle traitait déjà de l’histoire vraie d’une surveillante de prison devant accompagner un condamné à mort jusqu’à son exécution. Des sujets puissants et lourds qu’elle parvient à mettre en images grâce à des rôles profonds et des acteurs au jeu subtil et incarné. Elle ne se concentre pas sur les morts mais sur les vivants qui gravitent autour, domptent la violence de leurs sentiments tout en menant leur propre combat. Avec cette œuvre, elle sera la première femme noire à être récompensée du Grand prix du jury au festival du film de Sundance de 2019.
Avec Emmett Till, sa voix rejoint celles d’autres artistes engagés qui ont déjà œuvré pour la reconnaissance publique de l’histoire du jeune homme, comme Bob Dylan et les poètes Aimé Césaire et David Diop, entre autres…
© Claire Thiebaut pour Le Mensuel / Photo Orion Releasing LLC / Article paru dans Le Mensuel n°439 de février 2023
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