CONCERT
Ibrahim Maalouf en interview pour sa tournée et son album « 40 Mélodies »
« Il n’y aucune évolution possible sans mélange et métissage ! » Ibrahim Maalouf
Producteur, compositeur de musiques pour autant de drames que de comédies, de biopics et de documentaires, de bandes-son de spectacles comme Monsieur X avec Pierre Richard ou de morceaux aux côtés d’artistes auprès de qui on ne l’attendait pas forcément – Joyce Jonathan, Grand Corps Malade et dernièrement Flavia Coelho pour El Mundo – et surtout talentueux trompettiste ; Ibrahim Maalouf a su (non sans persévérance) s’affranchir des codes pour gagner sa liberté musicale. Passionné, curieux, créatif et ouvert d’esprit, il a, au fil des années, séduit un public qui ressemble en tout point à son travail : dense, intergénérationnel et sans frontière.
🎟️ Ibrahim Maalouf en concert avec « 40 Mélodies »
- 23 mai 2022 / Espace Léo Ferré / Monaco / 20h30 / 42.50€
- 15 juillet 2022 / Nice Jazz Festival / Place Masséna / Nice / 20:00 / 45.00€
Morgane Las Dit Peisson : Vous semblez vivre à un rythme plutôt effréné…
Ibrahim Maalouf : J’ai cette chance en effet de voir plein de belles opportunités s’offrir à moi dans des domaines qui me passionnent comme le cinéma et la chanson en plus de mes concerts « habituels » alors le rythme est parfois assez stressant mais tant que le plaisir est là, le reste n’a pas d’importance !
C’est le plaisir qui atténue la fatigue ?
Dans mon cas, oui. Partir en tournée c’est merveilleux mais il faut bien reconnaître qu’au bout d’un moment, il y a une fatigue physique qui s’installe… (rires) Si je tiens même dans les moments les plus épuisants, c’est grâce au public. C’est véritablement incomparable de se retrouver sur une scène avec des gens qui sont présents, intéressés, curieux, attentionnés, bienveillants et qui écoutent soigneusement les différentes propositions artistiques qu’on leur soumet. J’ai cette incroyable chance d’avoir un public très attentif et réceptif peu importe les projets dans lesquels je me lance alors c’est grisant !
Et comme si je n’avais pas déjà assez de chance, les équipes qui m’accompagnent sont formidables, dévouées et très engagées. Grâce à elles, je peux me délester d’une grande partie de mes responsabilités afin que je puisse me focaliser sur l’artistique.
« C’est un privilège d’avoir un public qui ressemble à 100% à la société dans laquelle je vis… » Ibrahim Maalouf
Une carrière plutôt incroyable pour un « simple » musicien (dans le sens « non chanteur »)…
J’avoue que je suis un peu spectateur de cette chose-là même si je suis extrêmement touché… Je dis souvent au public quand je suis sur scène que ce n’est pas « normal » ce qu’il se passe, c’est complètement fou ! (rires) Je suis trompettiste, pas chanteur de pop ou rappeur donc c’est vrai que je ne m’attendais pas à tant d’engouement de la part du public… C’est littéralement « extra » ordinaire alors je savoure pleinement cette chance ! Surtout quand je me rappelle les concerts que je faisais il y a 20 ans où il y avait 14 personnes dans une salle de 300… (rires) C’est dingue de voir le chemin qu’on a parcouru avec mes musiciens et surtout de me rendre compte que le message que j’avais envie de transmettre est passé.
J’ai toujours rêvé de proposer une musique spécialisée et populaire à la fois. Pour moi, le terme « populaire » n’a jamais été péjoratif car j’ai grandi en regardant des concerts de Michael Jackson, de James Brown ou d’Aretha Franklin qui jouaient des musiques qui drainaient du monde. J’aime cette cohésion, j’adore voir les gens kiffer et il y a autre chose que j’aime observer dans le public qui me suit, c’est qu’il n’y a pas de communautés. Il n’y a pas une tranche d’âge spécifique, une communauté libanaise ou des fanatiques de jazz, il y a vraiment de tout et je crois que c’est ça qui me touche le plus… Il y a des gens qui n’aiment pas particulièrement le jazz, des ados, des gens âgés, des enfants, de jeunes parents, il y a toutes les catégories socio-professionnelles et toutes les cultures et ça, c’est quelque chose que je chéris et que je soigne. C’est un privilège d’avoir un public qui ressemble à 100% à la société dans laquelle je vis…
« La musique que je fais aujourd’hui doit énormément à cette éducation française… » Ibrahim Maalouf
Une richesse musicale due à l’éducation ?
L’état d’esprit dans lequel j’ai grandi était extrêmement cosmopolite et très ouvert sur le monde. Quand j’étais petit, mon père m’emmenait souvent sur une sorte de falaise près du village où l’on vivait et lorsqu’on regardait la mer, il me confiait qu’enfant, il rêvait déjà de partir et voyager… J’ai donc grandi avec cette vision-là, un peu nomade, de la vie mais aussi de la culture. J’ai rapidement compris qu’on n’était pas « condamné » à vivre là où l’on était né. Je crois que quand on réalise qu’il n’y a pas de fatalité à pousser là où l’on a été planté, on devient curieux de ce qui nous entoure, on cherche à le découvrir et on s’en imprègne inconsciemment.
