COUPS DE COEUR
Éléonore Bernheim en interview pour la saison 4 de « L’art du crime » sur France 2
Alors que l’équipe est en train de se remettre au travail pour tourner le prochain chapitre, L’art du crime fait son retour sur nos écrans avec sa 4ème saison composée de – seulement – 2 épisodes inédits ! Même s’il est toujours préférable d’opter pour la qualité plutôt que pour la quantité, il faut avouer qu’on n’aurait pas été contre l’idée d’en avoir un ou deux de plus pour nous accompagner tout le mois de mai… Deux volets donc à ne pas rater qui, en plus des comédiens principaux qui ont fait le succès de la série, accueilleront Stéphane Bern, Sara Mortensen et notre cher Bruno Solo !
Fidèles au concept qui a littéralement fait craquer autant le public français que les téléspectateurs du monde entier – la série est en effet regardée sur les 5 continents, des États-Unis au Japon en passant par le Mexique, la Grèce ou encore le Portugal -, les nouveaux épisodes – Le testament de Van Gogh et Danse de sang – nous plongeront une fois de plus dans un univers à la Da Vinci Code où art, mystère, histoire et enquête ne font qu’un ! Rencontre avec la solaire Éléonore Bernheim qui, aux côtés de Nicolas Gob, nous offre une partition délicate et pétillante en incarnant une historienne de l’art décalée, amoureuse (impossible de lui faire dire si Verlay et elle vont finir par conclure…) poétique et rêveuse !
« Je suis fascinée par les meurtres depuis que je suis toute petite ! »
Morgane Las Dit Peisson : L’art du crime revient pour une 4ème saison…
Éléonore Bernheim : C’est un mélange assez confortable de sérénité et d’excitation. La sérénité parce qu’on est arrivé à la saison 4 donc on sait que la série plaît et l’excitation parce que ce sont 2 supers épisodes ! D’ailleurs le « Lautrec » a eu le Prix du Public de la Meilleure Série au Festival de Luchon !
Le mot « art » impressionne souvent et pourtant il est quasiment un personnage de cette série…
Je n’ai jamais eu aucun doute sur la façon dont le public allait recevoir L’art du crime déjà parce que je savais que les pièces maîtresses n’était ni la culture ni les enquêtes mais le duo Chassagne / Verlay et la comédie dans le policier. Une fois qu’on accroche sur ça, on s’intéresse naturellement aux artistes qui sont évoqués de manière subtile. Je trouve que c’est toujours très bien amené car on découvre des bribes de l’histoire de l’art sans que ça ne soit jamais rébarbatif ! Chaque référence culturelle est imbriquée dans l’enquête et dans l’action mais échappe au cours magistral ! (rires)
Ça peut amener des téléspectateurs à s’intéresser à l’art…
C’est vrai qu’on a remarqué qu’une communauté de téléspectateurs assidus s’était formée et qu’au sein de celle-ci, on avait des témoignages de gens qui ne s’intéressaient pas du tout à l’art, qui y étaient hermétiques ou qui en avaient même un peu peur et qui nous disent que, grâce à la série et au personnage de Chassagne qui incarne la culture, ils y avaient pris goût. Parmi eux, il y a notamment des adolescents et des jeunes et ça, ça fait un plaisir fou car on se dit qu’on a rempli notre mission…
On est « mal » éduqué à l’art…
Il faut, face à l’art, se détendre. Là, c’est bien, ça le vulgarise sans l’amoindrir mais tout en le rendant accessible à tous. D’ailleurs, l’art est complètement accessible à tout le monde, c’est l’idée qu’on s’en fait, c’est la projection qu’on met dessus qui, à tort, nous impressionne ! Personnellement, L’art du crime m’a décomplexée sur le sujet ! (rires) Je crois que quand on rentre dans un musée, on s’en fait une montagne, on est silencieux, on a peur de ne pas comprendre, de ne rien ressentir devant une œuvre d’art, de manquer de références, en gros on a peur de passer pour un idiot alors que le propre de l’art c’est de provoquer une émotion, une réaction… On n’est pas tous sensibles à la même chose donc ce n’est pas grave de ne pas être en admiration devant la même chose que notre voisin ! Ce qui compte, ce ne sont pas les fois où on ne ressentira rien de spécial, mais ce sera la fois où on tombera sur l’œuvre qui nous procurera un sentiment, quel qu’il soit. Beauté, questionnement ou rejet, l’intérêt d’une œuvre n’est pas de pouvoir la décrire ou réciter la biographie de son créateur mais d’induire une réflexion…
J’ai un petit garçon qui adore la Joconde et l’égyptologie. À 8 ans, il aime ça simplement, sans pression, comme un enfant ! On va souvent au Louvre pour voir la fameuse Mona Lisa et hop, on repart ! (rires) Avant, je n’aurais jamais osé faire ça, le musée avait un côté trop sacré !