On est dans un monde multiculturel où les frontières – à part en ce moment – tendent à disparaître afin que les peuples réussissent à vivre ensemble. En tous cas, c’est cette éducation qui m’a été donnée et je pense en effet qu’elle est la source même de ma musique !
Ça vient peut-être de mes origines libanaises, du privilège que j’ai de connaître plusieurs cultures mais je crois que c’est également une façon très française de voir la vie. On a la chance, grâce à la République et à la laïcité, de pouvoir vivre ensemble, sur un même sol, avec des cultures différentes. La France a toujours valorisé les cultures africaines, asiatiques, orientales ou encore sud-américaines et je crois que la musique que je fais aujourd’hui doit énormément à cette éducation française.
Des créations empreintes de liberté… On est loin de n’avoir « que » du jazz et la palette semble infinie…
Je suis heureux que ma musique soit ressentie comme ça car en réalité, contrairement à ce que l’on croit, elle est parfois pleine de frontières qu’on tente d’abolir. Que ce soit dans la musique classique, le jazz, la chanson, l’electro ou le rap, dès qu’on se spécialise un peu, on découvre qu’il y a beaucoup de limites, de dogmes, d’interdits et d’obligations. Souvent les artistes s’imposent tout un paquet de codes dont ils pourraient se libérer – puisque le public est demandeur – mais le milieu dans lequel on évolue musicalement l’est beaucoup moins ! (rires)
À l’époque où j’étais au Conservatoire, on voyait d’un très mauvais oeil par exemple que j’aille suivre des cours de jazz ! (rires) Mais heureusement, on est nombreux à vouloir faire en sorte de mélanger les styles et les cultures car il n’y aucune évolution possible sans mélange et métissage.
J’adore l’architecture par exemple et je trouve qu’il n’y a rien de plus beau que le mélange entre l’ancien et le contemporain et dans la musique ou le cinéma, c’est pareil et c’est ça qui me passionne autant !
« On est là pour inventer et renouveler les genres ! » Ibrahim Maalouf
Une mixité qui reflète bien notre époque et qui, dans 40 Mélodies, en devient un portrait, un témoignage…
C’est exactement ça ! Pour moi, toute oeuvre artistique est une empreinte, une photographie d’une des facettes du monde dans lequel on est à un instant précis car la mission d’un artiste n’est pas de recopier sans cesse ce qui a déjà été créé dans le passé. On est là pour inventer et renouveler les genres. La musique n’est pas faite pour rester enfermée dans un musée… Elle est exactement comme nous, les êtres vivants ! On change, on évolue, on grandit, on vieillit et c’est un peu en effet ce que je voulais exprimer en proposant un album de 40 morceaux – complétés de 3 nouveautés – pour mes 40 ans, illustré de ce portrait de moi adolescent. Je ne suis plus exactement ce jeune homme, je suis son évolution et à mes yeux, la musique subit les mêmes transformations que nous…
Sur cet album, il y a vraiment un côté album photo qu’on feuillette sauf qu’à la place des images ce sont des mélodies qu’on entend. Toutes me rappellent des souvenirs que ce soit des musiques de films, d’albums que j’ai composés ou simplement aimés… En 40 ans, comme tout le monde, plein de moments marquants sont venus rythmer mon existence… De ma première fois sur scène à la naissance de ma fille, j’ai eu la chance de vivre trop d’expériences magnifiques pour ne pouvoir en préférer qu’une alors je les ai représentées en 40 musiques ! (rires)
« C’est presque un super pouvoir que mon père m’a légué ! » Ibrahim Maalouf
Une absence de limites dans la création héritée d’un père créateur d’une trompette à 4 pistons…
Cet instrument qu’il m’a transmis est l’héritage de toute sa créativité à lui. C’est une chance incroyable d’avoir un « outil » qui me permette de mélanger le jazz, les musiques latino-américaines, la pop et le rap à ma culture maternelle qui est la musique arabe. J’ai acquis la précision de la musique classique d’une part et l’absence de limites musicales d’autre part grâce à cette invention, c’est presque un super pouvoir que mon père m’a légué ! (rires) C’est pour ça que je parle très souvent de lui…
Un 4ème piston, ça change quoi ?
Ça change absolument tout ! Grâce à lui, le trompettiste peut accéder à une partie de la culture mondiale qui est complètement inaccessible sur une trompette normale. Les quarts de ton existent dans toutes les cultures du monde sauf dans la musique classique… Que ce soit le blues, les musiques africaines, arabes ou celles des Balkans ; toutes les musiques traditionnelles du monde sont exprimées avec des gammes et des modes qui sont basées sur des quarts de ton et, avant ce 4ème piston, ça n’existait pas sur la trompette…
© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson pour Le Mensuel à l’Espace Léo Ferré de Monaco
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