Beaucoup de séries policières sont proposées et se démarquent grâce à leurs personnages…
C’est vrai que la relation qui se tisse entre nos deux personnages est passionnante à jouer ! Au tout début de la série, Antoine Verlay – qu’incarne Nicolas Gob – est littéralement hermétique à l’art, voire presque allergique ! (rires) Il est dans l’expectative en voyant débarquer Chassagne, presque même dans un certain rejet et, au fil des épisodes, grâce à la pédagogie et à la personnalité de mon personnage, le regard qu’il pose sur elle a changé et il finit par s’ouvrir tant à l’art qu’au reste… C’est vrai qu’ils sont la clef de voûte de la série.
Dès la lecture du 1er scénario vous aviez senti que votre personnage avait cette richesse de jeu ? Florence Chassagne est émouvante, amusante, poétique et lunaire…
J’aime bien la vision que vous en avez… J’ai immédiatement aimé et vu le potentiel de ce personnage. Il y a énormément de choses que j’épouse chez elle même s’il y a quelques endroits où je ne m’y retrouve pas… J’ai de plus en plus de mal à cerner ce que je lui ai apporté et ce qui existait dès l’écriture car au fil du temps et des saisons (on est en train de répéter la 5ème…) on s’est un peu imbriquées et on s’accompagne mutuellement depuis 5 ans.
Il y a un fonctionnement très enfantin chez elle car elle marche avec le cœur comme peuvent le faire les enfants – l’enfance est son adresse -, ce qui fait que parfois elle n’a tellement pas de filtre qu’elle donne l’impression d’être à côté de la plaque et en dehors des codes du monde des adultes… Elle se prend donc souvent des murs mais c’est ce que j’ai trouvé si séduisant dès que je l’ai « rencontrée » !
C’est vrai qu’elle est lunaire et poétique avec ses rêveries mais je crois que même si elle nous semble un peu « perchée », c’est elle qui est dans le vrai ! On devrait tous rêver comme Chassagne le fait, d’ailleurs, en période de pandémie, ça nous permettrait d’ouvrir quelques portes vers des mondes merveilleux qui nous rendraient bien plus heureux ! (rires)
Ce que j’aime c’est qu’elle a un regard décalé sur ce qui l’entoure, elle est un peu comme connectée à un ailleurs mais ça ne la dérange pas du tout et à côté ça, étrangement, elle est très ancrée… Dans son domaine professionnel et dans son expertise, elle est là, elle est solide, elle est complètement axée ! C’est vraiment ce mélange des deux qui m’a plu.
Ça la rend hyper attachante, comme dans la scène où Antoine lui lit un certain texte pour avoir son opinion…
C’est amusant parce que c’est une scène que nous avons écrite tous les deux, Nico et moi… J’avais envie d’un moment un peu façon Le mariage de ma meilleure amie où Chassagne se serait mise à chanter et ça s’est transformé en cette scène de fin que je trouve superbe ! On s’est totalement emparés de nos personnages alors même si les auteurs écrivent 90% du scénario, ils se nourrissent de nous pour peaufiner de nombreux dialogues ou réécrire des scènes qu’on va étirer et enrichir. C’est ce qu’on est en train de faire en ce moment avec les textes de la saison 5 qu’on va commencer à tourner dans quelques jours…
Ce doit être un cadeau magnifique pour un comédien que de pouvoir façonner un personnage année après année, de lui offrir un vécu, une évolution et de le rendre presque « vrai »…
C’est tout à fait ça… Ils grandissent et vieillissent en même temps que nous et entre le début de la série il y a 5 ans et aujourd’hui, il s’est passé beaucoup de choses dans ma vie donc je ne peux pas l’incarner de la même manière qu’au début. Et puis, on gagne de la liberté dans le jeu au fil du temps. On se connaît super bien, on s’aime énormément, on se sent en confiance et on « maîtrise » nos personnages donc on ose aussi les emmener plus loin. Et puis il faut dire qu’on est extrêmement bien entourés que ce soit par nos partenaires comme Philippe Duclos ou Benjamin Egner mais aussi par nos réalisateurs – Elsa Bennett et Hippolyte Dard – qui travaillent sur la série depuis un moment et qui ont tellement adoré notre duo qu’ils ont littéralement « porté » la série !
C’est un travail d’orfèvre qui est impossible au cinéma…
Quand vous me dites ça, j’y vois un peu le travail artisanal que l’on ne peut trouver qu’au théâtre… On reprend constamment son ouvrage pour l’améliorer sauf qu’avec une série, on ne rejoue jamais la même partition, on avance dans le temps comme on le fait dans la vraie vie. C’est vrai que c’est un privilège de dingue pour un comédien que de pouvoir faire ce travail-là et sincèrement, cette Chassagne est un vrai cadeau dans ma vie ! En plus, dans L’art du crime, il y a un véritable parcours psychologique, ce qui n’est pas le cas dans toutes les séries policières. Florence Chassagne connaît une réelle évolution de ses rapports aux autres, en particulier avec Verlay ou avec son père et c’est jouissif à jouer ! Elle subissait beaucoup pendant les premières saisons et petit à petit, on a trouvé intéressant qu’elle gagne un peu en maturité, en assurance et qu’elle prenne les choses avec plus de distance mais aussi de douceur vis-à-vis de son père avec qui elle partage toujours des rapports un peu conflictuels. On ne peut nuancer un personnage de cette manière que grâce à la dilatation du temps qu’offre le format de la série…
Le fait de connaître l’équipe de travail permet d’arriver plus serein aussi sur un tournage et de gagner en efficacité…
C’est certain et d’ailleurs, la relation qui est née entre Nico et moi nous permet de dépasser toutes nos limites dans le jeu ! On tourne pendant 4 mois par an ensemble, on partage quasiment 90% de nos séquences, on interprète des rapports intimes qui mêlent le conscient et l’inconscient, on est devenu très amis, on a appris à se connaître presque par cœur alors on finit par fonctionner comme un couple… Au début, on était, comme aux prémices d’une histoire d’amour, dans l’excitation et sur la retenue alors qu’aujourd’hui, on en est au stade où jouer ensemble, c’est très confortable ! (rires) On connaît intimement l’autre et en même temps, il faut faire attention à ne surtout pas s’installer dans une routine ou des automatismes… Heureusement, on n’en est pas là ! (rires) Mais il peut m’emmener au bout du monde dans le jeu, je le suis les yeux fermés à chaque fois !
On se retrouve toujours avec autant de plaisir et là où on est hyper chanceux, c’est qu’on ressent la même chose pour le reste de l’équipe. J’ai d’ailleurs une grande passion pour Philippe Duclos qui joue mon père et qui est l’unique personnage aussi singulier que le mien ! (rires) Avec lui, je peux laisser libre cours à mon imagination dans le décalage, il me suit totalement car rien ne l’étonne dans ce que je fais ! (rires) J’aime ce comédien car il apporte une poésie et un supplément très charismatique à la série ! Benjamin Egner, n’en parlons même pas ! (rires) J’ai toujours adoré travailler en équipe, c’est pour ça que j’aime autant le théâtre et que j’ai adoré l’école ! (rires) J’adore le confort qu’offre le fait de travailler avec des gens que j’apprécie et avec qui je me sens bien. Ça me tranquillise et ça me galvanise… Ces tournages ne sont que des moments heureux, ce sont des rendez-vous annuels que je ne raterais pour rien au monde !
Quand on vous voit avec Nicolas Gob, on peut dire que la directrice de casting a eu du nez…
Ça lui ferait très plaisir de vous entendre ! C’est Françoise Ménidrey qui est à l’origine de ce petit miracle ! C’est vrai que c’est un métier dont on parle peu mais sur lequel repose une grosse partie du succès – ou de l’échec – d’un film ou d’une série. Engager des comédiens pour des rôles récurrents et principaux exige de ne pas se tromper sinon, la mayonnaise ne prend pas… Lors de notre premier essai à Nicolas et moi, je pense qu’à l’image, il s’est passé quelque chose que Françoise a tout de suite détecté… Ça ne veut pas dire qu’on venait de jouer une scène extraordinaire ou qu’on était les meilleurs, loin de là ! (rires) Les castings sont rarement des moments où les comédiens se transcendent mais elle a su voir qu’entre nous il se passait quelque chose de l’ordre de la vibration. C’est indicible, indescriptible mais elle, elle l’a vu. C’est marrant, en quelques minutes, notre binôme était formé, presque comme par magie…
Vous êtes la preuve que l’amitié homme / femme existe et vous en parlez très joliment…
Nicolas c’est une vraie belle rencontre et on n’est pas du tout amoureux l’un de l’autre donc je suis d’autant plus objective à son sujet ! (rires) On a une relation très fraternelle et notre amitié prouve en effet qu’un homme et une femme peuvent s’aimer sans arrière-pensées !
Dans les 2 nouveaux épisodes Le testament de Van Gogh et Danse de sang, on retrouve des guests et des lieux magnifiques…
C’est marrant parce qu’en en parlant, je me rends compte qu’on s’habitue à tout ! Au pire (comme c’est le cas depuis un an) comme au meilleur ou à l’exceptionnel… La première fois qu’on a tourné au Louvre, c’était saisissant ! On était estomaqués et émerveillés, on se sentait privilégiés et, trois heures après notre arrivée, on était déjà tous sur notre portable entre deux prises ! (rires) C’est vrai que je m’aperçois que je percute moins alors qu’on tourne dans des super décors ! Dans ces deux épisodes, on va au Louvre, au Moulin Rouge, à Auvers-sur-Oise et sur les tombes de Théo et Vincent Van Gogh qui sont assez saisissantes. Ils étaient très fusionnels, ils ont été enterrés côte-à-côte et leurs tombes, complètement recouvertes de lierre, donnent l’impression qu’elles ne font plus qu’une… Dans les épisodes qu’on va commencer à tourner, on ira au Musée Rodin, à l’Église Saint-Sulpice, au Musée Delacroix et beaucoup au Louvre…
Participer à une série policière donne le goût de l’enquête et de l’énigme ?
J’ai des côtés très Chassagne dans la vie et ça c’en est un ! (rires) J’adore enquêter, décortiquer, détricoter, comprendre, recouper, analyser, spéculer et faire confiance à mon intuition… C’est ma grande passion ! (rires) Et pour couronner le tout, je suis fascinée par les meurtres depuis que je suis toute petite ! Je lisais les enquêtes dans Le Monde comme l’évasion en Italie du serial killer Roberto Zucco ou l’histoire de Guy Georges et, évidemment, je m’imaginais que ces monstres vivaient dans mon immeuble ! Ça n’aurait pas été marrant je pense si ça n’était pas venu interférer dans mon quotidien ! (rires) En revanche, étrangement, devant un film, je suis complètement en vacances… Vous m’embarquez où vous voulez ! (rires)
Et avec ce tempérament, aucune envie d’écriture ou de réalisation ?
Figurez-vous que ça me travaille mais j’ai l’impression de n’avoir de l’imagination qu’à partir d’un matériau existant… Si je devais mettre moi-même toutes les fondations de la maison, je ne suis pas certaine que je saurais le faire car ça me paraît être une immense montagne à gravir. Il faut savoir construire un scénario, l’écrire, savoir le lire et surtout, il faut faire des choix ! Et moi, je suis continuellement embarrassée par mes choix ! (rires) Si tout est posé, comme c’est le cas avec L’art du crime, et que je n’ai qu’à venir jouer les inspectrices des travaux finis en retouchant çà et là et en déroulant le fil, ça me va mais pour réaliser un film, il faut être sûr de soi, savoir ce qu’on veut. Un film, ce sont des millions de petits détails, c’est un choix à la minute et ça, pour quelqu’un d’indécis comme moi, c’est juste horrible ! (rires)
Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson pour Le Mensuel / Photos par Thibault Grabherr
Interview parue dans Le Mensuel n°420 de mai 2021
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